Billard atlantique
Difficile de se fier aux classements de ce début d’étape. Ceux-ci étant calculés en distance au but, ils ne sont pas forcément représentatifs de l’état de la flotte. Pour avoir une meilleure idée de la hiérarchie, mieux vaut évaluer ceux qui pointent en tête de leur groupe, sur des options plus ou moins ouest.
C’est un gigantesque jeu de billard à trois bandes qui se déroule entre les Açores et les Sables d’Olonne. Pour espérer toucher au but, il va donc falloir monter vers le nord, voire le nord nord-ouest par instants, pour ensuite infléchir une première fois sa route et tenter de traverser la dorsale anticyclonique là où elle sera la plus étroite, et enfin redescendre, route au sud-est vers les côtes de Bretagne puis de Vendée. En l’occurrence, cela signifie pour les concurrents : accepter par moments de faire une route qui les éloigne encore plus des Sables d’Olonne. Autant avoir, à cet instant, une bonne vision spatiale du plan d’eau pour accepter cette bizarrerie : plus je m’éloigne du but, plus je m’en rapproche…
Bataille d’empannages
Pour corser la difficulté, les équipages ont dû composer toute la nuit durant avec un régime de vents variant du sud au sud-est, soit pratiquement du plein vent arrière, l’allure détestée des Class40. Avec leurs grands spis asymétriques, les tandems évitent le plein vent arrière et doivent alterner les bords de grand largue et les empannages. Ainsi Victorien Erussard et Thibault Vauchel-Camus ont-ils comptabilisé plus de quinze empannages dans la nuit, avec à la clé, non seulement le changement de voiles de côté, mais aussi les ineffables obligations corollaires comme le déplacement du matériel d’un bord à l’autre. Ce n’est donc pas : « fouff, fouff, je change la bôme de côté », c’est au final une manœuvre qui demande une bonne demi-heure de travail à chaque fois.
Des écarts latéraux faibles
Au classement de 12h, ce sont à peine dix milles qui séparent le plus occidental de la flotte, Mr Bricolage, du voilier le plus à l’est, Groupe Picoty. Mais ces dix milles d’écart peuvent impliquer des différences de vitesses importantes. Pour l’heure, c’est l’équipage de GDF SUEZ qui semble avoir le mieux tiré son épingle du jeu. Fabien Delahaye, pilier de la série Figaro est parfaitement habitué à ces joutes au contact où il faut savoir saisir la moindre opportunité. Nul doute que son expérience aura joué. Derrière lui, quatre équipages sont plus ou moins sur la même diagonale nord-ouest – sud-est. Groupe Picoty, le plus à l‘est accuse un peu de retard mais serait le mieux placé pour mettre le clignotant à droite. Légèrement en avant Jörg Riechers et Sébastien Audigane (Mare) sont à la lutte avec Olivier Grassi et Dominique Rivard (Marie-Galante) qui réalisent un début de course épatant. D’autres équipages restent à l’affût à quelques milles à peine comme Bet1128 (Gaetano Mura – Samuel Manuard), Red (Mathias Blumencron, Volker Riechers), Campagne de France (Halvard Mabire, Miranda Merron) ou bien encore Solidaires en Peloton (Victorien Erussard, Thibault Vauchel-Camus).
Chacun son rythme
A l’arrière de la flotte, on est loin de ces batailles tactiques. A bord d’Ecoelec, Eric Darni et Erwan Rivallain se réjouissaient surtout d’avoir pu embarquer des vivres frais à l’escale d’Horta reléguant les sachets de lyophilisés aux oubliettes. Sur Croix du Sud, Michèle Zwagerman racontait avoir joué avec les dauphins une bonne partie de la nuit. Ecoelec a même eu la satisfaction de se voir classé un temps deuxième de la course, car étant encore un des plus proches de la route directe. Il n’y a pas de petits plaisirs qui ne méritent d’être savourés.
Ils ont dit :
Stéphanie Alran (Phoenix Europe Carac)
« On est bord à bord avec d’autres bateaux. On a eu un début de course un peu difficile. On était un peu trop proche de la dorsale et on a failli rester collé. On a pris l’option de monter dans le nord et de garder le maximum de vent avec nous. Il va falloir suivre le baromètre, les formations nuageuses. On va essayer de garder à l’esprit de faire ce que l’on a décidé sans se laisser influencer par les autres. »
Sébastien Rogues, (GDF SUEZ)
« La nuit s’est très bien passée. On a essayé de sortir de l’archipel au mieux et ce matin notre position nous plait. Cette nuit, dès que ça mollissait on allait vers le large et on récupérait. Fabien a fait une très belle navigation… Seul revers de la médaille, on est un peu fatigué parce qu’on n’a pas beaucoup dormi. Ce qui va être compliqué, c’est de savoir à quel moment on va pouvoir lofer, affaler le spi et infléchir notre route vers Les Sables d’Olonne. »
Victorien Erussard (Solidaires en Peloton)
« C’est digne d’une régate en baie. Devant, ils ont fait un petit break déjà. On est bord à bord avec Halvard. Cette nuit, on a empanné juste à temps, on a un peu serré les fesses en s’approchant trop près de la dorsale. C’est important d’avoir des concurrents à vue pour pouvoir se caler en vitesse. On a besoin de se reposer un peu, parce qu’on a passé la nuit à veiller, entre la navigation, les manœuvres et la surveillance des concurrents sur l’AIS. »
Positions à 16 heures (TU +2)
- GDF SUEZ, Sébastien Rogues – Fabien Delahaye à 1 175,6 milles de l’arrivée
- Mare, Jörg Riechers – Sébastien Audigane à 5,9 milles du premier
- Marie-Galante, Dominique Rivard – Olivier Grassi à 7,2 milles
- Groupe Picoty, Jean-Christophe Caso – Rémi Beauvais à 8,6 milles
- Solidaires en Peloton Victorien Erussard – Thibault Vauchel-Camus à 9,1 milles
- Campagne de France, Halvard Mabire – Miranda Merron à 10,6 milles
- BET 1128, Gaetano Mura – Samuel Manuard à 10,9 milles
- Momentum Ocean Racing, Emma Creighton – Dan Dytch à 11 milles
- RED, Mathias Blumencron – Volker Riechers à 11,2 milles
- Partouche, Christophe Coatnoan – François Coquerel à 11,5 milles