Les arrivées se sont succédées à Barcelone depuis le triomphe de Cheminées Poujoulat. Des discussions avec les navigateurs, de ce qu’ils ont pu délivrer comme message en conférence de presse, il apparaît bien que l’exercice du double demande des qualités différentes du solitaire. Analyse au vu des retours des marins…
Tous ont tenu à en souligner les spécificités, insistant notamment sur les nécessaires complémentarités au service d’une même cause, la performance.

La répartition des rôles

Chaque équipage a adopté ses propres modes de fonctionnement, mais on retrouve deux cas de figures majeurs.

Les deux skippers sont à égalité : c’était le cas entre Bernard Stamm et Jean Le Cam, deux marins au vécu exceptionnel. Dans ce cas, il faut savoir être à l’écoute de l’autre et définir des objectifs communs. L’équipage de Cheminées Poujoulat s’était fixé un arbitrage simple : est-ce que les solutions proposées par l’un ou l’autre allaient dans le sens d’une meilleure performance du bateau ?

Bernard comme Jean ont su ranger leur ego au vestiaire, et ce bien avant la course. Ils ont compris que c’était une condition indispensable pour la réussite du projet.

A bord de GAES Centros Auditivos, pas de hiérarchie établie non plus. Mais Anna Corbella et Gerard Marin avaient l’avantage de s’être longuement entraînés ensemble. Avant de partir ces deux-là se connaissaient bien et savaient quels pouvaient être les points d’achoppement.

Un des deux skippers bénéficie d’une expérience supérieure : c’était clairement le cas à bord de Neutrogena. José Muñoz, co-skipper de Guillermo Altadill a parfaitement assumé son rôle « d’équipier modèle » auprès d’un marin qui avait clairement un vécu beaucoup plus conséquent en course au large.

Manger, dormir

Tous le disent : en double, on peut vraiment dormir. Aucun rapport avec la navigation en solitaire. Quand l’un est à la bannette, l’autre est en veille et peut intervenir seul sur des petites actions voire jouer le rôle d’alarme si nécessaire. C’est d’ailleurs une image récurrente : sur un tour du monde qui est une épreuve de longue haleine, les visages sont nettement moins marqués en double qu’en solitaire.

Certains paraissaient maigres à l’arrivée, d’autres étaient plutôt affinés. En double, le repas n’a paradoxalement pas la même importance qu’en solitaire où il peut servir de réconfort psychologique. Ici, il s’agit avant tout de se nourrir, souvent à base de plats lyophilisés qui, s’ils ont énormément progressé n’ont encore que peu de choses à voir avec la gastronomie. Il y a bien des initiatives comme celle de ces chefs catalans qui ont proposé des préparations lyophilisées en faisant le pari du goût, mais certains marins gardent toujours une petite préférence pour des conserves cuisinées, même aux dépends du poids embarqué. Pour la nourriture, certains partageaient en partie leurs repas (GAES Centros Auditivos ou We Are Water) quand d’autres comme Cheminées Poujoulat avaient opté pour des rations totalement individualisées en fonction des habitudes alimentaires de chacun. Conrad Colman qui est végétarien a dû aussi trouver une formule adaptée pour avoir les compléments alimentaires indispensables.

Faire face

Combien d’équipages engagés dans la course auraient fini si d’une part, l’épreuve s’était déroulée en solitaire et si d’une autre, l’escale n’avait pas été autorisée. Le règlement de la Barcelona World Race autorise un arrêt technique ce qui a permis à plusieurs équipages de réparer et de repartir en toute sérénité. Rien ne dit que tous ces équipages auraient abandonné, mais dans une course en double où l’on a tendance à tirer plus sur le bateau, c’est une garantie non négligeable.

Ils sont plusieurs à l’avoir dit : en solitaire, on n’aurait pas imaginé aller jusqu’au bout de l’aventure. A bord de Cheminées Poujoulat on ne compte plus le nombre de fois où Bernard Stamm a dû grimper en tête de mât. Sur GAES Centros Auditivos, la chute d’Anna Corbella aurait pu avoir des conséquences autrement plus dramatiques sans la présence à bord de Gerard Marin qui a pris en charge la conduite du bateau. En solitaire, l’équipage de Renault Captur serait-il reparti de Nouvelle -Zélande ? Tous le soulignent : cette année, les mers du Sud auront été particulièrement dures.

Apprendre

Enfin, ce n’est pas la moindre des richesses de la Barcelona World Race que de permettre aux solitaires embarqués dans une aventure en double d’en apprendre sur eux-mêmes et sur leur compagnon de fortune. Laissons la parole aux vainqueurs de cette édition. Bernard Stamm : « Avec Jean, j’ai appris que parfois ça ne servait à rien de vouloir aller vite tout le temps. Ce qui compte, c’est la moyenne, la régularité. On économise ainsi le bateau et le bonhomme. » Jean Le Cam : « Avec Bernard, j’ai découvert qu’on pouvait pousser ces machines que sont les IMOCA bien au-delà de ce que j’imaginais. » En voilà deux qui devraient se servir de cette expérience pour leurs prochaines courses en solo… ou en double, car on y prend goût.

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