François Gabart se livre…
C’est à l’occasion du dernier Trophée Mer Montagne, disputé fin janvier au Corbier, que nous sommes allés à la rencontre de François Gabart. Loin des tracas quotidiens, François s’est laissé aller à faire le point sur la Voile, la Montagne, sa vie et ses projets.
Rencontre avec François Gabart…
Interview réalisé le 28 janvier 2015 …
L’IMOCA, une classe franco-française ?
C’est une Classe française à l’origine. Si je ne dis pas de bêtise, elle a été créée par Isabelle Autissier, Christophe Auguin, Philippe Jeantot… Elle a un succès extraordinaire en France. C’est très important de ne pas l’oublier. Il n’y aucun pays au monde qui peut rivaliser face au Vendée Globe. La Volvo, si elle est internationale, mais limitée, n’atteint pas la ferveur populaire du Vendée Globe. Donc, oui l’IMOCA est une réussite.
Après, est-ce que nous voudrions qu’elle s’internationalise ? Évidemment. Il y a déjà de très bons résultats d’étrangers. Je pense aux Anglais notamment comme Ellen Mac Arthur qui a fini 2e en 2000 et Alex Thomson sur le podium lors du dernier Vendée.
Il n’y a rien de négatif à ce que l’IMOCA reste un succès en France.
Premier Vendée Globe. Première victoire. C’est difficile un Tour du Monde ?
C’est difficile. C’est clair que c’est difficile. La Course au Large d’une manière générale est difficile, et encore plus en solitaire, car tu es poussé dans tes derniers retranchements. Si tu rallonges le parcours et que tu vas dans des coins compliqués sans assistance, cela rend les choses encore plus difficiles. C’est pourtant ce que tu recherches. Je n’ai jamais cherché la facilité en Course au Large. C’est dans la difficulté que j’apprends sur moi, que je progresse et que je m’éclate. Je vais faire un tour du Monde en Ultime. A priori cela ira plus vite, mais ce ne sera pas pour autant plus facile !
Comment fait-on pour apprendre aussi vite, aussi jeune ?
Je n’ai pas de recette miracle. Quand on n’a pas l’expérience, il faut aller la chercher. J’avais la chance d’être très très bien entouré, dans mon équipe, avec Michel Desjoyeaux et Mer Agitée, et de manière générale avec toute la structure du pôle Finistère Course au Large. J’avais un environnement hyper propice pour pouvoir progresser très rapidement. J’en été conscient quand j’ai lancé le projet en 2010. Je suis allé voir la MACIF et je leur ai dit : «Il m’est possible de partir sur un projet Vendée Globe dans deux ans. C’est un peu serré en planning, cela risque de n’être pas simple, mais si nous faisions cela intelligemment, il y a moyen de progresser très rapidement » La suite nous la connaissons…
Beaucoup de prétendants au Vendée Globe 2016. Est-ce réaliste d’annoncer des projets à tout va ?
Il n’y a pas de mal à dire que l’on souhaite faire le Vendée Globe, même si à ce moment-là ce n’est pas d’actualité. C’est la meilleure solution pour partir. Cela a été mon cas. Très rapidement, avant même de faire la Figaro, dès que j’ai rencontré la MACIF, je leur ai clairement parler de mes envies de m’aligner sur le Vendée Globe. A ce moment là ce n’était pourtant pas d’actualité…
La chance se provoque. Si tu restes dans ton coin et que tu ne dis rien, cela ne va pas te tomber dessus. C’est normal d’annoncer. Aujourd’hui personne ne dit qu’il veut faire le Vendée Globe alors qu’il n’a pas de budget. Je ne pense pas qu’il y ait des gens qui annoncent des choses qu’ils n’envisagent pas concrètement…
Quels sont tes favoris pour le Vendée Globe 2016 ?
Il y a six bateaux neufs, mais avec des niveaux de fiabilisation moins importants que les anciens IMOCA. Il n’empêche que ce sont six très bonnes équipes avec six très bons marins. Je ne me fais pas trop de soucis : ils arriveront à développer très rapidement leur nouveau bateau.
Il y a aussi l’ancien MACIF qui reste un très beau bateau aux mains de Paul Meilhat. Paul a la jeunesse, même s’il est plus vieux que moi ! S’il a une certaine inexpérience en IMOCA, il peut la combler assez vite…
Il y a aussi Yann Eliès qui va récupérer SAFRAN, ou encore Jérémie Beyou qui accumule l’expérience.
Six bateaux neufs plus les trois ou quatre premiers bateaux du dernier Vendée, cela fait déjà une petite dizaine de vainqueurs potentiels…
Tu reviendras sur le Vendée Globe ?
Je ne sais pas. Comme je viens de le dire, si tu en as l’envie, il faut l’annoncer… Aujourd’hui je n’en ai pas l’envie. Ce qui veut dire que je ne souhaite pas y retourner demain. Hier j’ai fêté la date anniversaire de ma victoire sur le dernier Vendée (ndlr : Interview réalisé le 28 janvier…). Le prochain Vendée Globe, c’est dans deux ans, le suivant dans six ans. Aujourd’hui j’ai un projet Ultime qui va me prendre cinq ans et qui me passionne au plus haut point. Après ces cinq ans, reviendrai-je sur la Classe IMOCA ? C’est une option comme une autre. Je ne vais pas répondre Non. Ce serait trop bête de se fermer cette porte…
Tu suis la Volvo ?
D’un peu loin. Je regarde les classements, mais ne me projette que très peu. J’ai seulement regardé deux ou trois fois les fichiers météo, je lis les news, mais je suis attentif à ce qui se passe. D’ailleurs j’ai bien vu la victoire avant hier de DongFeng. Les gars à bord font une course remarquable. Ils naviguent bien depuis le début. J’espère qu’ils vont continuer sur le même rythme jusqu’à la fin.
Il y a beaucoup de gens que je connais à bord de DongFeng. Cela me fait plaisir de les voir aussi bien naviguer
Pourquoi les Français sortent-ils du lot ?
Je n’en sais rien. Parce qu’ils sont bons ! (Rires)
Les bateaux sont des monotypes, donc tous pareils, donc c’est l’équipage qui fait la différence. À bord de Dongfeng, à part Charles Caudrelier, peu d’autres ont déjà fait la Volvo, mais ce sont de super marins. Il faut voir ce qu’ils ont fait sur le Figaro, en ORMA, sur le Jules Verne, l’IMOCA… Au de-là du succès de la Course au Large en France les marins français ne sont pas des brêles, ils naviguent bien. C’est chouette. Cela fait plaisir de savoir qu’il y a toute une filière Course au Large très performante.
Tes plus grands plaisirs en Voile ?
Mes plus grands plaisirs ? J’en ai depuis longtemps, car ils s’accumulent : mes premiers bords en Optimist, mes premières croisières avec mes parents quand j’avais six ans… Ce qui fait que quand tu termines au Vendée, tu as certes la course qui est derrière, (mais aussi) la préparation du Vendée, les années de Figaro… C’est cette accumulation qui fait que je suis super heureux aujourd’hui et que je m’éclate dans ce que je fais, mais ce sont les dernières courses qui pour moi sont les plus belles, le Rhum, le Vendée…
Tes plus grandes frayeurs ?
J’ai eu la chance de ne pas m’être fait de grandes frayeurs, sauf une, alors que j’étais en préparation olympique à Marseille, par vent d’Est en plein hiver, il y a quinze ans, et que j’étais tombé à l’eau. Mon équipier a réussi à virer et à venir me rechercher. Il aurait très bien pu ne pas réussir… Je ne sais pas trop comment cela se serait alors terminé.
Je ne dis pas que le Vendée ce n’est pas dangereux. Il ne faut pas oublier que dès que l’on met un pied sur un bateau, sur une planche à voile, un kytesurf et dès que l’on s’écarte de 50m du bord il y a déjà un certain risque. Moi, je m’étais mis en danger à 500 mètres de la plage du Prado !Un mauvais souvenir pour moi ce fut lors de la Cap Istanbul en 2008 au large de la Sardaigne. C’était ma première saison de Figaro et je m’éclatais. L’accident ne me concernait pas directement, mais cela m’a affecté. Christophe Bouvet est tombé à la mer. J’étais trop loin pour pouvoir intervenir. Nous nous sommes donc retrouvés avec un mec à l’eau, de nuit. Il a eu beaucoup de chance que l’on réussisse à le repêcher à temps, car il n’était pas équipé pour séjourner longtemps dans l’eau. Cela nous a fait à tous une bonne piqûre de rappel.
Le Trophée Mer Montagne. Aficionado ?
C’est assez récent. Ma première participation date d’il y a cinq ans. Malheureusement – ou heureusement – je n’ai pas pu tous les faire depuis, car j’étais sur l’eau ou tout juste arrivé après le Vendée Globe.
J’adore cet évènement et j’adore la montagne en général. J’ai malheureusement passé peu de temps de ma vie en montagne. Je suis originaire des Charentes et j’habite en Bretagne, la Montagne est donc loin. J’aurai pu avoir des opportunités quand je faisais mes études à Lyon mais je n’avais pas un rond à l’époque et je faisais du bateau tout le temps. Je n’ai donc pas eu la chance de faire du ski.Aujourd’hui, dès que j’ai un peu le temps, je viens à la montagne et je ne manque pour aucun prétexte le Trophée Mer Montagne. C’est un événement assez extraordinaire. J’adore l’échange avec les montagnards et même, paradoxalement, avec les marins. Lorsque nous sommes en mer, notre quotidien, c’est le boulot. Tout s’enchaîne et nous n’avons pas le temps de prendre du temps, de nous faire un resto, de discuter autour d’un verre. Aujourd’hui nous sommes là dans un univers très différent. Avec les marins nous prenons le temps de mieux nous connaître et d’avoir de bons échanges, comme nous en avons aussi avec les montagnards qui vivent dans un autre monde, pas si éloignés que cela de la mer. Les montagnards ont beaucoup de respect et de fascination pour ce que nous faisons et inversement.
Le Trophée Mer Montagne. Une bonne préparation pour le Vendée Globe ?
Je suis allé au Mer Montagne quelques mois avant mon Vendée de 2012. A part naviguer évidemment, je ne sais pas quelle est la préparation idéale pour le Vendée, mais tu as beaucoup à apprendre des gens qui ont fait l’Everest, que ce soit par rapport à l’engagement, à la prise de risque, à la gestion du projet dans sa globalité, à savoir prendre la décision au bon moment.) C’est aussi une très très bonne préparation pour le Vendée. Cela t’ouvre un peu les yeux et te permet de prendre du recul sur un événement qui n’est pas simple.
C’est pour cela que Nicolas Boidevézi ou Aurélien Ducros sont capables de faire de belles courses, comme un Vendée : ils ont la culture du risque et de l’engagement dont on a besoin sur un Tour du Monde. D’ailleurs, Avec Aurélien, avec qui je m’entends très bien, je discute sur la préparation d’une course de Freeride où toutes ces valeurs seraient mises à l’honneur.
En tête du Trophée Mer Montagne. Comment fais-tu ?
On court par équipe et je suis avec un bon (Aurélien Ducros NDLR)… J’arrive tout juste à le suivre !
Je dois dire que déjà tout petit j’adorais la montagne. Quand j’avais quatre ou cinq ans, j’aimais grimper. Si nous avions habité Chamonix, peut-être aurais-je été un grimpeur ou un skieur ? Dans les sports de glisse, je ne suis pas trop mauvais, et pour avoir une bonne forme physique, je fais beaucoup de sport en général. Donc même si les épreuves s’enchaînent au Trophée Mer Montagne, j’ai la caisse pour être parmi les premiers…