Insatiables voyageurs
Fabrice Amedeo et Eric Péron n’ont sur le papier que peu de choses en commun. L’un, FabriceAmedeo, est journaliste, un peu écrivain, un peu philosophe. L’autre, EricPéron, est depuis plusieurs années ce que d’aucuns appellent un navigateur professionnel, qui a fait de sa passion pour la mer un métier. Tous deux rêvent d’horizons toujours plus élargis, en compétition de préférence, pour l’adrénaline iodée que procure la course au large, mais aussi pour prolonger les langueurs océanes dont ni l’un ni l’autre ne semble se rassasier. Et c’est là que les deux hommes se retrouvent, instinctivement, sans même disserter. Partir, courir, découvrir, ressentir, s’émerveiller jusqu’à s’essouffler… autant d’éléments imperceptibles aux terriens et que tous deux, dans des démarches professionnelles différentes, aspirent à renouveler toujours et encore. Alors cette Transat Jacques Vabre se révèle soudain dans toutes ses composantes comme le parfait format pour assouvir même momentanément leurs irrépressibles désirs communs de larguer les amarres, de partager la solitude si singulière des hommes du large, de confronter les mêmes envies de contemplation et de découverte, d’être en permanence en demeure de pousser un peu plus loin le curseur de leur endurance et de leurs capacités. La Jacques Vabre ; plus qu’une simple course, un voyage au sens premier du terme, riche d’inconnu, de mystère, de confirmations et de révélations espérées.
Le sextant et la plume
Amedeo est un bûcheur, une tête, une tronche. Des bancs de son école de Segré, aux pupitres de Khâgne, Hypokhâgne et Sciences Politiques, ce fils de vétérinaire n’a eu de cesse de tester, entretenir puis ciseler sa capacité à encaisser des doses massives de travail. Une aptitude naturelle, viscérale, instillée par nulle éducation ou doctrine parentale, qu’il met à 25 ans et un peu par hasard au service du journalisme, profession qu’il embrasse pour le challenge intellectuel qu’il représente et pour assouvir ce désir d’immersion dans l’action et dans la réflexion.
La pratique de la voile lui vient très tôt, dès l’âge de trois ans à bord du bateau familial que son père mène de régates du dimanche en Spi Ouest France à La Trinité sur Mer. Judoka, attiré par l’athlétisme et l’effort épuré, Fabrice Amedeo se montre pourtant sur l’eau d’une étonnante assiduité à tout apprendre très vite du maniement d’un bateau à voile. Point de plan de carrière mouillé de sel à cette époque pour le jeune homme qui observe de loin les cadors du moment défier ondes et océans sur leurs drôles de machines. Mais l’ambivalence de son caractère est en marche. A l’aise à la ville dont il aime l’énergie, au contact des hommes et de leurs problématiques primaires, Amedeo se découvre en mer une âme de solitaire, un bien être charnel et cérébral à maîtriser seul son destin, sa route, son rythme de vie. Au culot, à la chance, il approche un de ces marins qu’il vénère secrètement, le Niçois Sébastien Josse, de retour en 2008 d’une Volvo Ocean Race particulièrement trépidante. Seb lui lance : « Toi aussi tu as le droit de vivre la grande aventure! » et plante le décors de ses 10 prochaines années. L’attachement de son employeur, le Figaro, à la course au large ne lui échappe pas. A la question « et pourquoi pas moi? », il répond par une tentative en 2008 dans la grande essoreuse à solitaires. Ainsi que les résultats, modestes, en attestent, le marin de l’année n’est pas né de cette expérience, et aucune révélation divine n’a touché le jeune bizut. Mais Amedeo et la mer se sont apprivoisés, acceptés, compris.
L’horizon toujours parisien du jeune reporter du large s’est agrandi et Fabrice s’autorise de plus en plus souvent des rêves d’océans et de nouveaux continents. Le ciré recouvre avec de plus en plus de permanence le costume de journaliste et Amedeo comprend vite les avantages à savoir jongler avec les casquettes lorsque l’on prétend entrer dans la cours des grands de la voile hauturière. Homme de réseaux, de contacts et de communication, il séduit, convainc, et rallie des partenaires à ses rêves. Il est en 2010 et 2014 au départ de la Route du Rhum, à la barre d’un vrai coursier des mers, un Class40 qu’il saura dompter sans heurt entre Saint Malo et Pointe à Pître. De révélations en certitudes, Fabrice Amedeo a conquis le droit de toucher son Graal, son Everest, son tour du globe, en solitaire, sans escale ni assistance…. la juste mesure pour ce marin contemplatif qui attend des longues nuits étoilées, la révélation des merveilles.
L’homme tranquille
« Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité ». La célèbre sentence de Saint-Exupéry accompagne la vie et la carrière d’Eric Péron. Oh, pas seulement parce que ce bigouden éperdu cultive les paradoxes en élevant ses propres moutons tout en parcourant en course les océans, mais bien parce qu’à 34 ans, le marin que la dernière édition de la Volvo Ocean race vient de révéler dévore avec pragmatisme les opportunités que la vie place sur ses pas, et scande sa vie au ryhme des rêves d’enfant réalisés à l’âge adulte. Voilier, entrepreneur, et dernière pirouette en date, la possibilité de participer à la douzième édition de la Transat Jacques Vabre, en 60 pieds Imoca de surcroit, Péron soupèse et jauge les choix qui s’offrent à lui à leurs valeurs aventurières, à leurs potentiels de découverte et d’émerveillement. La compétition l’habite de manière essentielle, lui l’homme d’action aux milles facilités sportives. La nature, il la vit, la dévore comme le carburant de ses quêtes. Elle est l’élément central d’une vie qu’il construit en référence à ses visions infantiles. Sur terre comme sur mer, il se veut aître de sa destinée, de ses aspirations, et la performance lui vient là encore, naturellement. Péron est un homme à la force tranquille, et la mer est son jardin.