La 46e édition de la Rolex Fastnet Race restera dans les mémoires. Édition anniversaire riche d’une flotte record de 356 voiliers, elle aura offert une météo des plus variables, éprouvant la tactique, les compétences, la détermination et parfois la patience des uns et des autres avant d’offrir la victoire à l’un des héros méconnus du sport, l’un des ces navigateurs gagnant discrètement courses et régates dans le plus pur esprit corinthien. Le succès de Géry Trentesaux et de son talentueux équipage sur leur 35 pieds Courrier du Léon n’a peut-être pas revêtu le côté spectaculaire de l’incroyable victoire d’un double lors de la précédente édition. Il n’en reste pas moins que ce sont de grands vainqueurs, des marins qui honorent leur discipline et se battent à la fois contre leurs pairs et contre eux-mêmes et leurs limites, enrichissant de belle manière la légende de la Rolex Fastnet Race.

La 46e édition de la Rolex Fastnet Race se devait d’être très particulière et ce pour deux grandes raisons essentielles : le 90e anniversaire de la course, née en 1925, et le 90e anniversaire du club organisateur, le Royal Ocean Racing Club (RORC), fondé quelques jours après la première édition avec l’intention avouée « d’encourager la course à la voile sur de longues distances. » Depuis, la Rolex Fastnet, tous les deux ans, répond totalement à cette ambition. Sa taille, sa stature, sa réputation et sa longue histoire reflètent la qualité de son organisation au long cours.

Michael Boyd, commodore du RORC, qui participait cette année sur Quokka 8, n’a pas manqué de souligner que « la 46e édition de la Rolex Fastnet Race lors de notre 90e année allait être très spéciale pour nous. Nous avons enregistré un nombre record de participants, assisté à une étonnante série de courses dans la course et les différentes catégories avec de très beaux résultats. Nous avons un incroyable vainqueur. Nous savions qu’il était excellent mais nous ne savions pas à quel point ! Quoi qu’il en soit, cela présage d’un nouveau record de participation dans deux ans. »

L’épreuve et le RORC n’étaient pas les seuls à célébrer un grand anniversaire cette année. En effet, le Royal Yacht Squadron, qui, traditionnellement, lance la course depuis son clubhouse historique de Cowes, sur l’île de Wight, est désormais bicentenaire ! Le départ de la Rolex Fastnet 2015 fut l’une des grandes réjouissances d’une année de festivités. Rolex est partenaire des deux clubs depuis longtemps, ainsi que de la course que la marque genevoise soutient depuis 2001.

Ces différents anniversaires ont rendu cette course, déjà très célèbre, encore plus attirante. Depuis plusieurs années, le RORC subit la très forte pression des candidats à l’épreuve. Le plafond de 300 participants, fixé au lendemain de la tragédie de 1979, a finalement été atteint en 2009 puis dépassé en 2011 et 2013, le club ayant trouvé le moyen d’accueillir autant de bateaux que souhaité. Cette année, la limite de la flotte IRC – les voiliers en lice pour le classement général du Fastnet Challenge Trophy avec montre Rolex – a été fixé à 340, avec la possibilité pour 50 autres voiliers de concourir pour leurs propres prix dans les catégories dites professionnelles : multicoques, IMOCA 60, Class 40 et Figaro.

À l’ouverture des inscriptions, ce fut la ruée : la liste IRC fut remplie en 24 minutes à peine, contre 24 heures en 2013 ! Le difficile processus de qualification exigé des bateaux et des équipages a fait le tri, permettant finalement à 356 voiliers de se présenter, dont 312 en lice pour le classement général. Les records de 2013 ont donc été effacés, ce qui prouve la belle santé de la course au large et reflète l’esprit d’effort et de défi personnel qui coule dans les veines de ce sport. « Sept bateaux étaient là en 1925 avec, tout le monde le clamait, comme premier objectif de bien s’amuser, » poursuit Michael Boyd. « À voir les sourires qui illuminaient les visages des compétiteurs cette année et à écouter les commentaires de chacun, je pense qu’en général, ils ont pris beaucoup de plaisir. Nous leur offrons ce qu’ils souhaitent. Nous ne leur rendons pas la vie facile. Nous insistons sur le fait qu’ils soient en sécurité et bien préparés. Certains s’en plaignent mais ils savent que cela en vaut la peine. »

La course ne restera pas dans les annales sous la rubrique « classique ». En cause, les caprices des dieux de la météo. Pour commencer, peu ou pas de vent. Puis avec la brise, de la pluie battante, du brouillard, de la bruine… et même un mélange typique de bruine et de brouillard mouillant né au sud-ouest avant d’atteindre le Royaume-Uni. Ce fut une épreuve à défis plus qu’une course réellement dure, avec deux premiers jours sous le soleil et un air relativement léger puis une seconde partie assortie d’une classique bagarre vers le Fastnet et retour sur la ligne d’arrivée au large de Plymouth.

On s’attendait à ce que le maxi multicoque Spindrift 2 efface toute opposition, laquelle ne dépassait en général pas la moitié de sa longueur (131 pieds, 40 mètres). Pourtant, Prince de Bretagne eut l’impertinence de le menacer, particulièrement au large des îles Scilly lors du retour. Le trimaran suisse, co-skippé par Dona Bertarelli et Yann Guichard, franchit finalement la ligne à 22h57’41’’ BST (GMT+1) après 2 jours, 10 heures, 57 minutes et 41 secondes, soit à plus d’un jour de son propre record établi en 2011.

En monocoques, tout semblait joué d’avance entre le 100 pieds américain Comanche de Jim Clark et Kristy Hinze Clark, lancé en 2014 et largement considéré comme le plus rapide maxi voilier actuel, et Leopard, un autre 100 pieds, plus âgé et plus lourd, ancien habitué des victoires et ancien détenteur du record du parcours, ainsi que Rambler, plus court (88 pieds) mais lui aussi récemment lancé.

Mais le plein potentiel de Comanche ne se révèle que s’il y a du vent ! Avec deux premiers jours sans vraie brise, le skipper Ken Read et son équipage professionnel ne purent se débarrasser d’un Rambler particulièrement collant. Et puis la course entre ces deux navires se termina sur le fil quand Comanche arriva au Plymouth Breakwater (brise-lames de Plymouth) avec quatre minutes et demi d’avance seulement. « Honnêtement, ce fut l’une des courses les plus bizarres de ma vie, avec des démarrages et des arrêts, des gens que vous laissiez pour morts derrière et qui se retrouvaient soudain à côté de vous… Ça a été phénoménal ! » a raconté Ken Read. Quant au propriétaire de Rambler 88, George David, il était plus que satisfait des performances de son bateau plus court. « Ce fut une course par petit vent, » explique-t-il. « Il nous a fallu une éternité pour tourner autour du rocher. Alors pour nous, arriver à quelques minutes [de Comanche], c’est remarquable. »

La victoire finale fut une affaire complexe. Un moment, on pensa que le manque de vent ferait l’affaire des plus grands voiliers dont les mâts plus hauts et les surfaces de voilure plus grandes étaient censés leur permettre de capter tout le vent disponible… quand il y en avait. Dieter Schön et son Momo ont ainsi parcouru une première partie de course phénoménale. Concédant beaucoup de longueur de flottaison et de technologie à ses rivaux maxi à quille pendulaire, le Maxi 72, parti quatrième, semblait toutefois avoir ses chances. Las ! Des vents plus frais et plus stables au Fastnet redonnèrent un peu d’espoir à des voiliers plus petits, beaucoup d’entre eux n’ayant pas encore contourné le Fastnet le temps que Momo soit amarré à Plymouth.

Le départ de Courrier du Léon fut loin d’être spectaculaire. Par petit vent, après un départ volé, le bateau perdit d’entrée de jeu quelque 40 minutes pour rattraper une erreur qui aurait été fatale à la plupart des équipages. Si Trentesaux en fut irrité, il ne le montra pas, préférant, avec son équipage, réparer les dégâts et reprendre du terrain chaque fois que s’en présentait l’occasion.

Le Français de 56 ans en était à sa 13e Rolex Fastnet Race depuis 1977. L’expérience a parlé, d’autant que Trentesaux était soutenu par un équipage exceptionnel de six hommes dont cinq naviguent régulièrement avec lui depuis 1999. « La Fastnet est une course d’endurance, comme les 24 Heures du Mans. L’important n’est pas comment on y démarre mais comment on y termine, » rappelle Trentesaux. « Cette année, les prévisions évoquaient peu de vent et au départ, il n’y en avait pas. Du coup, ça a été plus compliqué que les autres années. Nous avons dû trouver le vent, bien nous placer et ne rien lâcher. »

« J’ai fait ma première Fastnet en 1977 et elle était très lente. J’avais un Nicholson 51 et il nous a fallu sept jours pour terminer. J’y étais également en 1979, » affirmait Trentesaux peu après la confirmation de sa victoire. « Quand j’étais jeune, la Fastnet était unique, la plus grande course au monde, et y participer à 18 ans a été fabuleux. Les choses ont beaucoup changé en 40 ans mais ce sont de grands souvenirs, parmi les meilleurs de ma carrière. C’est incroyable de remporter cette épreuve mythique. »

La Rolex Fastnet Race 2015, à défaut d’entrer dans l’histoire comme une édition classique, restera mémorable. Elle a donné tout ce que l’on peut attendre d’une épreuve au large de 600 milles nautiques. Marins, équipages, tous ont relevé le défi, montrant toutes les caractéristiques requises pour réussir dans les disciplines les plus exigeantes de la voile de compétition. Seuls dix bateaux ont été contraints à l’abandon. Preuve en est de l’esprit de persévérance qui a dominé cette édition et caractérisé toutes les précédentes.

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