Presque toute la flotte de la Transat Jacques Vabre est désormais dans les alizés, ces vents réguliers de secteur Nord-Est qui marquent la bordure orientale et méridionale de l’anticyclone des Açores, revenu à sa position habituelle. Le duel des Ultime tourne à l’avantage de MACIF tandis que le trio de tête des IMOCA a fait le break face à ses poursuivants…

Vent de Nord-Ouest 20-25 nœuds pour les Class40 au large de Lisbonne, vent de Nord-Est 20 nœuds pour les monocoques IMOCA à la latitude des Canaries, vent d’Est-Nord Est 15 nœuds pour les Ultime à la hauteur du Cap-Vert… Les alizés sont là ! Car l’anticyclone est enfin revenu, centré dans le Sud des Açores (1 030 hPa) et consolidé par deux dépressions sur l’Espagne et au large de Terre-Neuve, ce qui est bon signe pour sa stabilité dans les jours à venir. Et cette configuration est importante car plus ces hautes pressions sont ancrées, plus le Pot au Noir descend vers l’équateur en s’amenuisant. Or c’est désormais la question redondante à bord des voiliers de la Transat Jacques Vabre : comment et où aborder ce passage aléatoire (alternance de calmes et de grains de pluies) pour passer d’un hémisphère à l’autre ?

Un duo, deux trios, un échappé

Du côté du Cap-Vert, le duel entre MACIF et Sodebo Ultim’ tourne à l’avantage de François Gabart et Pascal Bidegorry qui ont réussi à se glisser sous leur concurrent lors d’un long bord en provenance des côtes mauritaniennes : le nouveau trimaran géant semble capable de descendre plus bas au portant et comme les deux duos ont empanné vers minuit pour piquer vers l’équateur, MACIF est dorénavant sur le bon côté de son unique foil. Il va être particulièrement intéressant d’analyser ses performances dans cet alizé d’une quinzaine de nœuds qui devrait tenir encore une journée et demi avant de s’étioler à l’approche des cumulonimbus équatoriaux…

Pour les monocoques IMOCA, le Pot au Noir est encore loin (1 200 milles), soit au moins trois jours de glisse à 130° du vent réel, un alizé de Nord-Est encore costaud d’une vingtaine de nœuds. Pas de manœuvres en vue, mais une attention particulière à la table à cartes quand au comportement de cette Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) qui est à ce jour encore très étendue (du 9°N au 3°N). D’ici lundi, ce magma difficile à cerner même avec des images satellites, aura peut-être pris une forme plus conique que « haricot » entre l’Afrique et la Guyane, mais d’ors et déjà, les navigateurs semblent opter pour un couloir assez proche des côtes brésiliennes, entre le 30°W et le 32°W…

Paul Meilhat et Michel Desjoyeaux ayant décidé de rallier les Antilles françaises suite à l’arrachement en cours du bord de fuite de leur quille (pièce rapportée en composite qui se détache suite à un choc et les oblige à ralentir), SMA n’est plus dans le match et c’est un trio qui déboule plein Sud après son empannage de la nuit. Derrière, Initiatives Cœur et Le Souffle du Nord concèdent plus de 200 milles (une demie journée de mer) alors qu’un quartet navigue encore à la latitude de Madère avec plus de 4 00 milles d’écart (une bonne journée)… StMichel-Virbac devrait arriver au lever du jour en escale à Madère alors que Bastide-Otio est encore à Cascais (Portugal) depuis son arrivée hier au coucher du soleil.

Le triumvirat des Multi-50 s’est nettement dispersé depuis la dernière dépression açorienne : toujours en tête, Celia Village glisse rapidement (20 nœuds) vers le Sud-Ouest et devrait empanner en milieu de matinée, tout comme FenêtréA-Prysmian qui grignote mille par mille son retard. Plus en retrait, Arkema devrait passer au large des Canaries en début d’après-midi, ce qui devrait lui permettre de choisir une trajectoire plus tendue pour anticiper le Pot au Noir.

Enfin, Le Conservateur a fait le break chez les Class40 à l’issue de la dernière dépression : Yannick Bestaven et Pierre Brasseur ont désormais plus de cinquante milles de marge sur les deux plans Manuard, VandB et Solidaires en peloton-ARSEP. Dans un bon flux de Nord-Ouest 25 nœuds qui va lentement tourner au Nord-Est en mollissant 20 nœuds, les dix Class40 encore en course vont pouvoir dérouler dans des conditions nettement plus agréables que ces derniers jours : le soleil est au rendez-vous dès Madère, les températures montent, le vent se stabilise et la mer s’organise. Un parfum tropical propice à recharger les « batteries humaines » ! A 1 200 milles de l’archipel du Cap-Vert, ils en ont pour cinq jours minimum avant d’entrer dans la zone d’ombre, le Pot au Noir…

En tous cas, ces alizés enfin établis vont permettre à tous les duos de réparer les petits bobos accumulés pendant ces cinq premiers jours dynamiques : dès que les vagues se suivent et se ressemblent, un équipier va monter dans le mât pour faire un check-up, un autre va faire le tour du bateau pour changer une poulie ou renforcer un cordage. Les journées vont se succéder entre bricolage, repos, et surtout navigation pour éplucher les fichiers météo en vue du passage de l’équateur : il faut anticiper !

Ils ont dit

Yannick Bestaven, skipper du Conservateur (CLASS40)

« Le plus dur est derrière nous, les 24 dernières heures ont été difficiles mais on s’en sort bien en creusant l’écart. Nous en avons bavé comme tout le monde mais nous avons mieux géré. Le bateau souffre mais nous arrivons à en prendre soin. Demain, on va faire le tour du propriétaire pour tout mettre en état. La mer s’est bien calmée, on est sous spi, le vent va mollir et on va attaquer l’anticyclone. On attend avec impatience le petit rayon de soleil. »

Thierry Bouchard, skipper de Ciela Village (MULTI50)

« La nuit a été agitée avec des vagues fortes, l’air est chaud mais nous sommes encore bien trempés. Depuis quelques heures la chaleur est arrivée et la température monte, on va commencer à mettre de la crème solaire. Nous n’avons toujours pas eu de moment de répit mais le moral est au beau fixe. On a fait hier nos premiers repas complets, c’était rapide mais appréciable. »

Paul Meilhat, skipper de SMA (IMOCA)

« Hier midi, la quille s’est mise à vibrer, on s’est douté que c’était un problème de quille et on a arrêté le bateau. Juste avant la nuit, j’y suis allé en combinaison de plongée et je me suis rendu compte que la partie en stratifié de la quille s’était fissurée sur un mètre et qu’elle se décollait. Le bateau bouge énormément, on ne peut pas avancer très vite (entre 10 et 12 nœuds) et c’est compliqué d’intervenir dans ces conditions-là. Juste après le passage de la première dépression, j’avais senti le bateau taper dans quelque chose de mou et on avait fait une marche arrière. A cette vitesse, nous savons que nous allons arriver au moins une semaine après les autres au Brésil, on ne veut pas abîmer la quille qui est déjà bien endommagée. L’idée est de traverser le plus vite possible pour avoir du temps pour réparer en Guadeloupe avant la Transat B to B. »

François Gabart, skipper de Macif (ULTIME)

« Les conditions sont superbes, la lune magnifique, nous allons vite sans forcer. Nous approchons de l’archipel du Cap-Vert en naviguant avec Sodebo Ultim’, on descend vers le Pot au Noir et on devrait arriver vers les îles au lever du jour. Plus ça va, plus nous sommes contents des progrès du bateau. Nous venons d’empanner, on est bâbord amure, le bord où nous avons le foil, ce qui nous permet d’aller relativement vite, c’est un gain de temps énorme. Après il y a le Pot au Noir, j’espère que ça va bien se passer, c’est toujours difficile de savoir longtemps à l’avance à quoi il va ressembler, on pense avoir une approche plutôt Ouest. Avec Pascal, on s’organise bien, on tourne, on échange, on communique, on s’écoute, c’est riche. »

Source

Articles connexes