Nuit noire sur route mal pavée
« Ca tartine », « C’est viril ! », « C’est un champ de mines » racontaient cette nuit les marins de l’option sud à la vacation. La flotte de la Transat AG2R LA MONDIALE menée au classement provisoire par le tandem Nicolas Lunven/Eric Péron (Generali) poursuit son avancée vers Saint-Barthélemy sous deux régimes encore bien différents. Les Sudistes, poussés par un alizé fort et instable, engrangent les milles (254 milles parcourus depuis hier matin pour Generali), tandis les Nordistes avancent presque deux fois moins vite et tentent de rejoindre à coups d’empannages un vent de nord-est plus soutenu.
Période de pointe sur l’autoroute du Sud
« Je vous déconseille un voyage en amoureux dans les alizés, ce serait un motif de rupture ! » écrivait Martin Le Pape cette nuit dans un message reçu au PC Course. L’ambiance à bord des 9 équipages de la route sud n’a rien d’une promenade de santé. Les marins sont en cirés, surfent sur de gros talus presque aussi grands que des immeubles, dorment peu, voire pas du tout, à l’image de Gérald Véniard sur Scutum : « C’est un champ de mines ici, on ne voit rien du tout car il n’y pas de lune, nous nous relayons toutes les heures, car au bout d’un moment on ne voit plus rien, je suis un peu naze ». Sous petit spi, les Figaro Bénéteau 2 progressent à vive allure vers l’arc antillais. Dans les surfs, les équipages se sont offerts des pointes à 20 nœuds, de quoi affoler les compteurs. Generali en tête du classement provisoire de 5h ce matin poursuit sa trajectoire proche de la route directe. L’équipage reste hyper confiant : « Cela va rester comme ça pendant deux jours, après il y aura des coups à jouer » avouait Eric Péron à la vacation. Safran-Guy Cotten et Skipper Macif en pointe de la flotte sudiste affichent tous deux une trajectoire parfaite depuis plusieurs jours. Les bougres ne lâchent rien. Mais comment font-ils pour être dessus H24 ?
Au Nord, c’est « Pif-paf » selon Jean Le Cam
« Nous n’avons pas arrêté de faire des petits empannages, c’est ce qu’on appelle un « pif-paf ». Nous empannons, ré-empannons pour éviter les grains » expliquait Jean Le Cam sur Interface Concept ce matin. Les quatre mousquetaires du Nord continuent de ronger leur frein dans des conditions météo très instables. Ils voient leurs camarades du Sud prendre la poudre d’escampette. Made in Midi, le premier du groupe, n’a avalé que 152 milles en 24 heures, contre 254 pour Generali. L’écart va continuer de se creuser car les alizés toniques ne sont pas encore pour aujourd’hui pour les gars du ch’nord. N’empêche, et c’est sans doute ce qu’il faudra retenir de cette 12 édition de la Transat AG2R LA MONDIALE, l’ambiance au sein des équipages respire le bonheur quelque soit le chemin emprunté…
LES MOTS DES MARINS
Eric Péron, Generali :
« Depuis hier midi, c’est tonique. Nous avons entre 22 nœuds et 30 nœuds de vent qui permettent de surfer assez fort. Il n’y a pas de lune, ça n’a pas été facile car nous ne voyions rien du tout. Là, la lune commence à se lever. Nous sommes en cirés et pieds nus, ça mouille un peu. Ce n’est pas hyper agréable car nous transpirons un peu. Nous avons dû faire des pointes à 18-19 nœuds toute à l’heure. Désormais ça plafonne à 15 nœuds de vitesse. Nous faisons des quarts de 2h30 chacun. Hier, j’ai pris un poisson volant dans l’épaule, mais ça va, ce n’est pas très peuplé. Nous sommes premiers, c’est cool. Nous avons dépassé les gens du Nord. »
Gérald Véniard, Scutum :
« C’était une nuit difficile. Nous n’avons pas vu la lune, il y avait pas mal de nuages. Je n’ai pas dormi, donc il va falloir que je me repose dans la journée. Nous ne sommes pas tous les deux sur le pont, nous nous relayons toutes les heures car sinon nous ne pouvons plus regarder les compteurs. Tes yeux sont tous brouillés. Nous sommes en cirés, en chaussettes étanches et en bonnet étanche. Je ne pensais pas que nous ressortirions le ciré ! Nous avons 25 nœuds de vent. Il y a de gros nuages mais ce ne sont pas des grains. La mer, comme on ne voit rien, c’est un champ de mines. Aux dernières nouvelles, nous avons un empannage à faire pour deux heures seulement. Plus on avance, plus le vent va être à droite, ce qui sera favorable. Enfin, nous avons tenu la cadence ! Je suis content, car les jeunes devant, ils vont vite. Hier Generali nous a mis 8 milles dans la bataille. Ça fait mal. Donc là, je suis content. »
Jean Le Cam, Interface Concept :
« Nous sommes au portant avec un peu d’air. Nous ne sommes pas loin de Made in Midi, nous le surveillons. Nous sommes descendus un peu plus Sud que lui. C’est pas mal. Nous n’avons pas arrêté de faire des petits empannages, c’est ce qu’on appelle un « pif-paf ». Nous faisons environ 3 heures de quart chacun. Nous empannons, ré-empannons pour éviter les grains. La lune s’est levée il n’y a pas très longtemps, c’est agréable. Nous n’avons pas trop de poissons volants. Nous sommes plutôt contents de marcher vers le Sud. »
Roland Jourdain, La Cornouaille :
« C’est sportif. La mer est copieuse et le vent est tonique. D’une manière générale, nous n’avons pas de quart précisément défini. Là, Martin a pris la barre et je m’apprêtais à faire un petit roupillon. Nous nous attentions à un meilleur confort dans ces alizés. Nous sommes très déçus de la formule « All inclusive » que nous avons prise. Il faut se méfier de ce qui se cache derrière le mot alizé. Avec notre petit spi, il faut faire attention d’autant que la mer est grosse. Ça roule, ça roule, et puis tu peux te retrouver avec deux trois talus, il faut rester concentré. Le début de nuit sans lune, c’était assez chaud. Nous sommes en cirés car quand on se prend LA vague, on est marron. Nous essayons de garder le contact avec les autres bateaux de tous les côtés. Nous sommes un peu agacés que Generali soit passé si rapidement devant nous. Nous pensions qu’ils allaient être bloqués par la dorsale, mais non. Et en plus ils savent très bien faire marcher leur bateau. Là il n’y a pas milles options, c’est surtout une course de vitesse. »