L’information du jour concerne le démâtage de Skipper Macif. Les grosses conditions qui sévissent dans cette descente au portant vers les Canaries ont eu raison d’un des grands favoris de la course. Ils ne sont plus que 14 équipages en lice, tous plus ou moins touchés par ces 48 heures de spi très musclées. Les leaders qui cavalent sur le fil du rasoir entre Madère et la côte marocaine ont ajusté le tir pour leur entrée demain à midi dans les îles des Canaries. La partie orientale de l’archipel, plus ventée, semble faire l’unanimité.

Espars déchus

« La difficulté de l’exercice est de garder le mât au-dessus du bateau » nous confiait un Charlie Dalin prémonitoire à la vacation d’hier matin. La voile est un sport mécanique et le démâtage fait malheureusement partie des risques du métier. Skipper Macif en a été victime ce vendredi peu avant midi, pendant un empannage dans 30 nœuds de vent et une mer forte. Après avoir dégagé le pont de leur bateau, Charlie Dalin et Yoann Richomme, indemnes, ont mis le moteur en direction de Madère. L’équipage du bateau jaune et bleu faisait partie des grands favoris de cette Transat AG2R LA MONDIALE et avait animé tout le début de course en tête. Le sort s’acharne aussi sur Charlie dont c’est le deuxième démâtage sur cette transat (il y a deux ans, même avarie avec Gildas Morvan).

De la fatigue et du stress

Cette mésaventure montre à quel point la moindre seconde d’inattention se paye au prix fort après 48 heures de navigation sous stress. Aujourd’hui, les marins étaient fatigués et les langues se sont un peu déliées à la vacation. On apprend qu’il y a eu un peu de casse, quelques figures de style et des petites frayeurs nocturnes. Cuisine Ixina a vécu un énorme vrac, bateau couché plusieurs heures avec le mât dans l’eau, et n’a plus qu’un seul spi à disposition. Fulgur-Evapco a dû affaler sa grand-voile pour la réparer, Bretagne-CMB Performance, un des équipages les plus rapides ces dernières 24 heures, a déchiré son grand spi.

Attaquer ou se faire distancer

Dans ce contexte, même les tandems les plus chevronnés ont connu des baisses de régime. A commencer par Generali. Gildas Mahé avouait avoir mis le frein hier et avoir affalé le spi quelques heures pour préserver le matériel. Cette prudence leur a coûté 20 milles et leur place de leader au classement. Les voici à nouveau à l’attaque pour combler leur retard sur les nouveaux patrons Adrien Hardy et Vincent Biarnes (Agir Recouvrement). Dans le quatuor de tête où figurent aussi Gedimat (2e) et Bretagne CMB Performance (3e), les navigateurs n’ont d’autres choix que d’être à fond, sous peine de se faire distancer. Un rythme soutenu que la deuxième moitié de la flotte a bien du mal à tenir…

Un top 4 et quelques embusqués vers les Canaries

Il faudra tenir la cadence jusqu’aux Canaries où un waypoint (point virtuel), situé au nord de La Palma, doit être laissé à tribord. Ce simple waypoint permet aux marins de passer où ils le souhaitent à l’intérieur des sept principales îles de l’archipel. Voire, de se glisser entre les îles et la côte africaine, où le vent est plus fort. Le top 4 va vraisemblablement s’engouffrer au milieu des « cailloux ». Mais trois bateaux en embuscade, Fulgur Evapco, Bellocq Paysages Saveur de Cornouaille et surtout Cercle Vert, pourraient jouer les extrême-orientaux. Depuis 48 heures, Gildas Morvan et Alexis Loison font leur route dans l’Est et ont réussi à créer un décalage latéral très intéressant. La journée de samedi sera rythmée par le passage des bateaux au milieu des terres. Un nouveau tournant dans la course !

LA PHRASE DU JOUR

« C’est le baptême du feu. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c’est ! Le manque de sommeil exacerbe les émotions, c’est super fort, je suis en admiration devant tous ces grands marins qui font ça avec la rage de vaincre. La gestion de nous-même est déjà tellement compliquée ! Le bateau bouge dans tous les sens, tout est dur. Je suis venue chercher de l’adrénaline, j’en ai plein la tête ! » Stéphanie Jadaud, Free Dom Services à Domicile.

ILS ONT DIT OU ECRIT

Yoann Richomme, Skipper Macif :

« C’est arrivé il y a une demi-heure. Nous faisions un des derniers empannages. Nous avons fait une erreur de manœuvre et le tangon a planté dans l’eau, il a appuyé sur le mât trop fort et le mât s’est brisé. Il a fallu le larguer rapidement. Tout va bien à bord, nous ne sommes pas blessés. On essaye juste de ranger, d’inventer un gréement de fortune et de choisir une destination. Il y avait 30 à 35 nœuds de vent et trois à quatre mètres de creux. C’est une erreur malheureuse qui nous coûte cher. On a pris 10 secondes pour réaliser et on s’est mis en œuvre rapidement pour que le mât n’endommage pas le bateau. On sait bien que c’est fini et qu’on ne jouera plus rien sur cette transat. L’heure est aux solutions pour rapatrier le bateau, pour rentrer. Et on pense déjà à la suite de la saison. »

Gildas Mahé, Generali :

« Cela fait deux nuits que c’est rude ! Nous avons voulu préserver le bateau, nous n’avons pas mis le curseur au bon endroit. On n’attaque pas assez, mais dans la nuit noire, c’est du bobsleigh sur des mauvaises vagues. On se demande aussi comment font les autres pour allumer autant sans tout péter… On a planté par 40 nœuds de vent, on a eu peur de perdre le mât, donc on a fait attention. Nous avons affalé le spi tôt, pour préserver le matos, car c’était violent, donc a perdu du terrain. On a tout préservé pour ne rien casser. J’espère que ça paiera par la suite. Dès ce soir, nous allons avoir encore une nuit assez chaude, et aussi dans le passage des Canaries. Ça va être costaud encore pendant deux jours…Ça commence à tirer, c’est un peu stressant ces conditions, on se demande quand ça va mollir. Nous sommes humides, nous ne nous sommes pas changés depuis le départ. On a vite froid. La priorité du jour est d’arrêter de perdre sur les concurrents de devant et de bien préparer le bateau pour la nuit prochaine. »

Martin Le Pape, Bellocq Paysages – Saveurs de Cornouaille :

« Ca va parfait, on est sous spi, ça avance bien, on a eu des heures difficiles, mais nous avons enlevé les cirés, et nous faisons sécher le bateau. Nous avons un peu moins de vent, la mer est plus ordonnée, il fait un peu plus chaud. Nous avons décidé de ne pas contourner le waypoint de La Palma et d’aller chercher Tenerife pour descendre plus sud. On souffle un peu car c’était pénible pour le bateau, on a rien cassé, c’est important. Mais je vous avoue que nous nous sommes faits peur la nuit dernière, car il y avait 44 nœuds de vent et une nuit noire. Tu serres les fesses, tu te demandes comment ça va finir. »

Stéphanie Jadaud, Free Dom Services à Domicile :

« Nous avons toujours un petit 30 nœuds, une mer hachée au portant, ça ne laisse pas beaucoup de moment de repos. On préserve le matériel, nous n’avons pas encore osé envoyer le spi, mais nous faisons tout de même de belles glissades dans les vagues, Nous sommes allés à 20 nœuds dans une descente. L’antenne VHF se balade, elle s’est décrochée du mat… On attend de voir s’il faut s’arrêter pour réparer. On surveille. On ne va pas passer pas loin des îles de Madère et des Canaries, donc on verra s’il faut s’arrêter ou pas. La première nuit, dans l’alizé portugais sans rien voir, je me sentais toute petite. C’était pour moi impressionnant, le bateau part dans les vagues, c’est grisant et impressionnant de nuit, c’est une grande première pour moi. Avec Tolga, nous prenons la barre chacun notre tour, on avale vite fait de la nourriture, nous ne sommes pas du tout en mode prince et princesse. »

Xavier Macaire, Bretagne-CMB Performance :

« On se relaye, on organise notre petit train de vie, entre la navigation, le pilotage, la nourriture, le repos. Nous sommes sur le bateau tout le temps à régler, optimiser, tirer fort dessus. Nous avons gardé le grand spi très longtemps cette nuit, et malheureusement, il s’est déchiré. C’est réparable, il nous en reste un autre heureusement, mais c’est mieux d’en avoir deux. La mer est hachée. Parfois le bateau part de travers, le spi claque, et à force de claquer 15-20 fois, il finit par se déchirer. Nous en avons encore pour au moins pour 48 heures au portant dans ces conditions. C’est déjà bien d’être à deux dans ces conditions, car on mène le bateau à 100% tout le temps… Les Canaries ? On va passer dans l’est, on a beaucoup hésité entre le nord et le sud, mais c’est confirmé ; nous passerons entre les îles les plus à l’est de l’archipel. Nous avons le cul trempé car au bout d’un moment l’eau transperce le ciré, nous avons les jambes trempées c’est désagréable. Nous baignons dans notre jus. »

LE CLASSEMENT 8 AVRIL 16H00

  1. AGIR RECOUVREMENT (Adrien Hardy-Vincent Biarnes) à 2846,50 milles de l’arrivée
  2. GEDIMAT (Thierry Chabagny-Erwan Tabarly) à 0,51 milles du 1er
  3. BRETAGNE-CMB PERFORMANCE (Sebastien Simon-Xavier Macaire) à 8,82 milles
  4. GENERALI (Nicolas Lunven-Gildas Mahe) à 16,10

Source

Articles connexes