Kevin Escoffier passe quelques jours en famille en France. Il repart dès demain à Itajai pour retrouver l’équipe de Dongfeng Race Team. L’un des piliers de l’équipage sino-chinois savoure cette Volvo Ocean Race qu’il vit à 100%.
Depuis le jardin de sa maison en Bretagne, il prend le temps de revenir sur l’esprit singulier qui anime l’équipage actuellement deuxième du classement général. Il nous parle aussi de ce démâtage et de la manière dont l’équipe doit, selon lui, aborder la suite du tour du monde. Il pose un regard admiratif sur les équipiers chinois et nous explique que Pascal Bidégorry le fait toujours autant rire et pourquoi, selon lui, Charles Caudrelier est le parfait « leader par l’exemple ».

Comment vis-tu cette Volvo Ocean Race ?

J’ai conscience d’avoir la chance d’être dans cette équipe soudée. Si l’on regarde autour de nous et si on prend les éditions précédentes, on sait que ce n’est pas toujours le cas. Les relations sont parfois compliquées et c’est compréhensible sur une course aussi longue. Nous naviguons vraiment avec plaisir. Et c’est le même sentiment à terre. Bien sûr, pendant les escales, nous ne sommes pas toujours tous ensembles. C’est important de préserver des moments en dehors de l’équipe. Mais globalement, ça se passe vraiment bien. L’ambiance est simple. Nous nous parlons beaucoup. L’échange est permanent que ce soit avec les managers du team, avec le skipper, entre équipiers. C’est transparent. Je crois que Charles a réuni un équipage où les caractères se marient bien.
Sur le plan sportif, après ce démâtage dans la dernière étape, comment analyses-tu les choses ?
C’est étonnant mais j’ai été très partagé pendant cet épisode du démâtage. Partagé entre la déception de voir cette étape s’arrêter pour nous avec les conséquences que cela entraine d’un point de vue de la compétition et partagé par le fait de vivre une aventure incroyable. Arriver à Ushuaia avec ce bateau démâté, dans des paysages à couper le souffle… C’est quelque chose d’hallucinant ! J’avoue que malgré la déception, j’ai quand même apprécié ce moment là.
Après si l’on regarde les choses d’un point de vue mathématique. Nous avons pris plus de points sur cette étape que ce que nous avions en quatre étapes. En plus, Abu Dhabi gagne donc on les laisse filer au classement. Derrière nous, ça s’est beaucoup resserré. Nous sommes deuxièmes à trois points du troisième. Il va falloir faire attention.

Qu’est ce que cela change pour l’esprit de cette équipe et pour la suite de votre Volvo Ocean Race ?

On va voir. Nous n’en avons pas encore parlé tous ensemble. On a prévu de faire un debrief dans les jours à venir à Itajai. Je pense qu’il va falloir revoir les objectifs et la manière d’y arriver. Soit on attaque dans l’objectif de gagner toutes les manches. Soit on continue à naviguer sereinement et on voit comment ça se passe. Dans ce cas, on vise le podium, ce qui était notre objectif de départ.
L’esprit de compétition, il est toujours bel et bien là. Mais faut-il changer notre façon de naviguer ? Est-il nécessaire de tenter des coups à tout prix pour aller vers la victoire ? Je ne suis pas sûr. Mais je vous livre là mon avis personnel. Encore une fois, nous n’en avons pas parlé ensemble. Faire zéro erreur ne suffira pas. Pour pouvoir gagner, nous ne devons faire aucune erreur et Abu Dhabi Ocean Racing doit en faire. Personne n’est à l’abri de ce qui nous est arrivé. Mais ça, ce sont des paramètres que nous ne maitrisons pas. Ce que nous maitrisons, c’est notre performance. Bien naviguer, on sait faire et il faut laisser ADOR faire ses propres erreurs.

Qu’est ce qui t’impressionne le plus dans cette course ?

J’ai l’impression de n’avoir aucun recul pour l’instant. Je suis dans la course à 100% comme je le suis dans chacun de mes projets. J’essaye de donner toute l’énergie que j’ai. Mais s’il y a quelque chose que je peux voir comme impressionnant, c’est le fait d’être autant au contact. C’est lié au format de cette course et aux nouveaux bateaux. Mais il n’y a aucune course au large qui arrive à la cheville de celle-ci sur ce point. Etre dans une bataille d’empannages après 20 jours de mer, c’est assez marquant. Psychologiquement, sur la première étape, c’est un paramètre à gérer. Après, tu t’y habitues. Cela ne signifie pas que tu relâches l’attention mais tu le vis avec moins de pression. Tu t’en détaches. Car si tu n’es pas capable de faire ça, ça devient hyper dur.
Certains de nos adversaires ont de gros palmarès mais on n’a pas à rougir face à eux. ADOR est leader car il est très régulier. Ce n’est pas un hasard que cet équipage se retrouve là où il est.

Comment est Charles Caudrelier en tant que skipper ?

Je connaissais un peu Charles mais pas dans ce rôle. Sur la Volvo Ocean Race, tu ne peux pas te cacher. Tu découvres les gens comme ils sont réellement. Charles est un meneur par l’exemple. Ce n’est pas un adepte des grands discours. Il est conscient de ses erreurs. Il n’ira jamais t’engueuler si tu fais une connerie. Il est très compétent dans tous les domaines (réglages, barre, performance du bateau, ….. C’est une forme de management qui est très efficace et qui me convient à 100%.

Pascal Bidégorry ?

Avec lui c’est différent. Car nous nous connaissons très bien. Il me fait toujours autant marrer même si, comme un vieux couple, nous nous chamaillons parfois. Il sait toujours aussi bien être bon quand il faut l’être. Il est capable de passer deux heures sur le pont pendant une transition pour être sûr de ne pas rater quelque chose. Il est égal à lui-même quoi !
Ceux qui m’impressionnent, ce sont les équipiers chinois. C’est sûr, ce ne sont pas encore de grands marins du large. Mais c’est normal, cela ne s’acquiert pas aussi facilement. Il leur manque encore certaines capacités notamment sur les réglages. Mais je me dis qu’ils n’ont que 20 ans ! Ils ne rechignent jamais à la tâche, ils sont là sur le pont, ils font le job et surtout ils progressent. Ils apprennent à chaque étape et c’est ça qui m’impressionne. Nous sommes habitués à la navigation au large et parfois on trouve quand même cela difficile. Alors imaginez un peu ce qu’ils peuvent ressentir… C’est pire pour eux mais ils serrent les dents et ils y vont !

Source

Articles connexes