Le jeu des extrêmes
Les 15 concurrents encore en course (abandons de Yoann Richomme et Nicolas Lunven *) ont paré la marque au nord de Minorque peu après minuit, au terme d’un long bord de reaching tonique et humide qui s’est terminé dans 30 noeuds et sous un ciel zébré d’éclairs. Ce matin, le décor avait radicalement changé. Au large des côtes espagnoles, le vent a déserté et la flotte tire péniblement des bords au près, à 3 noeuds de moyenne. En tête, c’est le pugilat entre Gildas Morvan (Cercle Vert), Adrien Hardy (Agir Recouvrement) et Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012). La plupart des marins n’ont pas fermé l’oeil depuis le départ de Barcelone hier après midi.
Méditerranée, mer de contrastes. Les solitaires engagés dans cette deuxième étape de La Generali Solo en ont ici un petit aperçu. Hier soir, ils étaient au largue serré, sous spi, filant à plus de 10 nœuds dans les vagues, pour rejoindre la première marque de parcours au nord de Minorque (toute la flotte est passée en 40 minutes). Ce matin, au grand large des côtes espagnoles, ils peinent dans les calmes, face au vent. C’est la fameuse « zone de transition » que les marins s’apprêtaient à traverser à ce stade du parcours, en attendant l’établissement progressif d’un flux de nord-ouest. Après la course de vitesse de la veille, c’est une partie plus stratégique qui s’engage, avec l’obligation, toutefois, de rester en veille.
Pas dormi, pas mangé
Car la plupart d’entre eux n’ont pas fermé l’œil de la nuit. Joint à la vacation ce matin, Adrien Hardy (Agir Recouvrement) confiait ne pas avoir dormi, ni mangé, être resté constamment sur le pont de son bateau. Même aveu de la part de Gildas Morvan, qui n’a pas lâché la barre depuis le départ.
Redoutable hier dans sa capacité à aller vite au reaching, le skipper de Cercle Vert est l’homme de tête de ce début d’étape. Mais depuis les premières heures du jour, les attaques fusent de toute part. Ses plus proches adversaires, Adrien Hardy et Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) se sont légèrement décalés au large. Dans son axe, 1,5 mille derrière, Frédéric Duthil (Sepalumic) et Anthony Marchand (Bretagne- Crédit Mutuel Performance) se livrent un sacré duel. A surveiller aussi la position des deux hommes qui se sont décalés à terre : Paul Meilhat (Skipper Macif 2011) et plus extrême encore, Thierry Chabagny (Gedimat).
Chacun espère avoir réussi son coup pour toucher le premier les prémices du nouveau vent (secteur nord puis nord ouest). Ce n’est qu’une fois installé, que les solitaires pourront s’octroyer quelques siestes. D’ici là, il faut continuer à faire avancer les bateaux et rester à l’affût des risées. Une partie de la flotte s’est faite décrocher hier. Les derniers sont désormais relégués à plus de 7 milles de la tête de course. Jean-Paul Mouren (MarseillEnreprise), victime de problèmes de pilote automatique, ferme la marche à 9 milles des leaders.
Deux abandons
Ils ne sont plus que 15 à se bagarrer dans cette étape. Après l’abandon de Yoann Richomme (DLBC) hier après midi (barre de flèche cassée), Nicolas Lunven (Generali) a déclaré forfait hier soir, après s’être blessé à la cheville gauche pendant une manœuvre. Le skipper de Generali ne souffre pas lorsque sa jambe est au repos. Il est en sécurité et fait route vers Frontignan où il prendra une décision sur la suite des événements, après avoir consulté un médecin.
Ils ont dit
Gildas Morvan (Cercle Vert) : » On est arrivé à Minorque assez vite avec du sud ouest assez fort, jusqu’à 28 nœuds. On était sous génois et sous spi. A la sortie de Minorque on était encore sous spi à 5 nœuds. Depuis le vent a molli et c’est très faible. On est au près dans du vent de Nord. L’objectif c’est d’aller assez vite pour choper le nouveau vent. Ce n’est pas facile de dormir dans ces conditions, il a fallu barrer constamment. On espère avoir du vent un peu plus stable pour aller dormir un peu. J’ai réussi à manger un peu, à boire quelques cafés donc ça va. On tient le choc ! Adrien Hardy n’est pas loin de moi et Fabien Delahaye n’est pas très loin non plus. Tout à l’heure on a eu une zone de transition entre sud ouest et vent de nord, une bonne bande nuageuse est passée ! Depuis ça s’est découvert, c’est dégagé et il n’y a pas beaucoup de vent ».
Adrien Hardy (Agir Recouvrement) : « On a quitté Barcelone avec du vent et rejoint Minorque rapidement. C’était assez tonique. Je suis content, ça s’est bien passé pour moi. C’était un grand bord de vitesse. Je suis passé deuxième et puis j’ai rattrapé Gildas (Morvan) juste après le passage de Minorque, après l’empannage. Maintenant on est dans du vent très très faible. Actuellement j’avance à 2 nœuds. Depuis le départ de Barcelone jusqu’à Minorque, je n’ai pas lâché la barre du tout, je ne suis pas rentré dans le bateau, je n’ai pas mangé. Depuis une heure, même s’il faudrait être à la barre pour faire avancer le bateau, j’essaie de me reposer. C’est quand même important d’être dessus parce que là c’est une zone de transition qui va durer quelques heures et ensuite le vent devrait rentrer par devant. Il faut s’appliquer à faire marcher le bateau. Il y a pas mal de monde autour de moi ».
Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) : « On a eu une nuit ventée jusqu’à il y a à peu près 1h30 2h, pour aller jusqu’à Minorque. On a fait deux bonnes heures de spi dans 25 nœuds voire 30. Ca envoyait bien ! J’ai fait un bon coup au passage de la bouée : j’ai empanné, affalé le petit spi et renvoyé le grand spi et je suis revenu sur la tête de flotte. C’était très orageux cette nuit et on est passé dans le nouveau régime. C’est changement d’ambiance, mais depuis qu’on est au près j’essaie de me reposer. C’est la première fois depuis le début de la course qu’on a du vent, en plus on a fait ça de nuit. C’était très orageux mais malgré tout c’était gérable. Il y a eu beaucoup d’éclairs, on n’a entendu aucun bruit par contre c’était bourré d’éclairs partout autour de nous. On a slalomé entre les orages. Là on ne sait pas où ça va passer. J’essaie de viser la sortie par le nord est, j’espère que ça va payer. Je suis bord à bord avec Cercle Vert et avec Agir Recouvrement. L’avenir c’est sortir de cette transition, récupérer le vent de nord qui va adonner progressivement et nous permettre de viser Port Cros ».
Nicolas sur son téléphone iridium dimanche à 23 heures : « Juste après la tombée de la nuit, j’étais en train de préparer un changement de voile. J’étais dans le cockpit, debout, le génois dans les bras quand j’ai été déséquilibré par une vague. Ma cheville gauche a été prise en porte à faux, peut-être que j’avais le pied en équilibre sur le cale-pied. J’avais déjà une gêne, un problème de fragilité de ligament sur cette cheville depuis cet été. Quand je suis au repos à la table à carte ça va, je n’ai pas mal et j’ai pris des antidouleurs. Mais manœuvrer avec 25 nœuds de vent, se déplacer dans le bateau, c’est la galère. Alors j’ai pris la décision de faire route vers Frontignan. Je ne me sentais pas d’aller jusqu’à Beaulieu, ni de faire les petits parcours en baie là-bas avec une cheville fragilisée. Je ne suis pas en mesure d’empanner un tangon ou d’installer un génois. Je suis actuellement à 180 milles de Frontignan, dans 25 nœuds d’ouest-sud-ouest. La mer est très maniable. Le vent va mollir et je pense arriver à Frontignan dans la nuit de lundi à mardi. Une fois là-bas, je verrai un médecin et je prendrai une décision pour la suite. Je suis déçu. Je savais que j’avais ce passif à la cheville et j’avais ça comme une épée de Damoclès au dessus de la tête. »