Après trois jours et trois nuits de course, l’épilogue de cette première étape entre l’estuaire de la Gironde et les côtes de la Galice se rapproche à grands pas des étraves. Pourtant, avant de pouvoir affaler les voiles, la flotte de La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire doit d’abord faire le dos rond dans du vent musclé – du nord-est de 30 nœuds, 38 dans les rafales – qui oblige les navigateurs à redoubler de vigilance. Gare aux sorties de route et autres figures de style sous spi dans la brise ! Des conditions à haut risque, qui sourient à Thierry Chabagny (Gedimat). Positionné aux avant-postes et bien inspiré, ce fidèle de l’épreuve s’est propulsé en tête à une soixantaine de milles de l’arrivée à Sanxenxo…

Chose promise, chose due. Après le calme blanc, de longs et fastidieux bords de près, place à la glisse sous spi dans de fortes accélérations du vent. Si le plaisir de longs surfs au portant pourrait l’emporter, les solitaires, qu’ils soient bizuths ou comptent parmi les gros bras de la brise, ne cachent pas privilégier la prudence en approche de ce passage délicat. Depuis ce matin, tous se préparent à courber l’échine pour parer le célèbre cap Finisterre qui, fidèle à son habitude, ne se laissera pas doubler comme ça. « On entre en mode guerre », dixit Yoann Richomme (Skipper Macif 2014) ce matin à la VHF.

Le joli coup de Thierry Chabagny

Pourtant si la vigilance l’emporte aux quatre coins de la flotte, la régate n’a en rien perdu ses droits comme l’illustre le joli coup réalisé, ces dernières heures, par Thierry Chabagny (Gedimat), suivi dans cette option par Alexis Loison (Groupe Fiva). Alors qu’il progressait en embuscade dans la roue de Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir), le skipper finistérien, qui peut compter sur son expérience de routier de La Solitaire (14è participation), n’a pas hésité à se démarquer pour aller chercher son salut un peu plus au large à l’heure d’entamer le virage de la pointe nord-ouest de la péninsule ibérique. Fort d’un décalage de 6-7 milles par rapport à ses plus proches concurrents qui lui permet de bénéficier d’un peu plus de pression encore, il ouvre désormais la route vers Sanxenxo, terme de cette première étape de montagne, d’un rare niveau d’exigence tout au long des 461 milles du parcours théorique depuis le départ de Bordeaux.

Des arrivées sous haute tension

Pourtant, si d’après les observateurs sur l’eau, ce nouveau leader a fait le break, Thierry Chabagny est le premier à le dire : pas question de s’enflammer. Même si lui et tous les autres protagonistes du paquet de tête ont pris incontestablement l’ascendant sur le groupe positionné plus au nord mené par Gildas Mahé (Qualiconfort-The Beautiful Watch), 26è à 18 milles, rien n’est encore joué. Pas question de s’enflammer alors qu’il restera environ 45 milles à parcourir le long des côtes galiciennes. Un dernier tronçon du parcours propice à de nombreux rebondissements, au gré des effets de site et des caprices de la météo. Après l’épisode de brise, le scénario prévoit en effet que le vent doit vite s’écrouler pour servir un final au suspense haletant et une ligne d’arrivée mouillée sous haute tension, où les premiers sont attendus dans la nuit…

Le mot du jour : ETA

Traduisez Estimated Time of Arrival, autrement dit l’heure d’arrivée estimée pour les navigateurs. Les routages effectués avec Météo Consult indiquent un final pour la tête de flotte aux alentours de minuit. Les fichiers météo indiquent cependant un vent mollissant quelques milles avant la baie de Sanxenxo à partir de 22h30, et une absence totale de vent dans la baie passé minuit. Cela voudrait dire que la tête de flotte arriverait à couper la ligne, tandis que ceux d’après pourraient bien attendre le matin avant de retrouver un souffle d’air.

Le chiffre du jour : 38

38 nœuds ! C’est la force du vent en rafale qu’une grosse partie de la flotte a du affronter au passage du cap Finisterre. Le petit spi fut donc de rigueur sur les Figaro Bénéteau 2 pour aborder cette zone réputée pour ces vents forts et sa mer formée.

Ils ont dit :

Thierry Chabagny (Gedimat) : « Je ne m’enflamme pas ! »

« Ça va pas mal. On se prépare psychologiquement, physiquement et techniquement à avoir du vent fort au portant dans les prochaines heures. Il y a pas mal de petites bricoles à faire. Il faut rester concentré et lucide pour ne pas faire de bêtises. Il faut se préparer à bien faire les choses, doucement et sagement. Cela consiste d’abord à ranger les voiles, imaginer les différents scénarios – notamment un empannage qu’on va devoir faire au moment où le vent sera fort -, préparer les écoutes qui vont permettre de le faire, imaginer dans sa tête le schéma pour ne pas être surpris… Prévoir le pire, si c’est trop fort, qu’est ce que je fais ? Même si on a l’habitude, c’est un petit travail intellectuel à faire. Au niveau de la sécurité, même si cela a été imposé par la direction de course, porter un gilet, ça tombe sous le sens dans ces conditions rapides et fortes, un ciré étanche, etc. Je serai vraiment content quand cette étape sera terminée, quand on aura une vision globale de la chose. Mais c’est vraiment sympa d’être devant avec les autres, de pouvoir faire des coups, même s’il peut encore se passer plein de choses. Il risque d’y avoir très peu de vent sur la zone d’arrivée. On l’a déjà vu par le passé, il peut y avoir des mecs 30 milles derrière qui te doublent sur la fin parce qu’il y a un regroupement. Pour l’instant, je ne m’enflamme pas… »

Yannig Livory (Lorient’Entreprendre) : « On n’a pas eu beaucoup de repos »

« Il y a 20-25 nœuds sous spi, on fait du beau petit surf. Le vent est en train de monter un peu plus, on glisse tranquille. On a eu l’obligation de mettre les gilets, je le mets quasiment tout le temps donc ça ne me choque pas tellement. Avec les gilets, on a tout ce qu’il faut dessus, en les laissant dans les bateaux ils ne servent pas à grande chose. Pour le moment, tout va bien, sans problème. La journée d’hier, ça a cogné quand même pas mal, on n’a pas eu beaucoup de repos. On déboule pas mal, c’est rigolo. J’ai un bateau de pêche qui arrive devant moi, donc je vais vous laisser. Je ne sais pas du tout quand on arrivera, j’essaye de faire au mieux. »

Benjamin Dutreux (Team Vendée) : « Je me suis endormi plusieurs fois à la barre. »

« C’est cool ! Ca avance. On sent qu’il y a du vent, on fait des petits surfs sympas. J’ai 20-25 nœuds de vent. Ça va être sport jusqu’à la fin, j’essaye de me reposer pour pouvoir attaquer la fin. Je pense être au cap Finisterre vers 18h. La brassière est obligatoire depuis midi, donc tout le monde la porte. Moi je la portais déjà avant. Je suis un peu cramé, c’est la première fois que je passe autant de temps en mer ; j’ai mal géré ma première nuit. Maintenant, j’ai des bonnes sensations, il y a du monde autour, ça joue. Je découvre cette Solitaire, j’ai fait quelques erreurs mais je suis quand même au contact avec les autres. Niveau sommeil, je me suis endormi plusieurs fois à la barre. »

Tolga Ekrem Pamir (Un jour, un homme, un arbre) : « Je veux aller jusqu’à la fin de cette aventure. »

« On a du vent vers le cap Finisterre, environ 20-25 nœuds. Je suis en train de voir comment je vais passer. Je vais essayer de longer la côte pour avoir un peu moins de vent. Je porte mon gilet. Je ne l’ai pas toujours, mais depuis qu’on a commencé à toucher l’ouest je le mets. J’ai beaucoup dormi, avec la fatigue d’avant-hier, j’ai essayé de me reposer pour ne pas trop me fatiguer sur cette fin d’étape. Je suis un peu loin de tout le monde, mais ce n’est pas grave. C’est une grande découverte. Je vais aller jusqu’à la fin de cette aventure. Je n’ai pas encore regardé l’histoire de demain pour l’arrivée, mais je pense que ça va être un peu compliqué. On attend de la pétole. Ça va être une première fois pour moi ce cap Finisterre. Le retour de houle est assez signifiant. En ce moment je suis sous spi, j’avance à fond. Je viens de voir les conditions, je suis un peu plus à l’est de la flotte. Je vais essayer de longer la côte pour essayer de rien casser. »

Xavier Macaire (Skipper Hérault) : « La brise sous spi, cela peut être stressant. »

« J’ai peur que cela forcisse au-delà du raisonnable pour garder le spi. J’ai préparé le bateau, j’ai rangé, j’ai matossé à l’arrière. J’ai rangé le génois bien proprement, j’ai mis le solent à l’avant. J’ai préparé un peu de nourriture à portée de main, de l’eau, tout ce qu’il faut pour ne pas lâcher la barre toutes les cinq minutes. La brise au portant, quand y est et qu’on barre le bateau, ça peut être sympa. Quand on en sort, on se dit… whaou, c’était génial, je me suis éclaté ! Mais c’est aussi très stressant, il y a la peur de faire une fausse manip’, de déchirer une voile, de se faire mal. J’ai déjà fait le planté du Figaro, le bateau avait enfourné jusqu’au milieu du roof, la quille carrément sortie de l’eau, parce que j’avais un peu trop tiré sur le bateau par 40 nœuds de vent sous spi. Je n’ai pas du tout envie de refaire ça en course ! Je suis très content de la manière dont se déroule cette première étape. Je suis resté dans le match depuis le début, j’arrive à faire des bons coups, à avoir la vitesse, je joue aux avant-postes. A ce niveau là, je me régale. J’espère faire tout aussi bien à l’arrivée à Sanxenxo. Je me sens encore forme. »

Yann Eliès (Groupe Queguiner – Leucémie Espoir) : « Il y a moyen de casser du matériel »

« Aujourd’hui, je prends un peu plus de plaisir qu’hier après-midi, j’affectionne un peu plus la glisse que les remontées de pentes ! 30-35 nœuds, ça commence à être un peu chaud, il y a moyen de casser du matériel. Il y a un peu de stress, même si je suis content, jusqu’à maintenant j’ai fait une belle étape. Il ne faudrait pas déchirer un spi ou casser un tangon. Je pense que je vais passer sous petit spi assez rapidement, si je ne le sens pas. J’ai bien dormi cette nuit, je suis en train de recharger les batteries moteur. J’ai rangé mon génois. J’ai reculé un eu tout le matériel dans le bateau. J’ai mon ciré sous la main, mon gilet que je ne vais pas tarder à mettre. J’ai sorti les barres de céréales, les bouteilles d’eau, etc. On devrait contourner le cap Finisterre en fin de journée. Mais après, tout restera à faire. On ne sait pas trop comment on va réussir à aller jusqu’à Sanxenxo. Est-ce qu’on va pouvoir couper le fromage, est-ce qu’il faudra faire le tour de la paroisse ? Cela risque de se jouer au petit matin dans la baie pour le final. Tout va dépendre aussi si cela se joue avec 4-5 bateaux ou l’ensemble de la flotte. Que tout le monde revienne, cela me plairait beaucoup moins… »

Vincent Biarnès (Guyot Environnement) : « La fin s’annonce très aléatoire »

« Le bonhomme va mieux, parce que ce n’était pas la grande forme hier. Même si la fatigue de l’étape s’accumule, j’ai bien récupéré, le mal de mer est passé. Là, on attaque la dernière ligne droite avec deux bateaux – Skippers Macif 2014 et Bretagne – Crédit Mutuel Espoir – à côté de moi, je vais essayer de les doubler. Je viens de passer sous petit spi. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais on a déjà 23 nœuds de vent et peut-être, par excès de prudence, j’ai préféré anticiper avant qu’il y ait de plus grosses rafales. Pour l’instant, je ne perds pas par rapport à ceux qui sont sous grand spi, j’espère pouvoir gagner un peu quand cela va se renforcer. Le vent est assez irrégulier, je pense qu’on va avoir du vent vraiment plus fort d’ici une heure. J’ai fait un bord un peu plus au large, j’avais l’impression qu’il y avait un peu plus de vent. Je vois que Gildas Morvan tire plus à la côte, mais j’avais fait la même erreur au début. A l’approche du cap Finisterre, le vent devrait tourner plus au nord, il sera alors peut-être intéressant de se rapprocher de la côte, mais ça veut dire faire deux ou trois empannages et dans ces conditions, ce n’est jamais facile. La fin s’annonce très aléatoire. On sera en plein dans le centre d’une dépression qui est presque sur la ligne d’arrivée visiblement. Cela veut dire pas de vent du tout, et hyper variable. Il faudra être opportuniste et profiter du moindre souffle d’air… »

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