Les quatre classes de la Transat Jacques Vabre déroulent vers Itajaí, les deux Ultime étant sortis du Pot au Noir mardi, les premiers monocoques IMOCA 60’ la nuit dernière alors que deux Multi50 se battent encore dans le magma, et que le leader des Class40 est toujours dans de bons alizés de nord-est. Et au sein de chaque groupe, un équipage a fait le break à l’exception des monocoques de 60 pieds où le trio de tête a encore plus de 2 000 milles pour se départager…

Rien n’est acquis, même avec plus de 200 milles de marge ! Car il reste encore 1 400 milles aux deux Ultime, plus de 2 000 milles aux IMOCA et aux Multi50, plus de 3 000 milles aux premiers Class40… La Transat Jacques Vabre mérite bien son nom de plus longue des transatlantique ! Après dix jours de course, vingt-cinq tandems sont encore en course puisque le Class40 de Thibault Hector et Morgan Launay (Creno-Moustache Solidaire) est reparti en début de nuit de Vigo après avoir remplacé sa barre de flèche rompue dans le gros temps.

Le décalage atteint donc 3 000 milles entre la tête et la queue de course, mais chacun a ses objectifs même si le but ultime est bien de s’amarrer dans le port d’Itajaí, pour les trimarans géants dès le début du week-end et pour le dernier des monocoques de 40 pieds, d’ici une vingtaine de jours…

Les locomotives et les wagons

De Lisbonne à Recife, la flotte s’étire donc, qui dans un flux de secteur est 15-20 nœuds au large du Brésil (Ultime), qui dans les prémices des alizés de sud-est d’une dizaine de nœuds à quelques encablures de l’équateur (IMOCA 60’), qui dans un Pot au Noir avec un vent encore très instable (Multi50), qui dans une brise bien établie – du moins pour les cinq premiers – de nord-est 20 nœuds (Class40)…

Et la locomotive MACIF a fait le break à l’occasion de son léger décalage plus à l’est à la sortie du Pot au Noir : Thomas Coville et Jean-Luc Nélias (Sodebo Ultim’) sont encore contraints de serrer au maximum le vent pour déborder les côtes brésiliennes tandis que François Gabart et Pascal Bidégorry peuvent déjà lâcher un peu les écoutes et mettre du charbon dans la machine !

Avec plus de 150 milles d’écart et un alizé qui devient de plus en plus favorable, le leader Ultime va logiquement augmenter son avance dans les prochaines heures, mais après les 800 prochains milles qui devraient être avalés vitesse grand « V » (à plus de trente nœuds de moyenne), le cap Frio risque fort de relancer le duel : le golfe de Rio est actuellement noyé sous des trombes d’eau et les orages se succèdent au moins jusqu’à jeudi soir ! Il y a à ce niveau une zone de transition très délicate à appréhender puisque les alizés de nord devant Vitória doivent passer au sud-est au large du Cabo Frio…

Triage à l’équateur

A 500 milles derrière, le trio leader des IMOCA 60’ a finalement rapidement négocié le Pot au Noir et serre aussi le vent pour franchir la ligne de démarcation des hémisphères qu’ils devraient atteindre en fin de nuit. Les conditions sont nettement plus agréables ce mercredi midi avec des bouffées d’alizés de sud-est d’une dizaine de nœuds qui devraient prendre consistance en gagnant vers l’équateur. Mais il va être difficile de passer à la bordée les côtes brésiliennes car actuellement, la brise ne tourne que très lentement vers l’est (à la hauteur de Recife) : le trio PRB, Banque Populaire VIII, Quéguiner-Leucémie Espoir pourrait alors passer à l’intérieur de l’archipel de Fernando de Noronha et buter sur Natal !

Un contre-bord pour se dégager des côtes serait une première sur une traversée Nord-Sud et ferait perdre un temps précieux : choisir le moment du recalage imposerait aussi un lourd choix tactique car le tampon de vent (la brise mollit près des côtes) n’est pas facile à déterminer sur les fichiers météo… Et cela pourrait faire l’affaire des deux duos qui s’engagent ce mercredi dans le Pot au Noir : Tanguy de Lamotte et Samantha Davies (Initiatives Cœur) et Thomas Ruyant et Adrien Hardy (Le Souffle du Nord) vont chercher à sortir le plus à l’est possible (vers le 29°W), ce qui leur permettrait d’avoir plus de marge pour passer à la bordée la pointe brésilienne…

Quant à MACSF, Bureau Vallée et Newrest-Matmut, ils doivent déjà observer à l’horizon le ciel qui se couvre, le vent qui mollit, la chaleur qui grimpe : les signes du Pot au Noir dans lequel ils vont s’engager dès ce soir… Une Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) qui ne semble reprendre des caractéristiques plus habituelles que dans la nuit de jeudi. Là encore, un passage rapide et surtout une sortie plus à l’est (sur le 28°W plutôt que sur le 30°W) serait un gros bonus pour rattraper une bonne poignée de milles sur les leaders.

Arrêt buffet au Pot

Et pour les Multi50, le Pot au Noir est particulièrement agressif. Erwan Le Roux et Giancarlo Pedote ont vu les masses nuageuses qui les couvraient déjà depuis plusieurs heures se déplacer vers le sud… Ainsi au fur et à mesure qu’ils arrivent à péniblement gagner des milles vers l’équateur, la zone d’ombre les suit et continue d’engluer FenêtréA Prysmian. Cela ne porterait pas à conséquence si Lalou Roucayrol et César Dohy étaient sur la même trajectoire, mais Arkema a choisi une voie nettement plus à l’est, par le 26°30W au lieu du 30°W soit près de 180 milles d’écart latéral… Un gouffre à l’image de ce Pot pourri !

Si le deuxième duo trouve un chemin de traverse dans les heures qui viennent, il serait en position favorable pour crocher les alizés avec un angle de navigation très efficace. Quant à Thierry Bouchard et Oliver Krauss, leur arrêt à Mindelo (Cap-Vert) aura duré une trentaine d’heures mais Ciela Village est désormais à 100% de ses capacités et l’équipage bénéficie de bons alizés au moins pour les deux prochains jours.

Ça rame en queue de train…

Le déraillement a été évité de justesse pour les poursuivants du leader en Class40 ! Car si la « tractrice » Le Conservateur a pu faire le plein de carburant au large des Canaries, les « tenders » V and b, Solidaires en peloton-ARSEP, Carac-Advanced Energies ont dû patienter plus d’une journée pour que le trafic normal reprenne… Quant aux wagons suivants, ils sont restés à quai encore plus longtemps avant que la voie brésilienne soit dégagée et au final, seul TeamWork 40 a pu reprendre le train en marche avec toutefois cent milles perdus. Et pour les quatre suivants Concise 2, Zetra, Groupe Sétin et SNBSM-Espoir Compétition, la station Canaries est toujours bloquée par une bulle anticyclonique sans beaucoup de vent…

Enfin au large du Portugal, Thibault Hector et Morgan Launay ont réussi à installer une nouvelle barre de flèche après 36 heures d’escale à Vigo et Creno-Moustache Solidaire fait route dans une brise de sud-ouest d’une vingtaine de nœuds. Tout comme Alan Roura et Juliette Pêtrès (Club 103) qui naviguaient au Nord de Madère ce mercredi midi, un archipel qu’ils vont déborder en soirée.

Ils ont dit…

Sam Manuard, co-équipier de V and B (Class40)

« Pour nous, c’est cool : on a enfin touché un alizé digne de ce nom, car on est sorti des calmes de la journée d’hier et avant-hier. On a eu chaud aux fesses et si Le Conservateur est bien devant, on a décroché TeamWork 40 dans l’histoire. Mais il reste le plus gros du parcours à faire. On a encore 3-4 jours avec un bon alizé avant d’atteindre le Pot au Noir. En ce moment, on commence à réfléchir pour adapter la voilure parce que la brise rentre progressivement. »

Thibault Hector, skipper de Creno-Moustache Solidaire (Class40)

« On est reparti hier soir direction le Brésil vers 20h de Vigo. On démâté, réparé, remâté et réglé avant de repartir : le bateau est 100% de son potentiel. En sortant de la baie de Vigo, on a eu 40 nœuds et ça nous a permis de tester le mât. Là, on a 20 à 25 nœuds le long du Portugal. D’ici trois jours, on devrait être sorti d’affaire. Pas facile de s’arrêter sinon, mais maintenant que le bateau remarche, ça va mieux ! »

Erwan Le Roux, skipper de FenêtréA Prysmian (Multi50)

« Encore une bonne journée dans le Pot ! On pète les plombs, on est mal barré ! On est dans un amas nuageux pas très actif, et on essaye de naviguer dedans pour avoir des risées. Il faut exploiter au mieux ces brises aléatoires pour gagner vers le Sud. Le Pot au Noir s’est élargi cette nuit : on bien vu les nuages de convergence devant nous sauf qu’il gagne vers le Sud en même temps que nous… On prend notre mal en patience mais ça commence à être longuet. Il fait super chaud à l’intérieur du bateau : c’est la fournaise surtout lorsque l’on met en route la pile à combustible ! Il a bien plu ce matin et c’est bon cette fraicheur matinale. On mange des plats chauds, on vient prendre notre petit déjeuner avec Giancarlo. Le décalage est de Arkema m’inquiète un peu : il ne faut pas que l’on traîne là parce qu’il pourrait revenir fort s’il sort en même temps que nous du Pot au Noir ! »

Charlie Dalin, co-équipier de Quéguiner-Leucémie Espoir (IMOCA 60’)

« On espère être sortis du Pot au Noir, car ça ressemble aux alizés de sud-est. On est un peu déçu de la journée d’hier : on avait réussi à revenir, mais on a un peu raté le train qu’a pris PRB. On va faire le maximum pour revenir. Là, on navigue au près, le vent est encore instable en force et direction avec entre 7 et 11 nœuds. On espère que ça va adonner rapidement car on n’est pas vraiment sur la route et ce n’est pas intéressant d’aller trop à l’ouest. On va rester contre le vent un bon paquet de temps. On rentre dans la partie où il faut trouver le bon compromis en le cap et la vitesse. Il y a des chances que l’on voit Banque Populaire gagner du terrain : dans les jours qui viennent, ce sont des conditions qui lui conviennent… Il fait super chaud dans le bateau et quand on touche la coque, c’est vraiment brûlant : dès qu’on peut, on ouvre le capot avant pour faire un courant d’air. »

Pascal Bidegorry, co-équipier de MACIF (Ultime)

« Nous, après la latitude de Recife, on peut tirer un peu plus sur la barre. Ça accélère un peu, mais c’est plus bruyant. Nous sommes à 90°-110° degré du vent, avec 18-20 nœuds de vent, ça allonge la foulée. Le vent est toutefois assez irrégulier, plutôt instable : il faut être un petit peu vigilant. C’est pas mal pour nous en termes de météo car on peut faire de l’écart par rapport à notre camarade Sodebo Ultim’. Le cabo Frio porte bien son nom : il fera un peu plus frais mais je ne pense pas que nous aller entre les plateformes de forage pétrolier qui sont nombreuse à ce niveau là du Brésil… En multicoque, ça change super vite et avec François on a bien compris que ça sert à rien de s’emporter : la dernière ligne droite n’est pas la plus facile et il peut y avoir des retournements de situation ! »

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