S’éloignant progressivement des îles du Cap Vert, Spindrift 2 s’apprête à affronter le fameux « Pot-au-noir » si redouté des navigateurs. Ce passage entre les deux hémisphères génère de grandes instabilités météorologiques dues à la convergence des vents Alizés soufflant du Nord et ceux en provenance du Sud. Les navigateurs rencontreront vraisemblablement cette zone ce soir ou la nuit prochaine. Les échanges à la table à cartes sont denses. Yann Guichard et Erwan Israël, épaulés par Jean-Yves Bernot, à terre établissent la stratégie pour l’aborder.

Jour 4 – 17h15 GMT

  • 346 milles d’avance sur le détenteur actuel.
  • Distance parcourue depuis le départ : 2606 milles
  • Vitesse moyenne sur 24 heures : 28 nœuds
  • Un ris dans la Grand Voile et Solent

Trois jours. Trois nuits

Parti dimanche 22 novembre à 4h02’ (GMT) devant le phare de Créac’h (Ouessant), le trimaran Spindrift 2 avait déjà cumulé en trois jours plus de 270 milles d’avance sur le tableau de marche du détenteur du Trophée Jules Verne. Et cet avantage continuait à augmenter au fil des heures dans des alizés bien installés au large de l’archipel du Cap-Vert…

Plus de 30° de latitude gagnée, près de 20°C de température de l’air en plus : en trois jours, l’équipage de Spindrift 2 est passé de l’automne frais de la Bretagne aux chaleurs pré-équatoriales ! Car c’est avec une fenêtre météorologique particulièrement favorable que le trimaran skippé par Yann Guichard s’est élancé pour sa première tentative sur le Trophée Jules Verne. Et après deux heures et demie de brise de secteur Nord mollassonnes, l’anticyclone des Açores positionné très haut en latitude (vers l’Irlande) a généré un flux puissant de Nord-Nord Ouest qui a permis d’allonger la foulée à plus de trente nœuds de moyenne. Une entrée en matière plutôt musclée puisque l’équipage débordait le cap Finisterre en un peu plus de douze heures…

Aile de mouette

Froid, humidité, brise puissante, vagues désordonnées, les conditions de navigation se sont ensuite nettement améliorées au large de Lisbonne lorsque Spindrift 2 a accroché dans la foulée, les alizés portugais de Nord. Et comme les hautes pressions de l’anticyclone descendaient aussi vers le Sud, le trimaran a pu enchaîner avec les alizés canariens d’Est, certes un peu plus instables : l’équipage a donc dû multiplier les manœuvres pour adapter la voilure, mais les milles ont succédé aux milles jusqu’à l’instant crucial de l’empannage. Car c’est la particularité de cette configuration météorologique très favorable : alors que le détenteur du Trophée Jules Verne de 2012 avait dû enchaîner quatre empannages pour atteindre les Canaries, Spindrift 2 a pu faire route directe jusqu’au large de l’archipel des Açores !

Puis avec la rotation progressive du vent de Nord vers l’Est, Yann Guichard et ses équipiers ont réalisé une « aile de mouette », une courbe en « V » ouvert qui les a déjà positionnés pour aborder l’équateur… Car moins il y a de manœuvres, moins il y a de temps perdu, et plus la route est directe, plus il y a de temps gagné. Or cette Lapalissade n’est pas évidente sur un tour du monde où ce sont les successions de systèmes météorologiques qui régissent la trajectoire. Le timing de l’empannage était donc primordial puisqu’il gérait ensuite la trace vers l’entrée dans le Pot au Noir, cette Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) la plus complexe à aborder sur un tour du monde.

Entrée dans le Pot

En effet, les vents de Nord-Est de l’hémisphère Nord et les vents de Sud-Est de l’hémisphère Sud convergent au large de la Sierra Léone pour former un cône vers l’Amérique du Sud : les vents sont faibles et les grains orageux nombreux en raison de l’évaporation importante juste au-dessus de l’équateur. Ce Pot au Noir qui s’étend en général entre les parallèles 3°N et 7°N, est plus ou moins actif : il peut être une alternance de brises faibles et de rafales violentes sous grains, une zone de calmes très étendue, une transition lente entre ces deux régimes d’alizés, des hémisphères Nord et Sud. Le « point d’impact » est donc essentiel pour trouver un passage le moins pénalisant possible, en général entre les longitudes 28° W et 30°W.

Arriver des Açores sans avoir à manœuvrer pour entrer dans la ZCIT est donc un gain conséquent : Spindrift 2 devrait ainsi l’aborder dans la nuit de ce mercredi et le ralentissement sera sensible dès le coucher du soleil. Large d’environ 200 milles, le Pot au Noir pourrait alors être traversé en moins d’une demie journée, ce qui permettrait alors à Yann Guichard et son équipage un passage de la ligne de séparation des hémisphères en plus ou moins cinq jours.

Or gagner des heures dès le passage de l’équateur est essentiel comme le montre le graphique des temps de référence établis depuis la création du Trophée Jules Verne en 1993 : Commodore Explorer avait mis 8j 19h 26’ pour changer d’hémisphère, Orange II 7j 02h 56’ en 2005, Banque Populaire V 5j 14h 55’ en 2012, record à battre… La quatrième nuit en mer de Spindrift 2 s’annonce capitale pour entrer dans ce « tunnel » complexe qui va nécessiter moult manœuvres de voiles, et pour en sortir au plus vite afin d’accrocher les alizés de Sud-Est qui soufflent dès le 4°N… Surtout que l’Atlantique Sud est actuellement en pleine restructuration météorologique : l’anticyclone de Sainte-Hélène est en train de se positionner sous l’Afrique du Sud, et pour glisser rapidement vers le cap de Bonne Espérance, il ne faut pas tarder afin de longer une masse orageuse qui sort du Brésil et descend jusqu’aux Quarantièmes Rugissants.

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