Quarante-quatre équipages en double étaient amarrés dans le bassin Paul Vatine du Havre pour la onzième édition de la Transat Jacques Vabre. D’entrée de jeu, les conditions météorologiques ont quelque peu bousculé le programme pour laisser finalement partir les tandems le 7 novembre. Le vent fut ensuite si coopératif que les temps mis pour effectuer les 5 450 milles entre le port normand et la ville brésilienne d’Itajaí ont été très courts : 11 jours pour le premier MOD70 à 20 jours pour le vainqueur en Class40… Les quatre classes ont dévalé l’Atlantique à vitesse grand V !

Les coups de vent succèdent aux tempêtes en ce milieu d’automne : la Manche et surtout le golfe de Gascogne sont balayés par un train de dépressions qui lèvent une mer très chaotique et génèrent des vents principalement orientés au Sud-Ouest et à l’Ouest. Le 3 novembre, une nouvelle perturbation est attendue au large du Havre et les conditions se dégradent encore les jours suivants en mer d’Iroise : la Direction de Course en accord avec l’ensemble des partenaires et des classes décide le report du départ. Le coup de canon libérateur sera donc finalement donné le jeudi 7 novembre à 13h00 et l’ensemble des participants s’élance dans une brise modérée de secteur Ouest avec une mer encore agitée. Et comme une dépression doit passer au milieu du golfe de Gascogne samedi, les 26 Class40’ sont arrêtés à Roscoff pour une escale météorologique.

Du rythme et du travers

La sortie de la Manche reste très maniable pour l’ensemble des concurrents, et en à peine 24h, les deux MOD70 sont déjà bien engagés dans le golfe de Gascogne : vent de travers avec une brise de 25 nœuds d’Ouest, les deux trimarans monotypes alignent plus de 20 nœuds de moyenne et passent le cap Finisterre dans une brise devenue plus maniable quand les Multi 50 et les monocoques IMOCA sont au cœur de la tourmente. L’état de la mer est tel que le trimaran Maître Jacques voit la partie avant de son flotteur tribord au vent arraché : il fait route à petite vitesse vers La Corogne. Certains font le gros dos quand d’autres filent déjà derrière le front à l’image de MACIF (Gabart-Desjoyeaux) qui prend la poudre d’escampette à la pointe espagnole : le monocoque casse quelques centaines de milles plus tard son safran et fait escale à Peniche (Portugal) pour en changer.

Les alizés sont puissants au large du Portugal et surtout très irréguliers : le 10 novembre dans la nuit, Arkema-Région Aquitaine se fait surprendre par une rafale et chavire au large de Lisbonne. Pendant ce temps, les Class40 sont au milieu du golfe de Gascogne poussés par une vingtaine de nœuds d’Ouest : GDF SUEZ a déjà fait le break au point qu’il va pouvoir faire une escale express à Muxia pour changer ses aériens électroniques tout en gardant le leadership sur Mare… Le rythme est donc extrêmement soutenu jusqu’au Sud du Cap-Vert.

Premières arrivées brésiliennes

En tête de la flotte de la Transat Jacques Vabre, les deux trimarans monotypes franchissent l’équateur en un peu plus d’une semaine, dans les temps des records du Trophée Jules Verne des années 2000 ! Josse-Caudrelier (Edmond de Rothschild) d’une part, et Gavignet-Foxall (Oman Air – Musandam) d’autre part mènent à un rythme d’enfer ces machines et la descente le long du Brésil est toujours aussi véloce : il n’y a que le cap Frio avec son front orageux qui pose un problème stratégique aux navigateurs car pour le reste, tout se passe sur le pont où la concentration extrême est de mise pour ne pas chavirer. Onze jours et cinq heures seulement seront nécessaires à Edmond de Rothschild pour s’imposer à Itajaí à plus de 22 nœuds de moyenne ! Et avec seulement cinq heures d’avance sur Oman Sail-Musandam qui n’a jamais été très éloigné du leader : cent milles au maximum…

Derrière, le duel fait rage entre les deux premiers Multi 50 qui suivent aussi les mêmes trajectoires, sauf Actual, en tête au large de Madère, contraint de faire un pit-stop à Porto Santo pour remplacer son électronique de tête de mât. Il repasse en tête quelques heures au Pot au Noir, mais finalement FenêtréA Cardinal maintient son avance de 50 milles au passage de l’équateur. La bagarre ne cesse qu’en baie de Rio de Janeiro lorsqu’Erwan Le Roux et Yann Eliès profitent de leur placement plus méridional pour s’imposer avec cinq heures d’avance sur Yves Le Blévec et Kito de Pavant.

Les monocoques ne mollissent pas

Au large de Madère, les monocoques IMOCA se sont scindés en deux groupes : les cinq leaders de la dernière génération suivis par Bureau Vallée et Votre Nom Autour du Monde un peu moins à l’aise dans ces allures où la puissance parle, et les trois ‘vintages’ qui ont du mal à suivre le tempo particulièrement relevé. PRB a pris le commandement mais MACIF est déjà dans son tableau arrière tandis que Maître CoQ et Safran se font piéger par un nuage de calmes en plein dans les alizés ! Puis c’est au tour de Cheminées Poujoulat de se faire arrêter alors qu’il était en tête… C’est tout de même la grande cavalcade vers le Pot au Noir quand le duo Riou-Le Cam annonce qu’il va faire escale au Cap-Vert pour lui aussi changer de safran… 50 minutes seulement seront nécessaires mais Gabart-Desjoyeaux en profitent pour reprendre la main.

A la sortie d’un Pot au Noir classique, les deux voiliers sont à vue et leurs trois poursuivants déjà décrochés. Les alizés de l’hémisphère Sud sont tout aussi instables et puissants et la descente vers Vitória n’est plus qu’une course de vitesse où MACIF s’impose… jusqu’à ce qu’il démâte au large de Salvador de Bahia ! Malgré tous les efforts de Guillemot-Bidégorry et Beyou-Pratt, PRB ne peut plus être rattrapé une fois les orages du cap Frio transpercés : Vincent Riou et Jean Le Cam signent leur première victoire sur la Transat Jacques Vabre.

L’épouvantail ibère

En ce 24 novembre, dix-sept jours se sont écoulés et les Class40 sont déjà au large de Recife ! Il faut dire que les conditions météorologiques ont été particulièrement favorables même s’il faut noter beaucoup de grains sur la route : le Pot au Noir est peu pénalisant, les monocoques naviguent sous spi ou sous gennaker dans une brise qui descend rarement en dessous de 20 nœuds, la route est toute droite, sans manœuvre, mais le ciel est toujours aussi plombé. GDF SUEZ n’aurait plus à s’inquiéter si ce n’est que Sébastien Rogues et Fabien Delahaye annoncent, après avoir dépassé Salvador de Bahia, qu’ils ont déchiré leur spi dès le Cap-Vert… Ils ont été ralentis certes, mais pas tant que cela puisque leur sistership Mare est toujours cent milles derrière. Ce sont les Espagnols qui impressionnent le plus avec Tales Santander 2014 qui revient très fort depuis son escale à La Corogne et qui commence à stresser les leaders : Alex Pella et Pablo Santurde ne finissent que 3h30 plus tard…

Et derrière, les Class40’ se tirent la bourre par paquet : Watt & Sea devance de peu Groupe Picoty, SNCF Geodis, ERDF-Des pieds et des mains et Vaquita, le voilier autrichien qui a interpelé par sa vitesse au vent de travers. Puis par vagues, les autres duos se succèdent avec des arrivées parfois extrêmement serrées comme celle de Matouba qui bat de douze minutes Proximedia… Les écarts sont à la hauteur des problèmes techniques qu’ont dû résoudre la plupart des équipages dans ces conditions toujours musclées au moins jusqu’au cap Frio. Car les derniers peinent ensuite dans les petits airs. 11th Hour Racing, clôt la course. Il mettra ainsi 30 jours pour conclure cette onzième édition de la transat Jacques Vabre.

L’Atlantique du Nord au Sud a été avalé quatre à quatre par les quatre classes et les quarante-quatre voiliers partis du Havre : seuls deux Multi 50, un monocoque IMOCA et trois Class40’ ont abandonné. Les quatre vainqueurs ont explosé les compteurs avec des temps de course à faire pâlir les prétendants au Trophée Jules Verne et les duos ont dépensé une énergie folle pour rester à l’endroit pour les multicoques (MOD70 et Multi 50) ou préserver le matériel pour les monocoques (IMOCA et Class40) : Sébastien Josse et Charles Caudrelier (MOD70) n’auront mis que 11 jours 05 heures pour boucler les 5 450 milles entre Le Havre et Itajaí, Erwan Le Roux et Yann Eliès (Multi 50) trois jours et demi de plus, Vincent Riou et Jean Le Cam (Imoca) 17 jours et Sébastien Rogues et Fabien Delahaye (Class40’) 20 jours et 21 heures !

Ils ont dit :

Fabrice Amedeo, skipper de SNCF-Geodis (Class40) :
[quote]Sportivement ce fut difficile avec peu de temps morts. C’était très engagé, nous étions sans cesse dessus, il fallait mettre le curseur au bon endroit pour ne pas casser. Nous avons fait un beau voyage, la Transat Jacques Vabre est un très bel événement.[/quote]

Erwan Le Roux, skipper de FenêtréA Cardinal (Multi 50) : [quote]Quelle aventure sportive et humaine ! Le gros point positif pour moi, au-delà du résultat, c’est d’avoir navigué avec Yann (Eliès). Ce fut du plaisir tout le temps, même s’il fallait s’accrocher dans la bataille avec Actual. C’est finalement Yves (Le Blévec) et Kito (de Pavant) qui ont maintenu la pression, et c’est tant mieux ![/quote]

Christopher Pratt, co-skipper Maître CoQ (IMOCA) :
[quote]Quelle expérience pour moi ! J’ai appris beaucoup de choses grâce à ce parcours Nord-Sud nous faisant traverser le Pot au Noir et l’équateur. Mais c’était trash ! Nous étions trempés tout le temps, il y a eu beaucoup de vent en permanence. Ce n’était pas la course que nous avions imaginée…[/quote]

Sébastien Josse, skipper de Edmond de Rothschild (MOD70) :
[quote]Ce fut une transatlantique rapide, fatigante mais passionnante. Le fait d’avoir pu mener le MOD70 en double est vraiment positif. L’exercice pourtant pas évident au départ s’est bien passé. Concernant les autres classes, j’ai trouvé que le match en IMOCA était vraiment intéressant, il y a eu du contact entre les bateaux jusqu’à la fin.[/quote]

Classement général des Class40’ de la Transat Jacques Vabre après jury (26 partants)
1-GDF SUEZ (Sébastien Rogues-Fabien Delahaye) : 20j 21h 41’ 25’’
2-Tales Santander 2014 (Alex Pella-Pablo Santurde) : 21j 01h 22’ 15’’
3-Mare (Jörg Riechers-Pierre Brasseur) : 21j 03h 21’ 55’’
4-Watt and Sea-Région Poitou Charentes (Yannick Bestaven-Aurélien Ducroz) : 22j 08h 14’ 46’’
5-Groupe Picoty (Jean-Christophe Caso-Aymeric Chappellier) : 22j 10h 26’ 47’’
6*-SNCF Geodis (Fabrice Amedeo-Armel Tripon) : 22j 11h 54’ 39’’
7-ERDF-Des pieds et des mains (Damien Seguin-Yoann Richomme) : 22j 12h 14’ 14’’
8-Vaquita (Christof Petter-Andreas Hanakamp) : 22j 13h 39’ 33’’
9-Campagne de France (Halvard Mabire-Miranda Merron) : 22j 23h 02’ 22’’
10*-Phoenix Europe (Louis Duc-Stéphanie Alran) : 23j 03h 40’ 07’’
11-BET1128 (Gaetano Mura-Samuel Manuard) : 23j 10h 29’ 48’’
12-Fantastica (Stefano Raspadori-Pietro D’Ali) : 23j 11h 43’ 40’’
13*-Solidaires en Peloton (Victorien Erussard-Thibaut Vauchel-Camus) : 23j 15h 02’ 05’’
14-Caterham Challenge (Mike Gascoyne-Brian Thompson) : 23j 16h 36’ 10’’
15-Matouba (Bertrand Guillonneau-Sébastien Audigane) : 24j 22h 12’ 15’’
16-Proximedia-Sauvez mon enfant (Denis van Weynbergh-Jean Edouard Criquioche) : 24j 22h 24’ 21’’
17-Mr Bricolage (Damien Rousseau-Matthieu Alluin) : 24j 23h 40’ 40’’
18-Eärwen (Catherine Pourre-Goulven Royer) : 25j 00h 43’ 45’’
19-April/Deltacalor (Lionel Regnier-Tim Darni) : 25j 16h 24’ 15’’
20-Obportus3 (Olivier Roussey-Philippe Burger) : 26j 17h 28’ 15’’
21-Croix du Sud (Michelle Zwagerman-Patrick Conway) : 26j 23h 23’ 28’’
22-EcoElec-Fantronic (Eric Darni-Florent Bernard) : 28j 04h 49’ 20’’
23-11th Hour Racing (Hannah Jenner-Rob Windsor) : 30j 4h 28’ 25’’
ABD – Marie-Galante (Dominique Rivard- Wilfrid Clerton) : bôme endommagée
ABD – Dunkerque Planète Enfants (Bruno Jourdren – Thomas Ruyant) : blessure
ABD – Concise 8 (Ned Collier Wakefield – Sam Goodchild) : problème de safran
*Pénalité incluse

Classement général des IMOCA de la Transat Jacques Vabre après jury (10 partants)
1-PRB (Vincent Riou-Jean Le Cam) : 17j 00h 41’ 47’’ à 13,30 nœuds de moyenne
2-Safran (Marc Guillemot-Pascal Bidégorry) : 17j 04h 43’ 23’’
3-Maître CoQ (Jérémie Beyou-Christopher Pratt) : 17j 05h 15’ 07’’
4-Cheminées Poujoulat (Bernard Stamm-Philippe Legros) : 17j 12h 19’ 44’’
5-Bureau Vallée (Louis Burton-Guillaume Le Brec) : 20j 02h 18’ 45’’
6**- Votre Nom Autour du Monde (Bertrand de Broc-Arnaud Boissières) : 20j 02h 34’ 05’’
7-Energa (Zbigniew Gutkowski-Maciej Marczewski) : 20j 10h 47’ 17’’
8-Initiatives Cœur (Tanguy de Lamotte-François Damiens) : 21j 03h 55’ 46’’
9-Team Plastique (Alessandro Di Benedetto-Alberto Monaco) : 21j 03h 55’ 55’’
ABD-MACIF (François Gabart-Michel Desjoyeaux) : démâtage
**Bonification de 2 heures incluse

Classement général des Multi 50 de la Transat Jacques Vabre (6 partants)
1-FenêtréA Cardinal (Erwan Le Roux-Yann Eliès) : 14j 17h 40’ 15
2-Actual (Yves Le Blévec-Kito de Pavant) : 14j 22h 47’ 30
3-Rennes Métropole-Saint Malo Agglomération (Gilles Lamiré-Andrea Mura) : 19j 16h 03’ 46
4-Vers un monde sans Sida (Erik Nigon-Samy Villeneuve) : 20j 01h 11’ 18
ABD-Maître Jacques (Loïc Féquet-Loïc Escoffier) : flotteur arraché
ABD-Arkema Région Aquitaine (Lalou Roucayrol-Mayeul Riffet) : chavirage

Classement général des MOD70 de la Transat Jacques Vabre (2 partants)
1-Edmond de Rothschild (Sébastien Josse-Charles Caudrelier) : 11j 05h 03’ 54
2-Oman Air-Musandam (Sidney Gavignet-Damian Foxall) : 11j 10h 04’ 09

Source

Articles connexes