A moins de 2 semaines du départ, Benoît Charon, directeur de course de la Solo Basse-Normandie nous décrit ‘son’ parcours… romanesque ! C’est un parcours inédit, un genre de long slalom que l’on peut imaginer littéraire, dans les îles anglo-normandes.

· Vendredi, le départ aura lieu à 14h30, en pleine période de digestion, on évitera peut-être une trop grande ardeur sur la ligne pour cette première épreuve de la saison des Figaro Bénéteau 2.

Victor Hugo connaissait Granville. Il y a même fait… De la voile ! « J’ai fait une promenade en mer à Granville. Il faut que je te la conte. Arrivé au bout de la jetée, je saute dans un canot, et me voilà voguant. »

· Cap au 100 vers la bouée Roche Gautier, entre Bréhat et le plateau des Roches Douvres, cher à notre auteur qui y situe Les Travailleurs de la Mer.

55 milles, une formalité pour nos solitaires, qui travailleront leur vitesse et devront être très vigilants : les très grandes marées du week-end précédent vont encombrer le plan d’eau de divers débris flottants qui, bien coincés dans un safran, font rapidement perdre de précieux dixièmes de nœuds. Le passage se fera sans doute de nuit et il faudra « enquiller » une trentaine de milles pour contourner les Minquiers par le Sud.

Pour les détails sur les dangers de cet immense plateau rocheux, relire Quatre-vingt-Treize, cela permettra à certains de revoir quelques notions d’histoire sur la révolution française.

« -Pilote, dit le Capitaine, où sommes-nous ?

– Sur les Minquiers

– De quel côté ?

– Du mauvais…

– Quel fond ?

– Roche criarde

– Peut-on s’embosser ?

– On peut toujours mourir, dit le pilote… »

Victor est arrivé à Jersey en 1852. Nos solitaires y demeureront, on l’espère, moins longtemps : une petite vingtaine de milles vers la Basse Jourdan, virage à bâbord puis une phase un peu complexe, la météo sera sans doute un point crucial de cette phase de la course. « Jersey dort dans les flots, ces éternels grondeurs, Et de sa petitesse, elle a les deux grandeurs Île, elle a l’océan ; roche, elle est la montagne, Par le sud Normandie et par le nord Bretagne… »

 Du courant, des côtes élevées, quelques obstacles, il y aura des choix à faire qui peuvent se traduire par un avantage significatif en arrivant à la seconde plus grande île des anglo-normandes, Guernesey. Ce sera sans doute samedi. Quelques milles dans les pattes déjà, des virages, les cailloux, un peu de courant, peu de repos, mais sans doute une flotte encore groupée.

« Je dédie ce livre au rocher d’hospitalité et de liberté, à ce coin de vieille terre normande où vit le noble petit peuple de la mer, à l’île de Guernesey, sévère et douce, mon asile actuel, mon tombeau probable. »
Victor y a vécu quinze ans, y a achevé Les Misérables. Nous, c’est un phare qui nous intéresse, les Hanois, qui balisent l’ouest de l’île, un coin assez mal pavé.
Au passage de cette tour, construite d’ailleurs en 1862 donc sans doute sous les yeux de Victor, la flotte s’élance, cap au nord-est vers le Raz Blanchard.
Le redoutable passage à niveau devrait être clément avec de petits coefficients de marée, mais la force du vent peut néanmoins créer deux difficultés : il y en a, on passe mais on se fait mouiller, il n’y en a pas et on ne passe pas… Auparavant seuls les locaux connaissaient les petits passages à la côte. Ici nous avons affaire à des marins plus qu’expérimentés, il peut y avoir de jolies photos à faire, dans les cailloux au ras de Goury.
Victor décrit peu cette pointe du Cotentin. Seul point commun : la CRIIRAD (centre de recherche sur le nucléaire) a son siège dans une rue… Victor Hugo !

· Une seule tour sera marque de parcours : la Plate, à laisser à tribord pour décourager les plus intrépides de laisser du plomb sur les rochers normands avant la dernière ligne droite (une douzaine de milles) vers la rade de Cherbourg. Nous serons samedi soir, peut-être la nuit ou le dimanche matin. Victor aussi y était arrive de nuit…
« N’en rien voir que quelques lumières dans un amas d’ombre, n’en rien entendre dans la rumeur de l’océan, c’est admirable, on la suppose comme on veut. »
Et là… On saura qui inscrira son nom sur le célèbre trophée, fragment de côte et de granit, que Victor aimait à décrire.
« Les rochers ces rudes hercules,
Combattant dans les crépuscules,
L’ouragan, sinistre inconnu,
La mer, en pleurs dans la mêlée,
Tremble. Et la vague échevelée
Se cramponne à leur torse nu. »

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