Mardi noir pour les sudistes
A 2 320 milles de Saint-Barth, cette 9e journée de course n’est-elle qu’un épisode ou un véritable tournant dans le conflit qui oppose le camp du nord à celui du sud ? Avantage aux nordistes qui, depuis midi, avancent entre deux et quatre fois plus vite que leurs adversaires méridionaux, actuellement piégés dans une zone sans vent au large des côtes mauritaniennes…
Attention, gros ralentissements sur la nationale 7. Un semi-remorque en forme d’excroissance anticyclonique est couché en travers de la voie. C’est mardi noir pour les sudistes qui, dès midi, se retrouvaient à l’arrêt sur la route des vacances. Poisson futé les avait prévenus. Mais la navigation en short et T-shirt se mérite et il faut en passer par là : accepter de patienter dans les bouchons avant de caracoler au portant.
Au large de la Mauritanie, de 30 Corsaires, le plus à l’est à Generali, le plus à l’ouest, les speedomètres sont bloqués à 1,5 nœud et les trajectoires des bateaux commencent à partir dans tous les sens. Preuve que les calmes sont installés. Une dorsale baladeuse a emprisonné les Figaro qui ne devraient pas en sortir avant la fin d’après-midi. Les spis, hissés hier soir, ne sont certainement plus à poste, tant il est difficile de les tenir en l’absence de vent. Ou alors, ils sont en berne, en attendant le retour du flux de nord qui leur permettra de poursuivre leur quête vers les alizés.
Pain blanc pour les nordistes
250 milles plus au nord, c’est une tout autre réalité. Point de spi, mais du près, à tirer des bords dans un vent contraire. Les cinq échappés de la voie septentrionale n’affichent certes pas des vitesses à deux chiffres, mais ils se maintiennent autour des 5 nœuds, de quoi prendre de l’avance sur leurs adversaires. Ce scénario était écrit. Mais il ne s’agit là que d’une des premières scènes de ce road movie à suspense.
Des nuances dans les options
Dans les deux clans, pourtant, tous les navigateurs n’ont pas la même vision du jeu.Au nord, Corentin Horeau et Michel Desjoyeaux (Bretagne-Crédit Mutuel Performance), ont choisi de jouer l’option à fond, tandis que Gedimat, Made in Midi et Interface Concept font ménage à trois, plus au sud, calés sur la route directe. Une vraie régate à vue anime ce trio pointé aujourd’hui en tête du classement. La majorité de la flotte (9 bateaux) fait quant à elle route vers le Cap Vert. Mais elle est étalée sur plus de 100 milles en longitude. Dans cette répartition, une partie des équipages souhaite limiter le fossé avec la route directe (Generali, Scutum), quand d’autres cherchent à attraper les alizés les premiers (Skipper Macif, 30 Corsaires).
Méthode Coué
Quelle que soit sa position sur le « plan d’eau » (les bateaux sont actuellement répartis sur une surface de 88 000 km2, soir l’équivalent de 10 fois la Corse), chacun croit dur comme fer en sa chance. Même Erwan Tabarly et Thierry Chabagny (Gedimat) qui ont longtemps hésité entre deux stratégies, semblaient ce matin convaincus de leur choix. Côté sud, certains sont formels : « Au nord, c’est mort » affirmait Yoann Richomme (Skipper Macif), « la majorité a toujours raison » rationnalisait Laurent Pellecuer (30 Corsaires). Méthode Coué ou espoirs réels ? Ce soir, en tout cas, ce sont les hommes du nord qui ont raison : ils avançaient entre deux et cinq fois plus vite que leurs rivaux.
La belle vie au soleil
Seul point d’accord entre les deux camps : un spectacle naturel paradisiaque. Le soleil brille, la chaleur s’installe, shorts, Crocs et T-shirts ont remplacés polaires et cirés. Cette nuit, les marins ont eu droit à une éclipse de Lune. Depuis plusieurs jours, ils naviguent avec les dauphins, assistent au spectacle des baleines, offrent refuge à des oiseaux fatigués et s’enhardissent devant des bancs de méduses à voile (phosphorescentes la nuit, dixit Roland Jourdain). Mais dans ce bestiaire aquatique, ce qu’ils espèrent tous voir bientôt, finalement, ce sont les poissons volants. Les fameux exocets annonciateurs de navigation tropicale dans les alizés. Ce n’est malheureusement pas pour tout de suite…
LES MOTS DES MARINS
Yoann Richomme / Skipper Macif :
[quote]On a vu l’éclipse de lune cette nuit c’était superbe. On 5/6 nœuds, on est sous spi, c’est léger mais on devrait avoir un retour du vent…
On est confiant dans notre option, le scénario s’est amélioré pour le sud, on est un groupe de six qui va chercher la victoire, on ne s’occupe même plus des gens du nord, on ne regarde même plus la météo là-haut !! Les dés sont jetés, on verra à l’autre bout.
On voit Safran qui s’est bien débrouillé cette nuit, c’est à celui qui arrivera à prendre l’alizé le premier. A ce sujet, je pense qu’on est mieux placé dans l’Est. Toute la nuit on attendait 2 nœuds de vent et en fait, on en a eu 5/6. C’est un peu de la poésie, tout ça. Un coup tu gagnes, un coup tu perds, tu ne sais pas trop pourquoi. On va continuer comme ça dans le sud pendant 3 ou 4 jours, presque jusqu’au Cap Vert. Notre stratégie nous fait faire 600 milles de plus par rapport à la route directe, mais on ne fera pas plus de 400 milles par rapport à ceux du nord. C’est un pari, on y a réfléchi, on était les premiers à partir dans le sud dès La Palma. Je pense qu’on est dans les temps pour être dans le paquet de tête à l’arrivée.[/quote]
Roland Jourdain / La Cornouaille :
[quote]A bord, c’est sérieux dans la bonne humeur ! Au quotidien, c’est génial, Martin est au top du dynamisme, de l’envie, de l’engagement, des réglages, comme ça je dors je dors 24h sur 24 ! Non, c’est bien, il nous manque juste l’expérience du bateau. Nous sommes des débutants tous les deux, ça me rajeunit !
Sur notre terrain de jeu, nous avons été gâtés. Par ordre de taille décroissant, on a vu un beau grand rorqual de 16 ou 17 m, après on a eu le plaisir de voir des globicéphales, des dauphins tous les jours, avec un grand numéro de cirque et des cabrioles. Nous avons aussi vu des méduses à voile, et la nuit elles sont phosphorescentes… Nous avons qu’une seule envie, c’est d’être le mieux placé. Gagner ce serait merveilleux ! Et si possible le 28 avril parce que c’est mon anniversaire ![/quote]
Erwan Tabarly / Gédimat :
[quote]Nous sommes au près, et nous tirons des bords. Nous avons du vent d’ouest, plein face. Il y a 10 nœuds de vent, ce sont conditions très agréables et maniables. Des conditions agréables pour naviguer. La route directe, ce n’est pas pour tout de suite. A la base, on aurait bien aimé aller dans le Sud, on a eu un gros grain à la sortie de Palma, qui a fait que la flotte s’est regroupée. Après, nous sommes restés dans la pétole. Nous n’avions pas du tout le même vent. Nous attendions une bascule que l’on n’a jamais eue pour descendre dans le sud. N’y arrivant pas, on a regardé les deux options, rien n’était alors très tranché… (…)
Pendant trois jours au moins on sera au près. Ça ne sera pas de tout repos, bien que trois ou quatre virements dans la journée, ce n’est pas non plus très physique. En revanche, c’est plus le fait que le vent bascule qui demande de l’attention à la barre et au réglage. Car il faut vider les ballasts, les remplir, car le vent passe de 6 à 10 nœuds. Il faut matosser tous les sacs. Quand il y a six nœuds, on enlève le matos au rappel, après on le remet. On a du boulot quand même !
Nous sommes confiants pour la suite, très très confiants. Le moral est là, on est bien revenu sur Made in Midi, entre hier soir et ce matin. Il y a des camarades de jeu, ça motive, on les voit très bien. Mais entre les deux options rien n’est fait. (…)[/quote]
LE TROPHEE DE LA PERFORMANCE
Remporté par Guadeloupe Grand Large 1. Mathieu Forbin et Nicolas Thomas ont parcouru 109,5 milles en 24 heures entre le 15 et le 16 avril 12 heures.
LE CHIFFRE DU JOUR
88 000 km2. C’est la surface sur laquelle sont actuellement répartis les 14 bateaux en ce 9e jour de course, soit l’équivalent de 10 fois la Corse.