Xavier Macaire, un héros en suspens…
En coupant le premier la ligne d’arrivée à Dieppe, à l’arrachée devant Adrien Hardy (Agir Recouvrement), mais avec plus d’une heure d’avance sur Yann Eliès (Groupe Queguiner-Leucémie espoir) et Charlie Dalin (Skipper Macif 2015), Xavier Macaire (Skipper Hérault) se hisse à la première place du classement général provisoire de la 46ème édition de La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire. Auteur d’une étape remarquable, inspiré et tenace à la fois, Xavier Macaire a néanmoins enfreint la réglementation maritime en rentrant brièvement dans une zone interdite à la navigation. L’unique bémol dans cette étape d’anthologie maîtrisée de bout en bout mais qui pourrait lui coûter cher. Explications…
En volant le départ à Torbay dimanche dernier, Xavier Macaire contraint de revenir couper la ligne, entamait bien mal cette dernière étape et partait bon dernier. Dérisoire vexation au regard de ce qui attendait le Montpelliérain jusqu’à Dieppe. Dure physiquement avec ses quatre nuits venant clore un mois de course, cette quatrième étape fût aussi terrible sur le plan psychologique. A trois reprises, Xavier Macaire a fait le break avant de voir revenir la flotte dans son tableau. D’autres auraient craqué, pas lui qui a su rester concentré sur ses trajectoires et appliqué sur sa vitesse.
Solide
C’est le lendemain du départ que Skipper Hérault réalise son premier coup, à la faveur d’un recalage impeccable pour passer Land’s end. Bon dernier au départ, il se retrouve en tête, solide dans la brise et la mer chaotique à l’entrée du canal de Bristol où il rase les cailloux contre le courant en éclaireur. Toute la journée, il creuse petit à petit, envoie le spi le premier derrière le front, accélère avec le courant…
Mardi avant le lever du jour, il a 7 milles d’avance sur un Yann Eliès à la peine, précédé par Charlie Dalin, toujours placé « Plein de fois, confessait Xavier à son arrivée, je me suis dit que c’était possible au général » Mais devant le cap de Start Point comme ensuite à la marque Owers de l’île de Wight puis au cap d’Antifer, l’élastique bien tendu lui revient au visage. C’est son copain Adrien Hardy, toujours prompt à optionner qui part à la côte le premier trouver le thermique. Et l’Acte 2 de cette dernière étape commence, brise légère et mer d’huile après 36 heures pour gros bras. Xavier s’accroche in extremis à la roue d’Adrien et les deux compères partent pour un match-racing de 230 milles.
Homérique
A la bouée d’Antifer, une nouvelle fois la flotte a recollé, mais tous savent que la dernière nuit sera longue avec une bulle sans vent annoncée sur la route. Le dernier coup d’élastique se joue là. Les deux leaders partent à la côte pour se protéger du courant et contre tout attente allongent la route à 6 nœuds. Le thermique de nuit les accompagne, sortant des falaises de craie comme si elles étaient poreuses. ! « C’était quand même chaud dira Adrien à l’arrivée. Parfois, j’avais un mètre d’eau sous la quille et comme il y a beaucoup d’éboulis sur ces falaises, les sondes des cartes ne sont pas toujours justes » Derrière, c’est l’arrêt buffet. Yann Eliès et Charlie Dalin qui continuent de se marquer pour le général stoppent net leur progression, virent pour se dégager et chercher une veine de vent au large, commencent à reculer et à sortir leur grappin. « Je m’apprêtais à mouiller quand j’ai senti une risée dans le cou dira Charlie. J’ai poussé la barre et j’ai pu repartir à la côte » Mais le mal est fait, les leaders sont à plus d’une heure devant, de quoi chambouler le classement général dont Xavier Macaire devient virtuellement leader.
La fête gâchée ?
Dans une dernière bulle sans vent à quelques encablures de l’arrivée, Adrien Hardy repart un peu moins vite que son compère d’échappée et c’est finalement Xavier Macaire qui rentre le premier dans le port de Dieppe, suivi 54 secondes plus tard par le skipper d’Agir recouvrement. L’accueil est chaleureux, mais Xavier ne lève pas les bras bien haut. « Je suis super content de mon étape déclare-t-il, mais il y a ce petit dilemme sur la zone d’interdiction qui gâche la fête » C’est Yoann Richomme (Skipper Macif 2014) qui a levé le lièvre quelques minutes plus tôt à la VHF. Skipper Hérault est rentré de quelques mètres dans la zone d’interdiction de Paluel, devant la centrale nucléaire du même nom, à quelques encablures de Saint-Valery-en-Caux. Prévenu à la radio par Adrien Hardy, Xavier a pour lui sa bonne foi. « Je n’ai rien retiré comme bénéfice en passant par là. Et j’ai vérifié mes Instructions de course, la marque n’était pas dedans… » La bouée qu’il laisse à gauche n’est en effet pas marque de parcours mais la réglementation maritime est formelle et les skipper sont tenus de s’y conformer.
Les concurrents ont jusqu’à dix heures ce jeudi matin pour porter réclamation s’ils le souhaitent. Si cela devait être le cas, il faudrait attendre la décision du jury dont la palette est large – de quelques minutes à la disqualification sur cette étape – pour connaître le véritable vainqueur de cette 46ème Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire. Celui que l’histoire retiendra…
Ils ont dit à l’arrivée à Dieppe :
Xavier Macaire (Skipper Hérault), 1er de la dernière étape
« Grosse étape, super étape, compliquée ! Il s’est passé beaucoup de choses, j’ai eu un bon feeling ça s’est bien passé dès la première nuit, j’ai joué pas mal en tête donc c’était super !
C’était long, dur, il y avait de la pétole, des coups. J’ai pris de l’avance à certains moments, je l’ai reperdu, plusieurs fois les mecs sont revenus derrière. Plusieurs fois, je me suis dit, c’est peut-être possible de gagner au général, plusieurs fois, ils se sont rapprochés, c’est arrivé au moins deux ou trois fois.
Je voulais faire une étape réussie, bien naviguer, ça a bien fonctionné, je suis vraiment super content.
Le trou, je l’ai fait le lendemain du départ. Ma trajectoire était bien, c’est passé et j’ai réussi à me positionner en tête. Je ne réalise pas encore, surtout qu’il y a un petit dilemme sur une zone interdite qui n’est pas inscrite dans les IC. Je ne savais pas et je suis passé dedans. J’ai un peu mordu dedans, donc il va certainement y avoir des réclamations. Je peux perdre gros dessus. Pour moi, je suis dans mon droit, à partir du moment où ce n’est pas inscrit dans les Instructions de course, il n’y a pas de raison de passer une bouée en plus. C’est la petite bête noire sur cette étape qui était parfaite. C’est comme s’il ne fallait pas que tout me réussisse. J’ai eu beau super bien naviguer, aller vite, prendre de l’avance, croire plusieurs fois à la victoire finale, voir les gars revenir… bon y a ce petit dilemme ».
Ca gâche l’arrivée, ça gâche tout. Ca gâche parce qu’à partir du moment où ce n’était pas inscrit dans les IC et où il n’y a rien eu d’annoncé au briefing, j’ai gratté dedans. Adrien Hardy m’a dit à la VHF, « attention, c’est une bouée à laisser à droite ! » J’ai repris mes IC, j’ai bien relu et je me suis dit, je vois pas pourquoi il me dit ça. Et je l’ai laissé à gauche. Il va probablement y avoir une réclamation. Je n’ai rien retiré comme bénéfice à passer là. Ca n’avançait à rien si ce n’est me créer des problèmes, je n’en ai vraiment tiré aucun avantage…
Adrien a fait des trucs vraiment bien sur cette étape. C’était une belle bagarre, je me suis régalé. Ca m’a rappelé 2013 où on avait fait un super finish avec Yann Eliès et Adrien. C’était Adrien premier, Yann 2ème et moi 3ème. On avait fait une étape dantesque ! De me bagarrer avec lui, ça m’a rappelé cette édition, avec une jolie pointe de nostalgie. C’est dommage que ce petit problème vienne gâcher la fête. Je lui aurais bien sauté dans les bras en lui disant, « regarde, c’est comme l’année dernière ! ». Je fais de belles courses avec Adrien, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup »
Adrien Hardy (Agir Recouvrement), 2ème de la dernière étape
« Jusqu’à la dernière bouée, j’étais devant Xavier. Je perds l’étape juste avant, dans une molle et puis le vent est revenu à la faveur de Xavier. Je n’ai pas fait d’erreur, mais c’est comme. C’était une belle dernière étape comme j’en ai rêvé. Ce n’était pas facile, je n’étais pas dans de bonnes dispositions au départ de Torbay, car j’ai trois premières étapes moyennes. J’ai pris un bon départ, et du côté de Torbay au retour, j’ai pris une option, car tous les voyants étaient au vert pour y aller. Après, tout c’est bien déroulé, quand on est devant on retrouve la vitesse, la confiance, le plaisir, c’est vraiment chouette. Je me suis amusé du début jusqu’à la fin. C’était une belle étape, il y avait plein de choses à faire : les cailloux de Land’s End, et la fin dans les cailloux le long des falaises, même si c’était un peu dangereux pour nos bateaux. Je pense que quand on a une bonne inspiration, il faut y aller. Xavier n’était pas bien au départ à Torbay, il a fait un décalage osé, c’est bien. Il ne faut pas naviguer comme tout le monde, il ne faut pas faire son mouton, je resterais comme je suis, même si il y a plein de défauts à corriger. »
Vincent Biarnès (Guyot Environnement), 3ème de la dernière étape
« Ce fut une quatrième étape compliquée, pleine de rebondissements. J’avais pris un super départ à Torbay, j’avais fait le bord parfait, même si j’étais un peu limite quand même, car des concurrents à mes côtés avaient volé le départ. Le plus gros coup que j’ai fait, c’était d’aller chercher la brise thermique à Start Point, là où Adrien a fait la différence. Bravo à Xavier qui a su revenir sur Adrien qui pourtant avait une belle avance. Chapeau, il a été parfait du début jusqu’à la fin. C’est mon premier podium, je termine La Solitaire sur une bonne note. J’ai raté la première étape, mais je fais trois étapes sur quatre où je termine dans les dix. Vu les écarts, ce ne sera pas facile au général, mais ce premier podium est une belle joie, malgré la fatigue car elle était vraiment dure cette étape. On n’a pas dormi sur la fin, j’étais à la limite d’hallucinations, dans le rouge, je me suis endormi, j’ai quasiment raté une bouée. Il ne fallait pas plus. Bizarrement, j’arrive frais sur les trois premières, celle-ci était dure, ça veut dire que j’ai quand même bien géré. Un podium ! Je suis super content ! Le départ était super sympa surtout quand je me suis retourné, et que j’ai vu tous les spis derrière moi… »
Benjamin Dutreux (Team Vendée) : 5e et premier bizuth de la dernière étape
« C’était très compliqué, je ne suis pas très content car j’ai éclaté mon bateau. Il y avait un cailloux qui n’était pas référencé sur les cartes et je suis rentré à 7 nœuds dedans. Ca prenait de l’eau mais ça va, j’allais juste beaucoup moins vite. C’est arrivé deux heures après qu’il ait fait nuit à peu près. C’était chouette, ce fut une belle étape éprouvante. Je savais ce que c’était de se battre, mais j’ai appris encore plus, je suis content d’arriver. A priori, je n’ai pas eu de chance sur cette Solitaire, mais j’avais envie de bien faire sur cette dernière étape. C’est ce qui allait déterminer mon année d’après ! J’ai pris beaucoup de plaisir, j’ai appris plein de chose, je vais apprendre à mieux me gérer, car parfois je me mets dans des situations compliquées. Le bilan de cette étape n’est pas mauvais, il y a eu du match jusqu’au bout, je suis revenu, je suis repassé derrière, c’était super agréable de matcher avec les bons. Je suis très très fatigué, je n’avais jamais connu ça. On n’arrive pas à se reposer. Le seul moment où on pouvait, le vent est passé Est et nous sommes allés tirer des bords dans les cailloux. Après, il y eu du contre courant, c’est là ou je suis tombé dans le piège du cailloux. Ca me rassure sur mes possibilités. Je fais 5e, j’aurais pu faire 3 ou 4e, mais l’important pour moi c’est qu’il y ait eu du match. Il n’y a pas eu que de la réussite, ça dure quand même trois jours et quatre nuits et il faut tenir. C’était super intéressant ! »
Yann Eliès (Groupe Queguiner – Leucémie Espoir) : 17e de la dernière étape
« Je n’ai pas fait que de la m…. non plus ! Dieppe, c’est comme ça, je ne sens pas les coups, c’est un coup sur deux. Dans le même genre, je rate la victoire en 2009 de peu sur Nico Lunven à cause d’un petit coup. Pourquoi je ne répondais pas à la VHF ? Je n’avais pas envie de parler, je n’étais pas bien pendant l’étape, je ne voulais pas vomir cette histoire que je flippais. Moi j’ai un caractère de cochon, quand je boude je boude… Là, ça va j’ai eu le temps de digérer ma connerie. En vieillissant, j’appends à relativiser. Non, je pense faire une pause, je ne reviendrais pas l’année prochaine, il faut que tourne la page avant de revenir avec envie. Adrien, il tente coups de poker sur coups de poker. Un coup, ça passe, un coup ça ne passe pas et quand ça ne passe pas ça fait mal ! Ce n’est pas comme ça qu’il va gagner La Solitaire. Xavier, lui, a vraiment très bien navigué. Il mérite de gagner cette étape. Après, il se prend les pieds dans le tapis à l’arrivée, il ne fait pas le bon choix en traversant une zone interdite, donc sa course n’est pas parfaite. »