Alors que le dernier des IMOCA a franchi la ligne d’arrivée de la Transat Jacques Vabre à Itajai, qu’une partie de la flotte s’apprête à rallier Saint-Barth en convoyage pour le départ de la Transat Saint-Barth – Port-la-Forêt le 6 décembre prochain, un bilan s’impose. Etat de la flotte à l’arrivée, apport des foils, comportement des anciens bateaux et bonne tenue des éléments standardisés, sont quelques-uns des éléments d’analyse d’une course très difficile qui n’aura pas épargné les participants engagés.

Le contexte

On le sait, un départ à la fin du mois d’octobre des côtes françaises comporte une part de risque météorologique non négligeable. Cette édition 2015 de la Transat Jacques Vabre n’a pas échappé à la règle avec une première semaine de course particulièrement éprouvante pour les bateaux comme pour les hommes. Des vents de 40 à 45 nœuds, une mer grosse, trois centres dépressionnaires consécutifs à négocier, les huit premiers jours de course ont été particulièrement durs.

La flotte IMOCA, forte de 20 équipages au départ, était sans conteste la plus emblématique. C’est ici que les enjeux sportifs étaient les plus forts avec notamment la confrontation des voiliers de dernière génération munis de foils avec les meilleures unités issues du dernier Vendée Globe.

Les raisons de la casse

Après un départ dans le petit temps, la flotte des IMOCA allait subir de plein fouet le passage de plusieurs trains de dépressions qui n’épargnaient personne. Les tenants de la route ouest, la plus rapide suivant les routages, devaient négocier le contournement d’un premier centre dépressionnaire avant de pouvoir faire route au sud où deux autres fronts particulièrement musclés les attendaient. D’autres équipages avaient opté pour une route plus à l’est qui s’est révélée au final tout aussi cabossée que la première.
La liste des abandons est évidemment importante. Si le bilan ne peut pas être satisfaisant il reste très instructif, et il importe aussi de regarder clairement les raisons de cette casse.
La volonté de ménager le bateau : pour certains, la décision d’abandonner a été prise dans la perspective des échéances à venir, notamment le Vendée Globe et la Transat New York – Vendée qui sera la dernière course qualificative avant le tour du monde. C’est le cas notamment de Maître CoQ, d’Edmond de Rothschild. En proie à des soucis techniques qui pouvaient être résolus, ils ont préféré, à partir du moment où ils ne jouaient plus pour la gagne se concentrer sur la suite de la saison de course du Championnat IMOCA Ocean Masters.

La jeunesse de certains projets : Safran, Hugo Boss, St Michel-Virbac, tous ces bateaux ont été mis à l’eau tardivement et n’ont bénéficié que de très peu de temps d’entraînement. De plus, les conditions météo des semaines qui ont précédé la Transat Jacques Vabre ont été relativement clémentes et n’ont pas permis aux équipages de se confronter véritablement au mauvais temps. Et c’est bien ce mauvais temps qui reste le juge de paix implacable de la préparation des bateaux. Pour être paré à affronter les mers du Sud, il faut être passé plusieurs fois par de telles conditions. Le mauvais temps de la Transat Jacques Vabre était le premier que rencontraient ces nouveaux bateaux.

Une casse mécanique due à l’usure et à la prise de main tardive de son bateau : pour certains projets, le fait d’être sur la ligne de départ de la Transat Jacques Vabre était une victoire en soi. A l’instar des bateaux neufs, bon nombre de skippers faisaient connaissance avec leur bateau qu’ils venaient d’acquérir. Dans ces conditions il est très difficile d’apprécier l’état exact de sa machine et la course reste le meilleur moyen pour apprendre à le connaître. Mais, souvent par faute de budget suffisant, plusieurs de ces bateaux n’ont pas pu se préparer comme ils l’auraient souhaité dans l’idéal. C’est le cas de O Canada, d’Adopteunskipper.net, du Bateau des Métiers by Aerocampus ou bien encore de Bastide Otio.

Les impondérables : la voile est un sport mécanique, on ne l’oublie pas. Les abandons de SMA suite au délaminage de son voile de quille suite à un choc avec un OFNI, et de Spirit of Hungary, sont clairement à ranger dans cette catégorie. Malheureusement l’océan reste semé d’embuches et trop souvent d’objets flottants qui peuvent abîmer les bateaux. Si l’accident d’Hugo Boss n’est pas encore totalement expliqué, sa coque a été endommagée par un impact qui a contraint son équipage à faire route vers l’Espagne.

Des raisons d’être optimiste

Le podium :

Deux IMOCA parmi les plus affutés de la génération du dernier Vendée Globe encadrant un des derniers-nés munis de foils. La victoire de PRB et la 3e place de Quéguiner / Leucémie Espoir montrent que l’on peut être compétitif sans disposer du bateau de l’année. La deuxième place de Banque Populaire VIII est aussi le signe que les améliorations proposées ont de l’avenir. Le débat est ouvert et c’est bien l’un des objectifs des règles de l’IMOCA que de permettre aux bateaux de générations différentes de concourir entre eux. Quand l’innovation côtoie le sport la régate n’en est que plus belle.

La course à tous les étages :

Qu’il s’agisse du podium, de la formidable bagarre pour la quatrième place entre Le Souffle du Nord et Initiatives Cœur, de la lutte entre les quatre bateaux les plus anciens, MACSF, Comme un Seul Homme – Stand as One, Newrest/Matmut et Bureau Vallée, pour la sixième place, la régate a été intense du début jusqu’à la fin. Il y avait plusieurs courses dans la course. C’est rassurant dans la perspective des épreuves à venir.
Les éléments standardisés : les mâts et les quilles standardisés des nouveaux bateaux ont donné toute satisfaction. Aucun des abandons constatés n’a pour origine les pièces qu’impose la nouvelle règle IMOCA. C’est un fait qui contribue à valider les choix de l’IMOCA.

La suite du Championnat IMOCA Ocean Masters

La Transat Saint-Barth – Port-la-Forêt va maintenant permettre à plusieurs des skippers inscrits au prochain Vendée Globe de valider leur ticket d’entrée. La course va aussi être l’occasion de mieux connaître la génération montante, de Paul Meilhat et Fabrice Amedeo à Thomas Ruyant, face à des navigateurs expérimentés comme Yann Eliès. Une confrontation prometteuse qui augure d’un programme 2016 particulièrement alléchant.

Ils ont dit :

Jean Kerhoas, Président de la Classe IMOCA

« Tout d’abord je dois constater que malgré le nombre important d’abandons, tous ont été gérés par d’excellents marins qui ont su ramener leur bateau au port. Le cas d’Hugo Boss est différent puisque c’est visiblement un OFNI qui a provoqué le naufrage.
Je constate aussi que mâts et quilles standardisés ont parfaitement joué leur rôle et ce, malgré des conditions très dures.
Je n’oublie pas non plus que cette Transat Jacques Vabre était un banc d’essai pour nombre de bateaux neufs. Nul doute qu’architectes et chantiers vont en tirer les bons enseignements pour les prochaines échéances. Certains des abandons sont aussi dus au fait que plusieurs skippers n’ont pas pu bénéficier, faute de moyens, du niveau de préparation qu’exige une course en IMOCA.
Enfin, je n’oublie pas la fantastique bagarre en tête de course qui a fait vibrer le public. De l’incertitude, des rebondissements, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette Transat Jacques Vabre, un formidable défi sportif. »

Gaëtan Gouérou, Délégué général de l’IMOCA

« Cette transat aura été particulièrement difficile, on le savait dès le départ et nous avions des raisons d’être inquiets. C’était aussi un test très attendu par tous et qui apporterait sans conteste des informations indispensables pour fiabiliser les bateaux en vue du Vendée Globe 2016.
Les nouveaux bateaux à foils ont montré leur potentiel et les anciens ont rappelé qu’il faudra compter sur leurs performances, loin d’être obsolètes.
L’une des interrogations concernait le comportement des pièces standardisées. Il n’y avait pas de raison particulière de s’inquiéter pour les quilles dont la conception s’inscrivait dans un processus de fiabilité souhaité et accepté par tous. Quant aux mâts, il restait à démontrer que les hypothèses prises en compte pour leur conception étaient bien adaptées. On peut aujourd’hui raisonnablement penser que oui. »

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