L’art de la courbure
Dans le grand virage vers l’est, les hommes de l’extérieur prennent petit à petit le dessus sur le reste de la flotte. Plus éloignés du centre de l’anticyclone des Bermudes, ils bénéficient d’un gradient de pression plus important et avancent à bonne vitesse vers la route directe. Toute la flotte commence à converger et les classements devraient prendre de plus en plus de sens.
C’en est terminé des allures de près pour remonter plein nord. Depuis la nuit dernière, le vent a commencé de s’orienter au sud-est et s’oriente progressivement vers le sud-ouest. Les solitaires ont pu enfin sortir les voiles de portant des sacs et commencer de goûter les plaisirs de la glisse. Les conditions de navigation deviennent plus agréables, les carènes ont cessé de taper dans chaque vague… Mais, contrepoint de retour aux allures portantes, les solitaires ont dû sortir toute la garde-robe des voiles de portant depuis les gennaker jusqu’au grand spinnaker pour certains. François Gabart (MACIF) en a d’ailleurs fait les frais, en se faisant doubler dans la nuit par Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3) qui a fait parler là toute son expérience et la parfaite connaissance qu’il a maintenant de son bateau. Parfaitement bien placés, ces deux-là risquent fort de s’emparer des deux premières places pour un moment, même si Banque Populaire tient toujours la corde.
Séquelles et petits bobos
Petit à petit, tous les navigateurs prennent la mesure de la course. Le temps d’adaptation nécessaire pour endosser à nouveau sa peau de marin est maintenant digéré. Les marins retrouvent un rythme de sommeil propice au repos fractionné, enfilent au fur et à mesure qu’ils montent vers le nord des vêtements plus adaptés aux rigueurs de l’hiver. Et surtout, beaucoup avouent de menus travaux de bricolage. La Transat Jacques Vabre a laissé des traces en terme d’usure du matériel. Mais peu s’en plaignent, préférant considérer l’exercice comme un préalable indispensable avant le prochain Vendée Globe. Seul Louis Burton (Bureau Vallée) avouait que cette transatlantique retour pourrait virer parfois au pensum, compte tenu du fait que le navigateur a explosé tous ses spinnakers entre Le Havre et Puerto Limon. Dans ces conditions, le navigateur malouin a préféré occulter les classements pour se concentrer sur sa seule course. Quand les circonstances sont défavorables, il est parfois bon de faire abstraction de certaines informations.
Ils ont dit :
Armel Le Cléac’h (Banque Populaire)
« Même si j’apparais en tête du classement, je persiste à penser que Jean-Pierre (Dick) et François (Gabart) sont mieux placés que moi. Maintenant, il peut encore se passer beaucoup de choses. Le vent devrait tourner et surtout se renforcer sérieusement d’ici deux à trois jours. Il va falloir faire attention au matériel si on veut éviter de la casse. Mais c’est aussi ce qu’on est venu chercher, dans l’optique d’une bonne préparation au Vendée Globe. »
Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3)
« J’ai commencé à récupérer de la fatigue accumulée. En mer, on a toujours besoin d’un temps d’adaptation de deux ou trois jours avant de retrouver un bon rythme. C’est d’ailleurs assez problématique, car les premiers jours de course peuvent être l’occasion de faire des erreurs que l’on paie cher. Pour ma part, j’étais assez fatigué, mais aussi ému et vidé émotionnellement par ma nomination de Marin de l’Année. Là, ça y est, je suis entré pleinement dans la course. »
Mike Golding (Gamesa)
«Je pense qu’il faut utiliser le routage comme une indication sur la route à suivre. Mais au final, il n’est pas rare que le vent sur zone et les prévisions ne coïncident pas. Il faut donc se servir du routage comme d’un outil, mais seulement comme d’un outil. Suivant les modèles, j’avais deux routes qui m’étaient proposées et au final, je me retrouve sur une route intermédiaire entre les deux. Sinon, j’ai eu un problème majeur, avec une fuite d’huile dans le moteur. C’est résolu mais j’ai eu de l’huile partout dans les fonds. Pour le reste, tout va bien.»