Favoris, outsiders et incertitudes…
Comme lors de tous les départs, certains tandems équipages-bateaux cumulent un tel palmarès et une telle complicité qu’ils font partis des favoris. Mais comme toutes les courses océaniques, nombre de paramètres viennent brouiller les pistes, que ce soit les conditions météorologiques, les aléas techniques, les options stratégiques, les fortunes de mer… Tentative de hiérarchisation d’une flotte répartie en quatre classes aussi variées que disparates.
Quels seront les quatre vainqueurs de cette douzième édition de la Transat Jacques Vabre ? Personne n’en sait rien, mais il y a tout de même certains repères qui autorisent à privilégier tel ou tel duo. Ne serait-ce que l’expérience, les résultats, le temps de préparation, l’évolution technique de la machine… et l’âge du capitaine !
Ainsi les classements de la dernière édition n’ont pas vraiment surpris même si parfois l’ordre d’arrivée sur le podium n’était pas toujours évident : le duo Josse-Caudrelier en MOD 70 était fort probable, la victoire de Riou-Le Cam en IMOCA 60’ très possible, la suprématie de Le Roux-Eliès en Multi 50 statistiquement prévisible, le score de Rogues-Delahaye en Class40 presque programmé… Mais pour autant, qui aurait imaginé le duo Roucayrol-Riffet chaviré en Multi 50 ou le démâtage de Gabart-Desjoyeaux en IMOCA ?
Bref se projeter quatre jours avant le départ du Havre sur la transatlantique la plus longue de la course au large (5 400 milles) avec des prévisions météorologiques encore incertaines tant dans le golfe de Gascogne que pour la transition vers les alizés, pour la dimension et l’intensité du Pot au Noir, pour l’établissement des alizés brésiliens ou pour la situation plus ou moins orageuse dans le golfe de Rio de Janeiro… a des saveurs de gageure. Mais les pronostics sont aussi là pour imposer une argumentation et prendre un part de risque !
Nouvelle génération
Plus condensé que lors de la dernière édition, la Class40 est aussi plus homogène et le différentiel risque fort de porter sur l’osmose entre le duo sur le pont et la monture. De ce point de vue, Le Conservateur (Yannick Bestaven-Pierre Brasseur) semble en terme de potentiel, un tout petit cran au-dessus de Bretagne-Crédit Mutuel Elite (Nicolas Troussel-Corentin Horeau), Teamwork 40 (Bertrand Delesne-Nils Palmieri) ou de Solidaires en peloton ARSEP (Thibault Vauchel Camus-Victorien Erussard). A surveiller aussi le radical plan Jason Ker de Jack Bouttell et Gildas Mahé, Team Concise qui avait déjà impressionné il y a deux ans avant d’abandonner sur casse technique.
Évidemment, les derniers-nés peuvent bouleverser les pronostics, mais le manque de préparation et d’entraînement à bord reste un handicap pour Eärendil (Catherine Pourre, Antoine Carpentier) et VandB (Maxime Sorel-Sam Manuard). Les sept autres Class40 inscrits auront certainement du mal à suivre le rythme, surtout si le vent de travers statistiquement majoritaire sur ce parcours est au rendez-vous, soit parce que le bateau est trop ancien, soit parce que l’équipage n’a pas cumulé assez de milles à son bord : Carac-Advanced Energies (Louis Duc-Christophe Lebas), Club 103 (Alan Roura-Juliette Pêtrès), Concise 2 (Philippa Hutton Squire-Pip Hare), Créno Moustache solitaire (Thibault Hector-Morgan Launay), Groupe Sétin (Manuel Cousin-Gérald Quéouron), SNBSM Espoir Compétition (Valentin Lemarchand-Arthur Hubert), Zetra (Eduardo Penido-Renato Araujo). Mais l’océan est un tapis bosselé qui cache bien des ornières…
Duel arbitré
Si la classe Multi 50 n’est pas très étoffée, elle n’en reste pas moins très ouverte avec deux duos qui se connaissent bien pour s’être battus à plusieurs occasions sur l’Atlantique. FenêtréA-Prysmian est le tenant du titre et Erwan Le Roux a navigué dessus dès sa mise à l’eau en 2009 ! Avec l’Italien Giancarlo Pedote, le tandem va devoir contrer l’Arcachonnais Lalou Roucayrol assisté par le maître-voilier César Dohy, à bord d’un Arkema désormais parfaitement optimisé et au point. Les différences de potentiel sont très faibles et c’est plus le positionnement tactique et la réactivité qui feront la différence, avec toutefois deux autres équipages mort-la-faim.
Même si La French Tech-Rennes Saint Malo n’a jamais réussi à s’imposer (à l’exception de la Route du Rhum 2010 avec Lionel Lemonchois), l’équipage a de quoi faire vaciller les certitudes avec Gilles Lamiré régulièrement sur le podium épaulé par Yvan Bourgnon de retour d’un tour du monde en solitaire sur un catamaran de sport. Si la brise est au rendez-vous, il faudra se méfier de ce cocktail explosif !
Enfin, si Ciela Village est un nouveau venu au sein des partenaires nautiques, le trimaran cumule les milles depuis sa mise à l’eau il y a dix ans. Avec de nouveaux flotteurs issus des moules de FenêtréA-Prysmian, l’ex-Crêpes Whaou 2 a plus que des arguments en terme de performance. Et si l’équipage Thierry Bouchard-Olivier Krauss découvre l’univers du multicoque, son expérience et sa rigueur en Class40 est un atout. Après une phase préparatoire, il faut s’attendre à quelques surprises de la part de ce trio…
Du monde au balcon
C’est LA classe majuscule de cette Transat Jacques Vabre : depuis que la nouvelle jauge a autorisé les foils, les monocoques IMOCA 60’ bouillonnent d’innovations et de recherches sur ces appendices. Les anciens ont sérieusement optimisé leur monture, les nouveaux tâtonnent encore quant à la forme et à l’incidence à donner à ces plans sustentateurs… Bref cette traversée de l’Atlantique a un goût particulier : non seulement les résultats seront pris en compte, mais surtout chaque phase météorologique sera analysée car à l’issue de cette épreuve, il y aura certainement de gros chantiers à effectuer. Pour les nouveaux prototypes comme pour les « anciens »…
Sur le papier, le plus optimisé est le tenant du titre, PRB mené par Vincent Riou et Sébastien Col : le plus léger de la flotte est probablement le plus polyvalent de tous. Avec parmi les « anciens », l’ex-vainqueur du Vendée Globe 2012, SMA étant cette fois aux mains de Paul Meilhat et Michel Desjoyeaux. Et il faudra aussi surveiller ses deux quasi-sisterships, Maître CoQ (Jérémie Beyou-Philippe Legros) et Bastide-Otio (Kito de Pavant-Yann Régniau) qui ont des arguments sur ce parcours qu’ils connaissent bien, ainsi que Quéguiner-Leucémie Espoir (Yann Eliès-Charlie Dalin) qui reste la référence des IMOCA actuels.
Au sein des « nouveautés », force est de constater que le délai de mise au point de ces machines à foils s’est avéré très court pour certains comme Saint Michel-Virbac (Jean-Pierre Dick-Fabien Delahaye), Hugo Boss (Alex Thomson-Guillermo Altadill) ou Safran (Morgan Lagravière-Nicolas Lunven). Les deux plus aboutis à ce jour semblent donc Banque Populaire VIII (Armel Le Cléac’h-Erwan Tabarly) et Edmond de Rothschild (Sébastien Josse-Charles Caudrelier), mais encore faudrait-il que les allures vent de travers prédominent les premiers jours de course…
Enfin, la génération 2006-2008 a toujours des arguments si la météo est scabreuse en ouvrant des champs stratégiques plus larges que ce parcours de 5 400 milles orientés Nord Est-Sud Ouest le laisse penser : Bureau Vallée (Louis Burton-Romain Attanasio), Comme un seul Homme (Éric Bellion-Sam Goodchild), Adopteunskipper.net (Nicolas Boidevézi-Ryan Breymaier), Initiatives-Cœur (Tanguy de Lamotte-Sam Davies), Le Bateau des métiers by Aérocampus (Arnaud Boissières-Stan Maslard), Le Souffle du Nord (Thomas Ruyant-Adrien Hardy), MASCF (Bertrand de Broc-Marc Guillemot), Newrest-Matmut (Fabrice Amédéo-Éric Péron) peuvent créer la surprise à Itajaí. Reste O Canada (Eric Holden-Morgen Watson) et Spirit of Hungary (Nandor Fa-Péter Perényi) qui ont peu de chances de figurer parmi le top 5.
Un grand favori
De fait la classe Ultime avec ses quatre trimarans au profil très différent, est probablement la plus facile à cerner. Il y a d’abord le potentiel intrinsèque de la machine et de ce point de vue, Sodebo Ultim tient la corde : l’ex-Geronimo a été sérieusement mis au goût du jour pour la dernière Route du Rhum et a confirmé qu’il était l’un des plus puissants et l’un des rapides du monde. Le tandem Thomas Coville-Jean Luc Nélias a en sus, traversé par deux fois l’Atlantique cet été et le multicoque a été bien optimisé l’hiver dernier.
A ses côtés, le tout nouveau MACIF manque encore de navigation même si François Gabart et Pascal Bidegorry sont très expérimentés en multicoque. Et il lui manque aussi un foil, le délai de réalisation ayant été trop long ! C’est donc avant tout un test de validation sur une longue distance, tout en gardant la possibilité de s’engouffrer s’il y a une ouverture stratégique.
Avec trois années de pratique, Lionel Lemonchois connaît sur le bout des doigts son trimaran ORMA boosté à 24 mètres et son co-équipier Roland Jourdain sort d’une campagne estivale à bord de l’ex-Groupama 3 ! C’est donc plutôt la taille réduite de Prince de Bretagne, multicoque plus volage et plus exigeant que ses concurrents, qui met un bémol à ses capacités : redoutable dans les petits airs, il est moins à l’aise dans la brise.
Quant à Actual, c’est plus sa mise en main tardive qui retire des atouts à ce 4×4 conçu pour le tour du monde en solitaire. L’ex-Sodebo est plus à l’aise dans les phases de glisse que contre le vent ou au travers, mais le tandem Yves Le Blévec-Jean-Baptiste Le Vaillant a une expérience rare de ce type de multicoque…
Ils ont dit
Yannick Bestaven, skipper de Le conservateur (Class40)
« Pour moi, il y a clairement quatre favoris dont nous faisons partie: Bretagne – Crédit Mutuel Elite avec Nico (Troussel) et Corentin (Horeau), Solidaires en Peloton avec Thibaut (Vauchel-Camus) et Victorien (Erussard), et Team Concise avec Jackson (Bouttel) et Gildas (Mahé). Sur la durée, je pense que ceux qui ont leur chance ce sont les binômes aguerris et préparés qui ont beaucoup navigué ensemble. Le Conservateur est un bateau récent puisqu’il a été mis à l’eau avant la Route du Rhum, et nous avons navigué toute l’année ensemble avec Pierre (Brasseur). Je pense que pour gagner une Transat Jacques Vabre il faut attaquer dès le début, avoir de l’expérience et savoir saisir la chance quand elle se présente. Dans tous les cas ce sera un beau match ! ».
Thierry Bouchard skipper de Ciela Village (Multi 50)
« Nous ne connaissons pas bien le support car nous venons du monocoque. Le bateau a été mis à l’eau le 25 septembre donc ce sera plutôt une découverte de nouvelles sensations sur cette Transat Jacques Vabre. Mais nous allons nous accrocher au wagon ! Nos adversaires connaissent parfaitement leurs bateaux, et je pense qu’Erwan Leroux peut encore être victorieux puisqu’il a tout gagné cette année. Ce qui est sympa, c’est que les coureurs de la classe Multi 50 sont contents de nous voir arriver… »
Jean-Pierre Dick, skipper St-Michel/Virbac (Imoca)
« Au niveau du plateau de coureurs en Imoca, c’est la plus belle Transat Jacques Vabre par le nombre de bateaux et la qualité des skippers. Il y a vraiment du très haut niveau. Il ne va pas falloir hésiter et d’emblée rentrer dans le rythme. Notre équipage avec Fabien (Delahaye) fonctionne bien, nous sommes dans le coup, l’idée est de faire de belles trajectoires. Ce sera aussi un test pour beaucoup d’entre nous qui avons finalement peu navigué à bord de nos nouvelles machines. Ce sera une course importante. »
François Gabart, skipper de Macif (Ultime)
« La priorité sera de découvrir le bateau, le fiabiliser, emmagasiner de l’expérience et de terminer la course ! L’objectif n’est pas de gagner mais de mettre au point le trimaran. Même en phase de découverte nous pourrons être performants. Pascal et moi sommes des compétiteurs. Nous savons que nous avons entre les mains un bateau rapide et nous n’avons pas l’intention de ralentir. Cette année nous mettons un bateau à l’eau et souhaitons le développer et le faire progresser en vue d’un programme de course sur 5 ans. »