Et l’extraordinaire est arrivé
Que Spindrift remporte le raid côtier de Nice, vendredi, devant Radio Vinci Autoroutes et Prince de Bretagne, c’était de l’ordre du possible. Que le vent faible de la baie des Anges fasse jouer le Tour à la roulette, c’était probable. Mais que raid entre Nice, Cap Ferrat et l’aéroport pousse le suspense à ce point l’était beaucoup moins. Spindrift, vainqueur du jour, est ce soir en tête, à égalité de points avec Groupama qui termine 14e, et au ralenti. Neuvième du raid, CombiWest est à trois points de la tête. La lutte finale, demain, sur le stade nautique, sera assurément époustouflante !
Qui, à part peut-être Groupama, leader au matin de ce raid côtier, pourrait se plaindre du fantastique scénario que le Tour de France à la Voile est en train de servir ? La victoire de Spindrift, ce jour, c’est un peu le drop de 25 mètres de Jonny Wilkinson en finale de la coupe du monde 2003 pour assommer les Australiens en prolongations, un putt de 25 mètres qui rentre pour un eagle victorieux sur le trou n°18 d’un British Open, une égalisation à la 119e minute d’une demi-finale de coupe d’Europe… Un événement que chacun se prend à rêver de vivre ou de créer, mais qui n’arrive qu’en de rares instants d’extraordinaire.
Spindrift, bien sûr, n’a rien volé, et certainement pas cette victoire magistrale que François Morvan, Thierry Douillard et Matthieu Vandamme ont signée en suivant leur instinct. « On a été les seuls à faire ce qu’on avait dit ce matin, à savoir faire notre course sans se soucier du leader », rigole François Morvan. « On voulait vraiment partir tribord au bout, et se mettre au vent de la flotte en bâbord, parce qu’on a vu la pression descendre de Villefranche-sur-mer (à l’est) sur Nice », décrypte Thierry Douillard, tacticien ravi mais encore bouillant de l’excitation de ce raid couru au ralenti. « On a vu CombiWest et Groupama aller chercher sous le vent en bâbord. Il nous restait à prendre un super départ et à faire un bon bord de près. Et notre bord de près a été fabuleux… »
Groupama et CombiWest avaient, eux, choisi l’autre côté de la ligne de départ. Décidé à ne s’en prendre qu’à lui-même, Frédéric Guilmin parle d’un scénario de « petites quéquettes. On part bâbord, on fait attention à ne pas prendre de pénalité, on ne veut pas mordre la ligne, on reste un peu avec Groupama… et on part ensemble du mauvais côté. » En technicien du multicoque, rôdé au plan d’eau de Nice sur lequel il s’est imposé à deux reprises en Extrem Sailing Series, Pierre Pennec émet d’autres regrets : « Au départ, la ligne était mal mouillée : elle était très favorable à gauche. D’après nos infos météo, c’était la droite du plan d’eau qui était favorable, en direction de l’aéroport de Nice. Et aussi d’après l’expérience que j’avais de ce plan d’eau, avec cette direction de vent que j’ai connue à chaque fois que je suis venu ici. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. La gauche était plus favorable. »
Dans un air de sud sud-est bien peu fourni, le combat tourne très vite à l’avantage de Spindrift après la bouée de dégagement et le bord vers l’aéroport de Nice : « On enchaîne avec un super bord au portant, alors que les mecs revenaient sur nous, et on a su mieux exploiter les refus dans l’axe, analyse Thierry Douillard. « On n’avait pas grand-chose à perdre, justifie François Morvan, son partenaire. On risquait peu de la part du quatrième et on devait être à l’attaque face aux deux premiers, c’est exactement ce qu’il s’est passé. On a tout appliqué comme on le voulait. »
En tête d’un bout à l’autre de ce raid d’une vingtaine de milles, après avoir vécu ce que Thierry Douillard appellera « une symbiose fantastique », Spindrift s’impose après avoir résisté au retour furieux de Radio Vinci Autoroutes, 14e du classement général et particulièrement inspiré par la Méditerranée. « On arrive à passer la première bouée de dégagement pas trop mal, puis on est resté jouer avec le paquet de tête sans faire trop d’erreurs, raconte Jean-Baptiste Gellée, le skipper. Puis ça s’est joué en notre faveur sur le dernier bord de vent arrière, quand la pression a commencé à s’échapper de tous les côtés et qu’il a fallu rester serein. Comme l’an dernier, on fait une bonne Méditerranée, après un départ un peu laborieux. » Très belle journée également pour Prince de Bretagne, 3e du raid et qui prend une bonne option sur la très convoitée 6e place du classement général (lire les commentaires de Didier Le Vourc’h ci-dessous). L’autre coup du jour, c’est la 6e place des amateurs de Vannes Agglo – Golfe du Morbihan, qui surfent sur le coup de frein de Grandeur Nature Véranda pour s’emparer de la quatrième place du classement général.
Un temps rejeté au delà de la 20e place, Groupama résistera au retour sur la ligne de West Courtage – Ecole Navale pour prendre la 14e place… son ultime chance de partager la tête du classement général avec Spindrift qui a gommé dans la baie des Anges ses 13 points de retard sur Groupama. Neuvième du raid, CombiWest est désormais 3e du classement général, ce qui est moins bien que la veille, mais avec trois points de retard, ce qui est beaucoup mieux qu’hier (8).
On récapitule ? Spindrift, vainqueur et Groupama, 14e, sont co-leaders, avec 747 points, suivis de près par CombiWest, 9e et qui compte ce soir 744 points, soit trois de retard. C’est bien un vent de folie qui soufflera sur la baie des Anges pour la dernière scène du dernier Acte. C’est bien une fantastique séance de tirs au but qui s’annonce dans le stade nautique. On verra bien qui aura l’audace de tenter une Panenka…
ILS ONT DIT :
Thierry Douillard (tacticien de Spindrift), vainqueur du raid et co-leader au général :
« Ces journées dans les petits airs en multicoque sont difficiles, parce que la moindre variation de pression fait bouger les angles au vent. Il faut être super réactif. Le départ était stratégique, on avait bien travaillé le scénario du départ, on a vu ce que les autres voulaient faire, et on ne voulait pas faire ça, justement. On voulait vraiment partir tribord au bout, et se mettre au vent de la flotte en bâbord, parce qu’on a vu la pression descendre de Villefranche-sur-mer (à l’est) sur Nice. On a vu CombiWest et Groupama aller chercher sous le vent en bâbord. Il nous restait à prendre un super départ et à faire un super bord de près. Et notre bord de près a été fabuleux, c’est un vrai régal de naviguer avec de tels équipiers, François, Xavier et Matthieu, avec un talent pareil. La journée s’est déroulée comme dans un rêve du début à la fin. Ce n’était pas évident, au moindre coup de pression, ils revenaient, et puis Prince de Bretagne a super bien navigué, Radio Vinci est aussi revenu sur la fin, mais on a su se mettre du bon côté du levier. Un régal. On était d’accord sur tout, c’était une symbiose fantastique, on a eu de super discussions à bord… Au final, on a vécu une navigation très facile. On enchaîne avec un super bord au portant, alors que les mecs revenaient sur nous, et on a su mieux exploiter les refus dans l’axe. »
François Morvan (co-skipper de Spindrift) :
« C’était bien ! C’est toujours bien, une journée quand on est devant. On a tout fait comme il le fallait. Comme on l’avait annoncé ce matin, et on était les seuls à ne pas mentir, on a joué notre partition pendant que les autres ont tenté de se marquer. Mais on n’avait pas grand-chose à perdre, on risquait peu de la part du quatrième et on était à l’attaque face aux deux premiers, c’est exactement ce qu’il s’est passé. On a tout appliqué comme on le voulait, sans savoir ce que les autres allaient faire. On avait lu la ligne à gauche, la pression supplémentaire qui y arrivait, et on a bien exploité les adonnantes et refus. C’était bien. Il n’y a rien d’écrit dans ce Tour. Ce qui est bien, c’est que notre moment fort est maintenant, manifestement, et c’est le bon moment pour le connaître. Il reste le stade nautique à négocier, on est en meilleure place aujourd’hui qu’hier. »
Jean-Baptiste Gellée (Radio Vinci Autoroutes), 2e du raid :
« On a fait une très bonne journée, on a remonté la flotte tout du long, on arrive à passer la première bouée de dégagement pas trop mal, puis on est resté jouer avec le paquet de tête sans faire trop d’erreurs, on a réussi à recoller aux cinq premiers. Puis, pour nous, ça s’est joué sur le dernier bord de vent arrière. Quand la pression a commencé à s’échapper de tous les côtés, il a fallu rester serein, on a un peu attaqué parce qu’on n’avait pas grand-chose à faire. On fait une super Méditerranée, un peu comme l’an dernier, après un début un peu difficile. On manquait un peu de navigation. En naviguant, on continue à trouver des choses et à progresser. C’est magnifique. »
Didier Le Vourc’h (régleur de Prince de Bretagne, 3e du jour) :
« Une belle journée, oui ! Ce fut intense en émotions. Ce ne fut pas facile, avec de la molle, des départs devant, des retours par l’arrière, on a quand même plutôt bien géré. Quand on passe la bouée de dégagement, on passe troisième, et on creuse un peu sur nos poursuivants. On part à trois et, à l’arrivée, on est 4e ou 5e, on fait un excellent bord de près où on dépasse à nouveau tout le monde, même Spindrift, mais on fait un petit bord de trop qui permet à Spindrift de filer vers la victoire. On aurait préféré la deuxième place qu’on a occupée longuement. Comme je suis le plus vieux, et le plus expérimenté, je suis arrivé à faire redescendre la pression dans les rares moments où elle est arrivée. »
Pierre Pennec (barreur de Groupama) :
« Au départ, la ligne était mal mouillée et elle était très favorable à gauche. D’après nos infos météo, c’était la droite du plan d’eau qui était favorable, en direction de l’aéroport de Nice, d’après l’expérience que j’avais de ce plan d’eau, avec cette direction de vent chaque fois que je suis venu. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. La gauche était plus favorable. Spindrift était de ce côté et ils ont très bien navigué. Nous on a eu du mal à remonter des places et on a espéré que le vent devienne un peu capricieux et que l’on puisse remonter. Certains ont réussi, pas nous. Mais finalement qu’on reste deux points devant, deux points derrière ou à égalité, ce sera la même chose. Demain il va falloir bien naviguer. Ce scénario faisait partie des probabilités mais c’est vrai que j’aurais préféré avoir un petit coussin d’avance sur les autres, mais il ne faut pas rêver. Je ne croyais pas avoir 15 points d’avance sur les autres et me la couler douce demain. Donc ça va être une belle régate contre des concurrents doués. CombiWest et Spindrift on aussi bien navigué sur les Stades Nautiques. Ca va être serré et tendu, mais c’est ce que j’aime. Maintenant la journée est finie. On va bien rincer et ranger le bateau et demain on va attaquer à fond. »
Frédéric Guilmin (skipper de CombiWest) :
« C’est rare qu’on reste calme sur le bateau et, là, étonnamment, on a maîtrisé nos nerfs. On était dans le bon sens. On était dernier après le départ, on était dernier, mais on s’est remis dans le bon bain et on est remonté. On est dans la position du mec qui n’a rien à perdre, on va prendre des risques à mort, ça a bien marché pour Spindrift aujourd’hui, qui a vécu un scénario idéal, avec départ de malade et une avance qui se creuse. Nous, nous partons bâbord, on ne veut pas prendre de pénalité, on ne veut pas mordre la ligne, on reste un peu avec Groupama et on part ensemble du mauvais côté. C’est pour nous un scénario de « petites quéquettes » (rires). Pourquoi on est 28e à la première bouée ? Pour ça : pour notre départ prudent, l’envie de rester avec Groupama et, techniquement, on pensait que le thermique allait rentrer par le large et, au final, il y a juste eu un effet de site (entre Villefranche-sur-mer et Nice) sur le début du bord de près, avec des rentrées d’air par la gauche. On a eu le courage de recroiser toute la flotte en jetant la première partie du parcours à la poubelle pour tenter autre chose et on est 10e à la bouée de l’aéroport. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise journée, il y a un peu des deux. Franchement, ce qui est frustrant, c’est qu’on a vraiment cru qu’on allait entrer dans les cinq dans ce raid, surtout dans la remontée au près. On était repassé de dernier à 8 ou 9e, on allait vite, on prenait les bonnes phases et, d’un coup, ça s’est arrêté. Au dernier portant, on a retrouvé la niaque, on perd des places et on en reprend deux pour finir 9e. ça n’hypothèque pas tout, mais ça aurait aidé de compter un ou deux points. »