Pain noir après pain blanc
Il y a bien quelques velléités qui se manifestent. Chaque fois qu’ils en ont l’occasion, c’est à dire quand le vent daigne tourner légèrement vers le nord-est, les concurrents des Sables – Horta virent de bord et tentent de gagner sur la route directe vers Les Sables d’Olonne. Mais la progression est difficile dans une mer courte où le bateau tape régulièrement. Heureusement l’aiguillon de la compétition aide à supporter l’inconfort de la situation.
Les grandes glissades sous spi de la première étape comme au début de la seconde sont à ranger au placard. Pieusement conservées dans la naphtaline, elles pourront servir une autre année, ou l’automne prochain, quand il s’agira de glisser dans les alizés pour rejoindre les latitudes brésiliennes. Mais pour l’heure, c’est suroit capelé, marche des dahus et limitations de vitesse. Au près serré, la flotte est partie dans un long louvoyage de plusieurs centaines de milles. Avec en corollaire, l’humidité permanente, l’étrave qui plante dans la vague, le matériel entassé dans les bannettes au vent jusqu’à la moindre petite cuillère. Bref ! La navigation au près n’a rien d’une sinécure. Autant, elle est agréable et gratifiante sur un plan d’eau olympique, où de la ligne de départ à la marque au vent, il se déroule en moyenne une toute petite demi-heure, autant ce n’est pas tout à fait la même musique quand il s’agit de tenir trois jours debout sur les portières.
Dispersion ou régate au contact
Pour certains, le mieux est encore de prendre son mal en patience. A bord de Kogane, Patrice Bougard et Gilles Dadou ont choisi de jouer la carte du virement de bord unique, qui les emmènera presque à coup sûr vers les Sables d’Olonne. Pour l’heure, ils sont déjà à la latitude des îles Scilly, une centaine de milles au nord des leaders de la course. C’est un pari risqué, dans la mesure où les deux grillent leur joker, si jamais le vent ne vient pas à s’orienter comme souhaité.
En tête de flotte, on préfère adopter une stratégie beaucoup plus prudente, en tentant d’exploiter chaque variation de direction du vent pour gagner sur la route. A ce petit jeu, Sébastien Rogues et Fabien Delahaye mènent toujours la danse sur GDF SUEZ, mais ils ont à leurs trousses un paquet de six furieux qui ne se lâchent pas d’une étrave. Mare (Jörg Riechers – Sébastien Audigane), Campagne de France (Halvard Mabire – Miranda Merron), Red (Mathias Blumencron – Volker Riechers), BET 1128 (Gaetano Mura – Samuel Manuard), Phoenix Europe Carac (Louis Duc – Stéphanie Alran) et Eärwen (Goulven Royer – Bertrand Buisson) naviguent au contact, comme s’ils étaient en train de disputer un de ces fameux parcours olympiques où le près a toutes ses lettres de noblesse. L’excitation de la régate, le cocasse d’une situation qui, sur un parcours de plus de mille milles, rassemble six bateaux en moins de cinq milles, est un parfait remède contre la torpeur que ne manque pas de subir un équipage isolé, luttant pied à pied contre chaque vague, par 30° de gite et 150% d’hygrométrie.
Petites casses matérielles
Néanmoins, la navigation au près laisse des traces. Plusieurs bateaux ont été victimes d’avaries mineures mais qui perturbent la bonne marche vers l’arrivée. A bord de Solidaires en Peloton, Victorien Erussard et Thibault Vauchel-Camus ont dû faire face à la rupture de leur drisse de grand-voile, avec pour solde de tout compte, une ascension en haut du mât pour Thibault et une bonne demi-heure de réparation par plus de quinze mètres de haut, balloté par chaque mouvement de vague. A bord de Mr Bricolage (Damien Rousseau – Stéphane Le Diraison), c’est la drisse de gennaker qui a cédé, quand sur Groupe Picoty (Jean-Christophe Caso – Rémi Beauvais), la navigation au près a eu raison des connections satellites, privant l’équipage de fichiers météo au moment peut-être le plus crucial de la course. Pour d’autres, c’est simplement la découverte d’une allure usante comme en témoignait Giovanni Pastorino, l’équiper de Lionel Régnier à bord de Deltacalor : « On vit un peu comme des singes à bord… » Sauf que les singes sont hydrophobes.
Ils ont dit :
Thibault Vauchel-Camus (Solidaires en Peloton)
« On était dans le bateau penché sur la météo. On a entendu un grand bruit et on s’est retrouvé avec la grand-voile sur le pont. Ce matin, je suis monté pour faire un brélage et le sécuriser avec un deuxième. C’est un peu chaud en tête de mât… J’avais vu des vidéos pendant le Vendée Globe des gars qui montaient en tête de mât et qui avaient l’air d’en baver et bien… je confirme. En fait, il faudrait un casque et une coquille. Sinon, dès qu’il y a une variation de vent à exploiter, on n’hésite pas à virer. C’est le seul moyen pour rester au contact du paquet de tête. »
Jörg Riechers (Mare)
« La mer est assez agitée. C’est compliqué. Nous avons Red juste derrière nous. La fin de course va être très compliquée. Jusqu’à la nuit de samedi à dimanche ça va, mais ensuite, on va entrer dans une zone sans vent. La première étape s’est jouée au large de Graciosa, celle-ci pourrait se jouer au large de Penmarc’h.…»
Sébastien Rogues (GDF SUEZ)
«L’arrivée ne va pas être simple. On va arriver le long des côtes bretonnes. On va prendre ce qui va nous tomber dessus et voilà. Faudra-t-il raser les côtes ou pas ? On a fait beaucoup de virements, donc beaucoup de travail. Fabien fait la navigation, il fait ça à merveille, j’apprends énormément de choses avec lui.»
Goulven Royer (Eärwen)
« Tout va bien, il fait beau. On a hâte de rentrer à la maison. Depuis ce matin, on navigue à vue avec les autres bateaux, c’est vraiment intéressant. On ne cherche pas à faire du cap comme des fous, on sait que des bateaux comme Mare ou Campagne de France ont plus de capacité que nous à remonter dans le vent. Donc on fait attention… »
Classement de l’étape (à 16h TU+2) :
- GDF SUEZ (Sébastien Rogues – Fabien Delahaye), à 421,8 milles de l’arrivée
- Mare (Jörg Riechers – Sébastien Audigane), à 11,2 mille du premier
- Campagne de France (Halvard Mabire – Miranda Merron), à 12,1 milles
- Red (Mathias Blumencron – Volker Riechers), à 12,2 milles
- BET 1128 (Gaetano Mura – Samuel Manuard), à 12,6 milles