Le film de la victoire de Yann Eliès
Depuis Bordeaux jusqu’à Dieppe, la 44ème édition de La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire a proposé un parcours extrêmement varié par ses conditions météorologiques et un scénario à rebondissements avec le chassé-croisé en tête au classement cumulé entre Yann Eliès et Frédéric Duthil. Quatre vainqueurs d’étape, sept abandons, plus de 1 800 milles en trois semaines, et un final historique pour Yann Eliès qui s’impose pour la deuxième fois consécutive…
En choisissant de débuter la course à Bordeaux pour rallier Porto, La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire offrait une nouvelle approche aux 41 solitaires : un public nombreux sur les quais de la Garonne en parallèle de la fête du Fleuve, une remontée jusqu’à Pauillac pour donner le départ dans l’estuaire de la Gironde le 2 juin, une première traversée du golfe de Gascogne puis un contournement de la pointe ibérique pour descendre le long des côtes espagnoles et portugaises. 540 milles en trois tranches : 30 milles pour atteindre l’Atlantique en tirant des bords, 350 pour le cap Finisterre sous spinnaker et 160 milles pour finir au Portugal dans des brises erratiques.
Des crus et des crues
Première surprise en Gironde : les pluies torrentielles du printemps gonflaient le fleuve qui charriait des centaines de troncs d’arbre et de détritus végétaux ! Une certaine tension régnait donc avant le coup de canon libérateur, mais au final, les 41 solitaires proposaient un superbe spectacle le long des rives de la Garonne où se massait un public enthousiaste au cœur des cépages illustres. Tout commençait par un long louvoyage où il fallut enchaîner une cinquantaine de virements de bord pour enfin, enrouler le phare de Cordouan. Le « bleu » Simon Troël (Les Recycleurs bretons) faisait les frais d’un banc de sable qui le bloquait sept heures…
Le vent de Nord d’une dizaine de nœuds prenait une orientation Nord-Est à Est en fraîchissant progressivement au fur et à mesure que la flotte se rapprochait du cap Ortegal. Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) prenait déjà la tête de la meute mais celle-ci se dispersait en latitude avec Michel Desjoyeaux (TBS) et Xavier Macaire (Skipper Hérault) les plus au Nord, Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) le plus à terre. La brise prenait encore du coffre pour atteindre plus de 35 nœuds sur une mer courte qui imposait un pilotage technique et plusieurs solitaires cassaient du matériel ou partaient en vrac…
Mais d’un seul coup au large du cap Finisterre, le vent s’écroulait et un nouveau départ était lancé puisque toute la flotte s’alignait, les uns au large en bordure de rail des cargos, les autres à raser les falaises espagnoles. La suite était une succession d’à-coups en fonction de bulles sans vent difficiles à cerner et l’incertitude régnait entre les partisans du large emmenés par Yann Eliès et les afficionados de la terre avec Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls). Et sur le dernier sprint, le Briochin s’échappait inexorablement devant Frédéric Duthil (Sepalumic) et Jean-Pierre Nicol. Les écarts étaient très importants puisque le 4ème avait déjà une heure de retard et le 12ème deux heures !
Classement de la première étape Bordeaux-Porto (540 milles)
- Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) en 3j 03h 03′ 26
- Frédéric Duthil (Sepalumic) en 3j 03h 47′ 30
- Jean Pierre Nicol (Bernard Controls) en 3j 03h 59′ 44
- Xavier Macaire (Skipper Hérault) en 3j 04h 08′ 34
- Alexis Loison (Groupe Fiva) en 3j 04h 21′ 02
23 et 1er bizuth-Jackson Bouttell (Artemis 77) en 3j 05h 27′ 49
L’Arlésienne thermique
Escale courte mais intense à Porto pour repartir sur un parcours raccourci de 150 milles au vu des conditions météorologiques : un front qui passe dès le coup de canon, du petit temps pour toute la première nuit, du médium portant pour toute la journée suivante et une fin d’étape qui vire au cauchemar pour certains… Jérémie Beyou (Maître CoQ) met tout le monde d’accord à la bouée Radio France et emmène le peloton dans son sillage vers le large dans l’espoir que la brise de huit nœuds bascule derrière le front.
Mais deux solitaires restent à terre, à raser le cap Finisterre : Gildas Morvan (Cercle Vert) et Jean-Pierre Nicol… Et ça passe quand le vent revient par le Sud-Ouest au détriment de Thierry Chabagny (Gedimat), Michel Desjoyeaux et bien d’autres qui rament pour recoller. Mais si certains sont totalement décrochés, la plupart restent dans le coup car la brise grimpe à plus de 20 nœuds après le cap Ortégal. Sauf Louis-Maurice Tannyères (Joanna) qui se blesse à l’épaule en tombant : il est débarqué sur le PSP Le Flamant pour être rapatrié à l’hôpital de La Corogne.
C’est à la fin de la nuit devant la pointe Estaca de Barès que ça se complique : derrière un brouillard qui se lève, certains voient une éclaircie à terre et des nuages bourgeonnants. Ils piquent vers les côtes asturiennes dans un vent de Sud-Est mou quand d’autres restent au large : ils ont raison puisque la brise thermique ne vient pas alors qu’un flux d’Est se met en place devant Gijon. Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) s’impose après un duel serré avec Morgan Lagravière (Vendée), Yann Eliès est dans le bon paquet, Frédéric Duthil sauve les meubles à la 10ème place, Xavier Macaire perd ¾ d’heure tandis que Jean-Pierre Nicol et Gildas Morvan descendent aux enfers : 25ème et 27ème !
Chez les « bizuths », Claire Pruvot (Port de Caen Ouistreham) réalise un beau parcours à la 16ème place et revient à quelques minutes du Britannique Jackson Bouttell (Artemis 77) au classement cumulé. En haut du tableau, le match est relancé pour la deuxième et troisième place au général puisque Yann Eliès augmente son avance sur ses poursuivants directs alors que la marge se resserre entre les douze premiers…
Classement de la deuxième étape Porto-Gijon (300 milles)
- Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) en 2j 03h 11′ 43
- Morgan Lagravière (Vendée) en 2j 03h 12′ 42
- Anthony Marchand (Bretagne-Crédit Mutuel Performance) en 2j 03h 16′ 12
- Jérémie Beyou (Maître CoQ) en 2j 03h 16′ 56
- Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) en 2j 03h 19′ 45
16 et 1er bizuth- Claire Pruvot (Port de Caen Ouistreham) en 2j 04h 02′ 30
La bulle invisible
Petite pause à Gijon avant un gros morceau dans le golfe de Gascogne puisqu’il faut parer l’île d’Yeu avant de longer les côtes bretonnes jusqu’à Roscoff. Et les routeurs ne savent plus à quel saint se vouer : une dorsale est en cours de résorption pour laisser place à une bulle sans vent dont le positionnement semble aléatoire sur la route directe. Et au coup de canon, Vincent Biarnes (Prati’Bûches) réalise un superbe départ bâbord amures devant toute la flotte : il contourne la bouée Radio France en tête avec Julien Villion (Seixo Habitat) dans son sillage mais à peine quelques milles plus loin, la flotte est dispersée en éventail.
A fond au large, Jean-Pierre Nicol se démarque quand Gildas Morvan part totalement à l’Est sur une route qui théoriquement est plein Nord ! En quelques heures, il y a quinze milles de décalage latéral… Et comme le vent de Nord-Est d’une douzaine de nœuds mollit en basculant au Sud-Est puis au Sud-Ouest, il y a du dégât dans la flotte : Morgan Lagravière est en pointe et contourne Yeu en tête pour affronter un front tonique avec 20 à 25 nœuds de vent d’Ouest et une mer très formée. Le long bord vers Penmarc’h est l’occasion de quelques recadrages fructueux au Sud de Belle-Île mais il n’y aura pas vraiment de grand chambardement entre le raz de Sein très agité, et Roscoff.
En revanche, les avaries touchent deux solitaires : Claire Pruvot qui voit sa barre de flèche se rompre, ce qui l’oblige à abandonner pour rallier Lorient au moteur, et Yann Eliès dont l’étai casse au large des Glénan ! Un rapide bricolage lui permet de conclure l’étape à vitesse modérée, ce qui le relègue tout de même à la 21ème place, avec deux heures de perdues sur le vainqueur à Roscoff, Morgan Lagravière : celui-ci en profite pour le doubler au classement général de trois petites minutes tandis que Frédéric Duthil fait jackpot avec sa huitième place qui le propulse leader au cumulé avec une demie heure de marge !
Classement de la troisième étape Gijon-Roscoff (435 milles)
- Morgan Lagravière (Vendée) en 2j 12h 03′ 55
- Nicolas Lunven (Generali) en 2j 12h 22′ 05
- Xavier Macaire (Skipper Hérault) en 2j 12h 23′ 10
- Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) en 2j 12h 23′ 53
- Michel Desjoyeaux (TBS) en 2j 12h 24′ 25
28 et 1er bizuth-Jackson Bouttell (Artemis 77) en 2j 15h 34′ 31
L’étape des gros bras
Après quelques hésitations dues au passage d’une dépression sur la Manche prévu samedi, les 40 solitaires se préparent à une ultime étape musclée. Mais auparavant, ils doivent effectuer une boucle en mer d’Iroise, en laissant à bâbord Ouessant puis l’Occidentale de Sein avant de repasser par le chenal du Four et monter vers Wolf Rock. Dès les premiers milles, Michel Desjoyeaux prend le commandement suivi par Corentin Horeau (Bretagne-Crédit Mutuel Espoir) tandis que Vincent Biarnes doit revenir au port de Bloscon, étai cassé. Gros abordage aussi avant le coup de canon entre Amaiur Alfaro (Région Aquitaine-Ateliers de France) et Xavier Macaire dont la coque est désormais percée au niveau du ballast tribord…
Le louvoyage est relativement simple pour atteindre Portsall même s’il faut refouler le courant de flot puis se positionner pour déborder Ouessant de nouveau avec le courant contraire alors que la brise d’Ouest 15 nœuds a sensiblement molli. Et comme il y a du coefficient de marée, certains comme Claire Pruvot et Jean-Paul Mouren (SNEF) restent coincés aux abords du Fromveur. Joan Ahrweiller (Région Basse Normandie) est rentré suite à un souci de vit de mulet, Yannig Livory (Thermacote France) aussi pour un problème médical. Puis c’est Didier Bouillard (Jéhol) qui jette l’éponge sur pilote défaillant.
Yann Eliès prend le commandement à Sein, puis Morgan Lagravière vire le phare de Wolf Rock en tête alors que le vent de Sud-Ouest est monté à plus de vingt nœuds. Et cela va crescendo le long des côtes anglaises puisque la mer se forme de plus en plus, les grains culminent à 40 nœuds avec le plus souvent 30 nœuds sous spinnaker. Certains explosent, d’autres restent dans leur sac mais les leaders cravachent ! Et Damien Guillou (La Solidarité Mutualiste) démâte quand Paul Meilhat (Skipper Macif 2011) casse sa tête de mât.
Macaire, Eliès, Hardy se succèdent en tête et s’échappent progressivement d’un peloton qui s’étire de plus en plus. Frédéric Duthil a déchiré son petit spi, Morgan Lagravière décroche doucement : la victoire au classement final se joue entre Yann et Xavier alors qu’Adrien joue la gagne de l’étape. La bagarre est superbe avec des pointes de vitesse à plus de 18 nœuds et des écarts qui se creusent de plus en plus. Adrien Hardy remporte cette manche d’anthologie tandis que Yann Eliès le talonne et gagne le général. Xavier Macaire est son dauphin alors que Frédéric Duthil voit Morgan Lagravière et Yoann Richomme le dépasser au classement cumulé sur quatre manches !
Chez les « bleus », le Britannique Jackson Bouttell s’impose une nouvelle fois à Dieppe et s’adjuge le classement général des « bizuths » avec une marge de quatre heures sur Benoît Hochart (Adocis-IB Remarketing)…
Classement de la quatrième étape Roscoff-Dieppe (515 milles)
- Adrien Hardy (Agir recouvrement) en 2j 09h 02′ 20
- Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) en 2j 09h 05′ 09
- Xavier Macaire (Skipper Hérault) en 2j 09h 18′ 32
- Yoann Richomme (DLBC) en 2j 09h 25′ 16
- Morgan Lagravière (Vendée) en 2j 09h 40′ 47
21 et 1er bizuth-Jackson Bouttell (Artemis 77) en 2j 11h 17′ 25