Avec un départ dimanche à 13h30 dans une petite brise de secteur sud-est, la flotte des quarante-deux duos de la Transat Jacques Vabre va entrer progressivement dans le rythme océanique. Car si les premiers milles s’annoncent laborieux, le tempo va s’accélérer dès la pointe du Cotentin pour devenir emballé à la sortie de la Manche. Ces conditions vont donc créer des écarts importants entre les quatre classes et des trous au sein de chacune d’elles selon les choix stratégiques à Ouessant.

S’il n’y a qu’une voie pour sortir de la Manche, il y a bien des chemins pour glisser vers l’équateur. Et la configuration météorologique qui se présente ce week-end est particulièrement intéressante de ce point de vue puisque le choix s’avère cornélien pour les navigateurs : suivre les logiciels de routage qui incitent à piquer vers l’Ouest pour passer au-dessus d’une dépression atlantique, ou se faufiler au louvoyage vers le cap Finisterre en longeant le front froid ? Telle est la question que se pose tous les duos, qu’ils embarquent sur un prototype tout neuf ou sur machine affûtée, qu’ils entament leur première traversée de l’équateur ou qu’ils cumulent plusieurs tours du monde…

Car il y a l’optimum et le raisonnable, la vitesse à risque et la préservation du matériel et des hommes, la volonté de s’échapper coûte que coûte ou la nécessité d’arriver à bon port. Et ce choix va semble-t-il dépendre autant du potentiel de la machine que du caractère des tandems.

Du mou qui s’accélère…

En fait, la plus grosse difficulté… sera au moment du coup de canon libérateur ! La brise s’annonce en effet plutôt faible (5 nœuds) de secteur est à sud-est. Il ne sera pas aisé de s’extraire de la masse pour avoir un souffle d’air face à un courant de marée encore contraire jusqu’à 15h30. Les 16 milles à parcourir jusqu’à la bouée Conseil Départemental Seine Maritime devant Étretat vont être laborieux mais la brise va doucement s’installer au sud-est en forcissant jusqu’à une petite dizaine de nœuds en fin d’après-midi : il y aura donc un sacré trou entre le premier trimaran Ultime qui devrait mettre une heure environ avant de piquer vers la sortie de la Manche et le dernier Class40 qui pourrait lui concéder plus de trois heures d’écart…

Et ce delta ne va que s’amplifier pour cette première nuit de course car il faudra attendre minuit et le débordement de la pointe du Cotentin pour que la brise de sud-est monte à plus de dix-huit nœuds ! Ça va donc partir par devant avec les Ultime à la longitude de Ouessant au lever du jour lundi quand certains Class40 seront encore au large des îles Anglo-Normandes… Les grands multicoques fileront à plus de trente nœuds quand les monocoques de 40 pieds peineront à une dizaine de nœuds au moment de la renverse à Cherbourg-Octeville (pleine mer à 7h30, coefficient 97) : le paramètre marée va d’ailleurs s’avérer essentiel pour les Class40 alors qu’il sera peu important pour les trois autres classes, à l’exception du passage de Ouessant pour ceux qui longeront les côtes françaises…

Trois voies vers les alizés

La dépression au large de l’Irlande étant relativement peu mobile, la route optimale pour les logiciels de routage fait passer au nord de son centre pour aller chercher la bascule du vent, mais si les 300 milles dans une forte brise de sud-est seraient vite avalés surtout par les Ultime, la descente vers les Açores serait particulièrement musclée avec huit mètres de creux et plus de 40 nœuds de nord-ouest : c’est un choix très risqué pour le matériel, surtout qu’une nouvelle dépression venue de Terre-Neuve mardi soir, imposerait soit du près, soit de repiquer vers l’Espagne…

La deuxième solution serait de serrer le vent dès Ouessant pour piquer dans une brise de sud 20-25 nœuds avec grains. Il faudrait ensuite effectuer plusieurs virements de bord pour déborder le cap Finisterre dans un vent oscillant du sud à l’ouest dans un front froid qui se délite. Cette voie semble la plus raisonnable et la plus logique sachant que les bateaux devront ensuite négocier une transition délicate et étendue pour passer du flux perturbé d’ouest de l’Atlantique Nord aux alizés faibles à modérés de nord-est sous Madère : rester au large des côtes portugaises en milieu de semaine (option 2) permettrait de conserver de la pression quand arriver par l’ouest des Açores (option 1) obligerait à traverser un anticyclone en plein remaniement !

Enfin, certains duos pourraient être tentés de jouer la sécurité avant tout, en restant à l’intérieur du golfe de Gascogne où la mer restera maniable avec un vent d’une douzaine de nœuds de secteur est à sud en avant du front… Ce pourrait être le choix de certains Class40 qui auront tout de même à se recaler au niveau des côtes espagnoles pour déborder le cap Finisterre dans un flux de sud-ouest 20-25 nœuds.

Une flotte scindée en trois

Route ouest (option 1), sud-ouest (option 2) ou sud (option 3), la flotte de la Transat Jacques Vabre va de toute façon se scinder en trois groupes en raison du différentiel de vitesse : dès lundi midi, certains seraient au sud de l’Irlande, d’autres à la sortie de la Manche et les derniers au large de Roscoff… Et après 48 heures de course, les premiers Ultime seraient à la latitude de Lisbonne, les leaders IMOCA et Multi50 à la hauteur du cap Finisterre et les Class40 sur le parallèle des Sables d’Olonne. Et quand le premier trimaran va toucher les alizés poussifs des Canaries, les monocoques IMOCA et les Multi50 peineront à sortir d’un flux d’ouest entre Açores et Madère quand les premiers Class40 seront encore au louvoyage au large de la pointe nord-ouest de la péninsule ibérique… Les trous de la Manche ne vont que s’agrandir au fil des jours !

Mais pour autant, la course annonce ensuite une succession de chambardements car les alizés sont très instables et plutôt mous, le Pot au Noir très développé vers le Nord, l’Atlantique Sud mal organisé. Il faut donc s’attendre à ce que les nouveaux prototypes ne soient pas à la fête pour ces trois premiers jours de course mais qu’ils auront bien des opportunités de revenir dans le match d’ici l’arrivée à Itajaí !

Les chiffres du jour

  • 90 000 inscrits sur Virtual Regatta
  • Près de 400 000 visiteurs sur le village de la Transat Jacques Vabre depuis l’ouverture
  • 3 000 personnes seront embarquées sur des bateaux à passagers pour assister au départ

Ils ont dit…

Louis Duc, Carac-Advanced Energies (Class40)

« Nous partons demain avec du grand beau temps, j’espère qu’il y a aura un petit peu de vent. Avec du sud-est, nous serons au portant jusqu’au raz Blanchard. Ça ira vite pour arriver à la pointe de Bretagne que nous atteindrons a priori lundi en fin de journée. Pour nous, ce sera raisonnable, parce que la dépression va se combler, ce sera plus compliqué pour les multicoques. Nous, on aura le choix de mettre le clignotant à gauche rapidement. Il y aura une bascule que l’on prendra ensuite. Ce ne sera pas extrême pour nous. Je n’ai jamais été aussi prêt que ça sur mon Class40. Christophe a bien travaillé sur le bateau. Nous partons sereins. »

Lalou Roucayrol, Arkema (Multi 50) :

« Ça va être sport ! En Multi50 en tout cas. Nous allons gérer les conditions de vent, qui sont finalement normales fin octobre, mais là où ce sera compliqué, c’est l’état de la mer. Il y aura une mer très formée, croisée, nous allons être secoués ! La sortie de Manche sera rapide, mais à partir de lundi et la journée de mardi, finalement jusqu’au cap Finisterre, ce sera dur. Mais il faudra passer rapidement, car on peut aussi reprendre du vent au cap Finisterre. Il faudra aller vite dans la mer défoncée, c’est ça le problème… »

Yann Régniau, Bastide-Otio (IMOCA)

« Je pense qu’on a connu pire ! La mer sera forte mais au niveau du vent, ça ne sera pas si fort que ca. Nous avons des bateaux faits pour ça, nous sommes prêts avec Kito (de Pavant), ça nous convient tout à fait. Nous ferons de l’ouest, mais nous aurons quand même le choix aussi de ralentir, de faire un cap différent. Par rapport aux fichiers météo, le vent ne sera pas si fort que ça. C’est tout à fait navigable. On aura deux jours de près dans la mer formée, mais après la bascule au nord-ouest, ça ira mieux. On prépare quand même les casques à boulons, les bottes et les cirés ! »

Pascal Bidegorry, MACIF (Ultime)

« Il ne faut pas minimiser en disant qu’on peut faire tout et n’importe quoi avec ces bateaux sous prétexte qu’ils sont conçus pour le tour du monde en solitaire ! Naviguer dans sept à neuf mètres de vagues, ce n’est pas innocent… Il s’avère difficile d’éviter cette dépression et surtout ce champ de houle qui va rentrer dans le golfe de Gascogne, et que plus tu es en retard, plus les conditions se dégradent. Il faudra faire vite du sud et passer au cap Finisterre rapidement, ce qui n’est pas évident ! »

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