Récent vainqueur avec Jean Le Cam de la Barcelona World Race, le tour du monde en double, Bernard Stamm envisage une quatrième participation au Vendée Globe en 2016, mais pas à n’importe quel prix… Interview du skipper de Cheminées Poujoulat qui livre le récit des temps forts de son dernier tour du monde.

Une victoire autour du monde : quelle belle manière de rebondir après la perte de ton précédent 60 pieds, fin 2013, lors du convoyage retour de la Transat Jacques Vabre !

Oui, cette performance me fait beaucoup de bien et enlève une part de frustration de la perte de mon ancien bateau (un plan Kouyoumdjian de 2011 avec lequel Bernard a participé au dernier Vendée Globe, NDLR). Cette Barcelona World Race était loin d’être gagnée d’avance car le projet s’est monté tardivement. A l’origine, je devais y participer avec Yann Eliès à bord de mon précédent IMOCA. Le projet est tombé à l’eau fin 2013… L’opportunité de louer l’ancien Mare (qui est aussi l’ex Foncia de Michel Desjoyeaux, vainqueur du Vendée Globe 2008/2009, NDLR) s’est alors présentée, avec Jean Le Cam à mes côtés. Je suis parti avec un bateau et un équipier différents de ce qui était prévu, et cela m’a souri ! Ce sont les hasards de la vie. Gagner malgré ces changements radicaux est encore plus savoureux.

L’abandon prématuré d’Alex Thomson et Pepe Ribes (Hugo Boss), puis l’escale technique de Guillermo Altadill et José Muñoz (Neutrogena) en Nouvelle-Zélande ont tué le suspens. En tant que compétiteur, qu’as-tu ressenti : une satisfaction de dominer de la sorte ou une part de frustration de ne pas régater au contact ?

Un peu des deux, même si on ne se satisfait jamais des ennuis des autres. Sur le papier, Hugo Boss était largement favori. Ce duo expérimenté disposait d’un bateau de la génération du Vendée Globe 2012/2013. Mais en partant pour un tour du monde de trois mois, on s’attend à ce type d’incident. On savait que Neutrogena, un plan Farr de 2007, serait aussi très dangereux. Altadill et Muñoz étaient bien entraînés. D’ailleurs, quand Hugo Boss a démâté, ils étaient en tête. Nous avons dû nous battre pour prendre la première place. Puis nous avons régaté intensément jusqu’à leur escale technique en Nouvelle-Zélande. La donne a alors changé mais nous n’avons à aucun moment considéré que la course était gagnée. Bien sûr, il est toujours préférable d’avoir 1000 milles d’avance plutôt que 100. Mais un tel écart génère d’autres situations difficiles à gérer : comme on navigue dans des systèmes météo différents, on ne contrôle rien du tout, on peut laisser des portes grandes ouvertes. On surveillait donc toujours attentivement la météo qu’ils avaient derrière.

A aucun moment vous n’avez levé le pied ?

Non, nous avons maintenu une intensité importante du début à la fin de la course, quelle que soit l’avance dont nous disposions. Notre volonté était de creuser un écart maximum en cas d’avarie importante. Comme on ne naviguait pas au contact, on faisait tout de même les manœuvres de façon plus conservatrice. Mais pour le reste, on mettait la toile du temps pour atteindre les vitesses cibles du bateau. Le seul moment où nous avons levé le pied, c’est dans le dernier tiers de l’océan Indien. Nous avons dû freiner pendant 36 heures pour ne pas nous retrouver dans le reste d’une tempête tropicale. On aurait été confronté à des vents de 60 à 70 nœuds et à la mer qui va avec. Nous n’avions pas le choix, c’était du bon sens marin d’éviter ces conditions. Ralentir volontairement est une situation peu habituelle, cela ne m’était jamais arrivé en course.

Vu de la terre, votre parcours a pu paraître « facile », ce qui n’a bien sûr pas été le cas. Les conditions ont été globalement éprouvantes…

Oui, nous avons eu du vent très fort dans les mers du Sud. Ce n’était pas simple de faire de la vitesse là-dedans. On pense souvent que le passage du cap Horn marque la fin des difficultés mais ce n’est souvent pas le cas. Nous avons quitté les systèmes dépressionnaires du Sud à la hauteur de l’Uruguay. On a donc fait beaucoup de route dans les conditions du grand Sud. La remontée de l’Atlantique nord, du Pot au Noir à Gibraltar n’a pas été simple non plus : nous étions constamment au près serré, ça ne s’est jamais débridé. Et la Méditerranée n’est jamais simple non plus…

Girouettes hors d’usage depuis le Pot au noir jusqu’à la moitié du Pacifique sud, problèmes de hook de génois, rail de chariot de mât arraché : vous avez eu beaucoup de galères techniques. En solitaire, vous auriez pu finir cette course sans faire escale ?

Difficilement. On aurait eu quelques moments de solitude ! Le plus embêtant avec nos soucis, c’est que nous avons mis beaucoup de temps à les régler, en raison des conditions rencontrées. A deux, on est plus sereins, et on dispose de deux fois plus de mains et de cerveaux pour solutionner les problèmes.

Avez-vous pensé à vous arrêter pour réparer ?

Oui, mais sans que cette éventualité ne soit jamais très précise. On gardait l’hypothèse dans un coin de notre tête. L’arrachement du rail de grand-voile était le plus embêtant. Si on n’avait pas réussi à remettre les choses en place en mer, il y aurait eu deux solutions : finir la course avec deux ris ou alors s’arrêter pour réparer. Nous aurions choisi la deuxième solution. Le problème, c’est qu’en faisant escale, on perd du temps à quai (la durée minimale d’immobilisation a été fixée à 24 heures par la direction de course de la Barcelona World Race, NDLR) et on ne sait pas exactement quelles conditions on va trouver en repartant. Cela peut être la double peine. Nous sommes satisfaits d’avoir terminé ce tour du monde sans escale, car c’était le programme prévu !

Bernard Stamm avec Jean Le Cam : deux solitaires ensemble, ça donne quoi ?

Des bonnes choses ! Je n’avais pas d’inquiétude sur notre association et le résultat m’a donné raison. On a eu des hauts et des bas, ce qui est normal dans une cohabitation de trois mois, mais on ne s’est jamais pris le bec. Nous nous sommes acharnés à faire fonctionner le bateau. Le temps passe vite car on a toujours plein de choses à bord d’un tel bateau. J’ai beaucoup appris au contact de Jean, et lui aussi sûrement.

Qu’as-tu appris par exemple ?

Jean a une étonnante capacité à faire avancer vite le bateau légèrement sous-toilé. Dans certaines situations, cela permet de naviguer aussi vite, voire plus vite, qu’en envoyant plus de toile. Il prend aussi les choses de manière positive. Il ne s’arrête pas aux soucis et ne se décourage pas dans les moments difficiles. Il possède par ailleurs une grande connaissance des bateaux et un sens marin remarquable. Tout cela a bien aidé quand il a fallu réparer.

Est-ce une association à refaire, sur la Transat Jacques Vabre par exemple ?

Oui, je repartirais avec Jean sans hésiter, et pourquoi pas pour la Transat Jacques Vabre. Encore faut-il que j’y participe… Le programme pour la suite est flou. La seule chose qui est certaine c’est que je participerai au Tour de France à la Voile en Diam 24 cet été. Pour le reste, nous allons entrer en discussion dans les prochains jours. Ma coopération avec Cheminées Poujoulat n’a jamais été un CDI. Dans ce métier, on construit les projets les uns après les autres.

Si tu prends le départ du prochain Vendée Globe, ce sera avec un projet potentiellement gagnant…

Exactement. J’ai toujours pris les départs des courses en ayant une chance de bien figurer.

Ton bateau actuel ferait-il l’affaire dans cette optique ?

Oui, je pourrais partir avec ce bateau. Il n’en reste de toute façon pas beaucoup sur le marché. Et il est trop tard pour lancer une construction. Ce 60 pieds ne m’appartient pas, il était loué pour la Barcelona World Race. Il faudrait donc le racheter. C’est un bon bateau. Toute la carène, de l’étrave à la quille, a été changée quand il portait les couleurs de Mare. Il est donc plus performant qu’à l’époque où Michel Desjoyeaux a remporté le Vendée Globe à son bord (en 84 jours, 03 heures et 09 minutes, NDLR). Je connais ce bateau, je sais comment l’optimiser. En le préparant comme il faut, il pourrait être dans le match. Les IMOCA de nouvelle génération seront quand même plus performants, mais à l’échelle d’un Vendée Globe un 60 pieds plus ancien peut obtenir un beau résultat.

Quoi qu’il en soit, l’envie de t’engager une quatrième fois dans le Vendée Globe est là ?

Oui, mais je ne partirai pas coûte que coûte. J’aurai besoin de moyens financiers importants et de temps pour me préparer. Il faut donc se décider rapidement. Ceci dit, je sors tout juste d’un tour du monde en double très éprouvant et j’ai besoin de me poser un peu. Il ne faut pas banaliser l’exercice ! Contrairement à ce que peuvent croire les spectateurs, le Vendée Globe ne démarre pas au moment du départ. Le marathon commence bien avant !

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