IDEC Sport a repris 300 milles et régate… contre une dépression
IDEC SPORT a repris 300 milles en quarante heures. Les hommes de Francis Joyon ont enchaîné cinq empannages depuis hier soir. Ils cavalent à plus de 30 nœuds sur une trajectoire très Sud. Objectif : rester à l’Est d’une dépression tropicale venant de Madagascar, ce qui peut leur faire gagner – ou perdre – une journée entière. Et ça va se jouer à rien…
« On a eu une nuit difficile, avec des vents moyens à 33 nœuds et des rafales à 40 nœuds dans une mer formée. Le bateau plantait pas mal des étraves, le passage était assez brutal. On avait l’impression que le bateau souffrait, il y avait des paquets de mer sur le pont. Ce n’était pas une navigation très plaisante. Mais bon, il faut être au maximum de la vitesse car le passage devant la dépression qui nous arrive de Madagascar est ce qui nous préoccupe… et ça se jouera à une heure près ! On a une journée à perdre ou à gagner selon qu’on arrive devant ou derrière elle. Voilà pourquoi on est à fond, à régater contre cette dépression comme si nous étions en baie de Quiberon alors qu’on est entre 52 et 54 degrés Sud et qu’il faut aussi surveiller les icebergs ! » En quelques phrases, Francis Joyon a tout dit ou presque.
Entre Kerguelen et Heard
Oui, la navigation à ces latitudes désolées est (très) difficile. Oui, il faut être ultras motivés pour faire marcher IDEC SPORT à fond – si possible ne jamais descendre en-dessous de 30 nœuds. Oui, il a fallu manœuvrer, empanner – à cinq reprises depuis hier soir – pour rester dans la meilleure veine de vent et faire le chemin le plus court possible. Et oui, l’enjeu en vaut la chandelle. Le bilan comptable des quarante dernières heures est très positif : de 800 milles sur le chrono à battre, le retard a chuté à 500 milles. La bagatelle de 300 milles de repris est une vraie récompense pour les six marins d’IDEC SPORT qui naviguent cet après-midi à égale distance (150 milles) des Kerguelen et de l’île volcanique Heard.
Foncer le plus vite possible pour rester dans l’Est de cette fameuse dépression tropicale descendant de Madagascar est donc le grand enjeu des vingt-quatre heures à venir. « Marcel (Van Triest, le routeur d’IDEC SPORT) estime que nous avons 50 % de chances d’y parvenir » explique Francis Joyon. Il développe : « si on est du bon côté on aura des bons vents réguliers de Nord-Est, sinon nous aurons des vents un peu merdiques, quoi…» Pour cela, il faut naviguer très Sud… et donc surveiller de près d’éventuels icebergs. « Quand on voit que l’eau est à moins de deux degrés, qu’il y a trop de brume et qu’on s’inquiète trop, on remonte. En fait, on joue au yoyo entre la latitude qui nous paraît dangereuse et celle qui l’est moins. Voilà pourquoi on tricote entre 52 et 54 degrés Sud ».
A 39 nœuds, une longueur de visibilité
Les icebergs ? « Nous n’en avons pas revu, ni sur le radar ni en visuel, mais la visibilité est mauvaise. Avec la brume, on ne voit pas à plus d’un ou deux milles dans le meilleur des cas. » Un peu de fatigue et de stress s’accumulent forcément, « mais l’équipage est solide et le bateau à 100%… c’est un super bateau ! ». Aucun problème technique notable à déplorer, de grandes vitesses et « un sacré challenge » à relever, comme dit Joyon…ainsi va la vie glacée des marins d’IDEC SPORT. Une vie que l’Allemand Boris Herrmann n’échangerait pour rien au monde. « Les deux derniers jours ont été stressants, car on a du mal à dormir avec les mouvements du bateau. La nuit dernière, très rafaleuse, a été stressante aussi. Le facteur glace, lui, est très virtuel car on n’en a pas vu encore, juste repéré un au radar. C’est vrai que c’est bizarre parfois d’être à 38 nœuds dans la nuit, avec une visibilité qui ne dépasse pas une longueur de bateau. Mais je suis super content d’être là et c’est normal que le Sud soit un peu stressant ! » Et la faune marine dans tout ça, au cœur de l’Océan Indien ? « C’est étonnant, nous n’avons pas vu beaucoup d’albatros. Mais des centaines de pétrels nous accompagnent. Et tout à l’heure, Gwéno a vu une baleine… »
15 jours après son départ, le grand trimaran avance au pays des glaces. Les satellites veillent… L’équipage se démène. L’esprit Jules Verne est là.
Nicolas Hulot témoigne :
« Ce qu’il y a derrière le mot aventure, c’est une dimension universelle, exceptionnelle : une denrée rare ! Celle du rêve. En cela c’est ce qu’il y a de plus beau : elle est porteur de rêve pour celui qui l’exerce, elle est porteur de rêve pour celui qui l’observe. Pour le spectateur, pour simplement celui qui imagine ces hommes sur un navire qui va plus vite que le vent, comme ça, sur la crête des vagues dans des contrées ou plus personne ne pourra les aider si ce n’est qu’eux-mêmes. »