Interview de Francis Joyon
A quelques jours du début du stand-by du Trophée Jules Verne, Francis Joyon explique cette nouvelle grande aventure avec envie, humour et toujours son indéfectible bon sens.
Toi, le spécialiste du multicoque en solitaire, quelle mouche te pique de passer à l’équipage,?
« L’ancien bateau état très adapté au circuit solitaire. Mais on commençait à buter en performance, comme on l’a vu sur la Route du Rhum. Celui-ci, l’ex-Groupama 3 de Franck Cammas, peut faire les deux. Il y a surtout l’envie de découvrir ! J’apprends, je fais des choses différentes, je travaille en équipe. Je m’aperçois par exemple que le bateau a été conçu un peu à l’opposé d’IDEC qui était très simple et rustique. Là, on a un bateau plus complexe. C’est une approche totalement différente. J’essaie de m’adapter ! »
Pourquoi partir avec un équipage aussi réduit et quels ont été les critères pour choisir tes cinq équipiers?
«Il y avait énormément de candidats. J’ai privilégié trois choses : la compétence, la capacité à vivre ensemble et la motivation. Sur ce genre de record qui dure 45 jours, une bonne convivialité est indispensable dans l’équipe. Il y a des marins de grande expérience et des jeunes très motivés… il le faut car c’est un truc extraordinaire de partir autour du monde ! Je n’ai pris que des skippers, des ‘couteaux suisses’ polyvalents parce qu’il va falloir savoir tout faire à bord. »
Justement, 6 marins c’est très peu comparé aux 13 hommes tenants du titre ou aux 11 hommes de Groupama. Comment serez vous organisés à bord ?
« Je serai hors quarts. Il y aura en permanence deux hommes sur le pont – un barreur et un régleur, un autre en stand by prêt à intervenir et deux qui se reposent. Tout le monde va barrer, forcément. Voilà pourquoi il me fallait des skippers aptes à tout faire et pas des équipiers hyper spécialisés sur un seul poste, comme c’est le cas dans les gros équipages. Ce sera forcément sollicitant. Nous sommes sur un schéma de type expédition extrême. »
Sur ce même bateau, ils étaient 11 quand ils ont battu le record…
« Oui, mais ils étaient partis avec un très grand mât et un jeu de voiles sur drisses, sans enrouleurs. Le bateau a évolué avec un mât plus petit et des voiles sur emmagasineur qui font qu’il est un peu plus facile. En outre, le bateau a gagné à peu près deux tonnes entre la version équipage Franck Cammas et la version IDEC SPORT actuelle ! Nous sommes beaucoup plus légers et avec moins de fardage et de trainée… mais oui ce sera forcément exigeant. Il ne faut pas oublier non plus que partir avec moins d’équipiers c’est aussi gagner beaucoup en légèreté»
Côté technique justement, le fait de partir avec le petit mât n’est pas pénalisant en terme de performances ?
« La réponse est simple : d’une part cela permet de partir en équipage réduit et de naviguer avec deux tonnes de moins. Le bateau est plus sain, il y a moins de risque d’avarie. Surtout, dès que le vent est au-dessus de 20 nœuds on se retrouve dans la même configuration que s’il avait le grand mât avec un ris… et comme on fait deux tonnes de moins on va plus vite. Et sur un record autour du monde, le but est quand même de trouver du vent… donc ce n’est pas pénalisant, bien au contraire ! »
Côté routage, tu vas travailler avec Marcel Van Triest. Pourquoi lui ?
« Oui c’est nouveau ça aussi, on va se découvrir mais je ne me fais aucun souci : Marcel est le routeur tenant du titre sur le Trophée Jules Verne, il a un palmarès très impressionnant et c’est aussi un grand navigateur. Il est très en pointe sur le grand sud, il a beaucoup travaillé la zone icebergs et ce sera sûrement un avantage précieux, je pense. Il connaît bien la musique ! »
Quelle est la bonne recette pour battre ce fameux record absolu autour du monde ?
« Partir au bon moment et enchainer les systèmes météo de la manière la plus efficace possible. Je dirais que la moitié de la réussite se joue sur la vitesse du bateau et l’autre moitié sur cet enchaînement favorable. Et puis bien sûr, il faut de la coordination et de la motivation dans l’équipage, mais je ne suis pas inquiet là-dessus ! »
Ce sera ton troisième du monde après tes deux records en solitaire…
« Ce n’est pas tant que ça ! Il y a des gars comme Bernard Stamm, s’ils restent chez eux un seul hiver au lieu de tourner sur un bateau autour de la planète, ils se demandent ce qui leur arrive (rires) ! Il sera précieux à bord d’ailleurs, comme Clément (Surtel), Alex (Pella), Gwénolé (Gahinet) et Boris (Herrmann). Disons que j’ai toujours envie d’apprendre et que cette fois tout est nouveau pour moi : le bateau, l’équipage, le routeur, le système informatique… mais je suis motivé pour progresser (rires) ! »
Sur le chrono… que penser du fantasme d’un tour du monde en 40 jours ?
« Un record est un record : si on le bat d’une minute on l’a battu, si on le bat de 59 secondes on a échoué, c’est la règle… Après, bien sûr que nous sommes là pour chercher le meilleur temps possible. Mais 40 jours voudrait dire une progression de 8 jours par rapport au record de ce bateau mené par 11 hommes d’équipage… ça paraît beaucoup tout de même ! »
En passant, comme tu es hors quart et en équipage, cette fois tu vas pouvoir dormir beaucoup plus et beaucoup mieux, non ?
(Francis éclate de rire) « Houlà ! Je n’en sais rien… ce n’est pas gagné du tout, ça ! »