Des trous dans le golfe
La troisième étape de La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire s’annonce encore plus compliquée que les deux premières. Ce qui signifie que les acquis précédents seront remis en cause sur ce parcours entre Gijon et Roscoff, via l’île d’Yeu de 436 milles. Le petit temps attendu dans le golfe de Gascogne va rendre la remontée vers la Vendée puis la Bretagne extrêmement ouverte…
« Après le passage d’une perturbation jeudi matin sur Gijon, le temps devient calme et humide. Ces conditions persistent 48 heures sur le Sud du golfe de Gascogne en raison de la proximité de hautes pressions. Le changement n’est attendu qu’à partir de dimanche sur le Nord du golfe de Gascogne et près des côtes du Finistère. Elles deviennent instables sous l’influence de dépressions actives qui circulent entre le proche Atlantique, l’Ouest de la Manche et le golfe de Gascogne. » précise Pour Météo Consult.
« Ce sont donc de bonnes conditions pour le départ de Gijon à midi avec un vent de Nord-Nord Ouest de l’ordre de 10 nœuds tournant Nord, sous un ciel couvert, une forte humidité avec des risques de bruine et une température de 15°C. Dès les premières heures de course en direction du large, le vent tourne au Nord-Est en faiblissant à 6 nœuds en moyenne. Il se renforce à nouveau autour de 10 nœuds en soirée, en même temps que la masse d’air devient moins humide. »
Le gruyère espagnol…
En bref, cette troisième étape ressemble à un parcours de golf ! Il va falloir éviter les trous de vent dans le golfe de Gascogne et ne pas se retrouver « ensablé » dans un bunker quand ses concurrents glissent sur le fairway… Pas de grand swing, mais plutôt de petits coups pour putter vers le « green » d’Yeu puisque les prévisions laissent entendre qu’il faudra près de deux jours pour atteindre l’île vendéenne, à seulement 230 milles ! C’est dire si le rythme aura des allures de pas de sénateur : à peine cinq nœuds de moyenne selon les routages optimistes…
Et ces bulles sans vent vont mettre les nerfs à vif dès les premiers milles quand il faudra choisir entre traverser ou contourner une petite dorsale qui barre la route au-dessus des Asturies. En sus, la brume va recouvrir les 40 solitaires et l’AIS (positionnement des bateaux par radio VFH) risque fort de ne pas englober toute la flotte. L’occasion d’une « Troussel », cette option tactique extrême et solitaire qui fait un grand détour, loin du pack ?
Il peut donc y avoir des échappées sans aucune possibilité de revenir si un calme s’installe à quelques encablures. Il faut envisager des dispersions gigantesques (de près de 100 milles en latéral) liées au choix de privilégier le large ou la terre, mais aussi concomitantes à une improbable bouffée d’air qui ne touche que quelques « élus ». Il s’annonce donc impossible à qui que se soit d’établir un scénario, d’imaginer un contrôle de ses plus dangereux adversaires au classement général, d’assurer une option conservatrice puisqu’Éole va jeter ses pétales de pétole totalement au hasard…
Courants alternatifs
Or celui ou ceux qui vont enrouler l’île d’Yeu en tête vont avoir le « cadeau bonus » : l’arrivée d’une grappe de mini dépressions atlantiques sur la pointe Bretagne va en effet se concrétiser par un nouveau flux de secteur Sud-Ouest puis Ouest dès samedi matin. La première perturbation va atteindre le Finistère à la tombée de la nuit samedi avec plus de vingt nœuds, or les leaders pourraient être en approche de Penmarc’h à ce moment-là ! Ce qui signifie que les premiers pourraient embouquer le raz de Sein à la basse mer de 4h32 (coefficient 52) pour bénéficier de la marée montante jusqu’à la sortie du chenal du Four…
Ceux qui seront en retrait auraient donc moins de courant favorable, voire pourraient refouler à la pleine mer de 10h39 ! Car en plus, le vent de secteur Ouest devrait s’écrouler à moins de cinq nœuds en basculant au Nord… Ce qui induirait un louvoyage laborieux dans du petit temps pour contourner toute la pointe bretonne. S’il y a déjà des écarts ne serait-ce que de quelques milles, ce n’est plus un « wagon » de retard, c’est une « rame » qui entrainerait une formidable redistribution des cartes au classement général !
Et comme personne n’est à l’abri d’un mauvais coup du sort, même le leader actuel Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie espoir) qui possède 57′ d’avance sur son dauphin Frédéric Duthil (Sepalumic) et 1h44′ sur le troisième Alexis Loison (Groupe Fiva), peut être mis en ballottage à Roscoff. Car en sus, l’armada des prétendants est conséquente à moins de trois heures derrière le premier au cumul des deux étapes, et aux côtés de Xavier Macaire (Skipper Hérault), Morgan Lagravière (Vendée), Yoann Richomme (DLBC), Sam Goodchild (Shelterbox-Disaster Relief), Nicolas Lunven (Generali), Paul Meilhat (Skipper Macif 2011), Damien Guillou (La Solidarité Mutualiste), Nick Cherry (Magma Structures) et Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls), deux coureurs jouent à domicile : Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) et Jérémie Beyou (Maître CoQ) ont usé leur fond de ciré en baie de Morlaix…
Ils ont dit…
Yann Eliès, Groupe Quéguiner-Leucémie espoir :
« J’espérais avoir un peu de répit : c’est râpé ! Cette étape ne va pas être plus facile que les deux premières. Cela fait partie du jeu et j’ai comme l’impression que ça ne va pas s’arrêter jusqu’à Dieppe… C’est typiquement l’étape où il faut dérouler son scénario. Il ne faut pas trop regarder ce que font les autres. C’est une édition de La Solitaire du Figaro particulièrement complexe : généralement, il y a une étape qui crée un peu d’écart et ensuite, les choses se simplifie. Cette fois le menu est varié ! Et beaucoup de solitaires ont encore des raisons d’y croire… Ce n’est pas fini, même pour ceux qui sont à trois heures derrière moi. »
Armel Le Cléac’h, Banque Populaire :
« Ce ne sera pas du tout une course de vitesse. Pour aller à l’île d’Yeu, ce ne sera pas facile. Les modèles ne sont pas tous d’accord, donc, ça va ouvrir le jeu. Vu mon retard sur le premier au classement général, je préfère avoir des conditions comme ça. Au contraire de Yann (Eliès). La course risque de durer jusqu’à Roscoff. Et puis c’est la troisième, donc il commence à y avoir un peu de fatigue. On arrive à récupérer un peu à chaque étape mais on ne repart jamais à 100%. »
Fred Duthil, Sepalumic :
« C’est la même approche que les deux premières étapes. Il faut réussir à extraire de sa tête le classement général. C’est la meilleure façon pour aborder l’étape sereinement. Il va falloir, encore une fois, être très observateur, accrocher un paquet sur une option et se caler là dedans jusqu’à l’île d’Yeu. Il y a une dorsale qui nous barre la route au moment du départ. Elle s’affaiblît un peu puis regonfle quand on arrive à l’île d’Yeu, ce qui favorise un peu l’option Ouest. C’est une étape hyper piégeuse qui pourrait générer de très gros écarts donc je crois qu’elle peut redistribuer totalement les cartes. »
Alexis Loison, Groupe Fiva :
« Ils sont tous énervés derrière moi mais je ne vais pas me laisser faire. Parce que si je suis troisième à mi-course, c’est que je dois être capable d’y rester à la fin du Figaro. Il faut que j’en sois conscient. Pour l’instant, j’ai montré de super choses et je suis très confiant dans ma vitesse, alors il faut que j’y aille sans complexe. A mi-course, plusieurs skippers ont pris une correction. On sait que la Solitaire est une course par élimination. Cette année, c’est vraiment le cas… »
Claire Pruvot, Port de Caen Ouistreham :
« Mon début de Solitaire est vraiment chouette. Je suis contente de mes deux premières étapes, mais ça n’a jamais été facile. Celle qui arrive sera aussi très difficile. On va partir avec un cas d’école : une traversée de dorsale. Moi, je n’ai encore jamais vécu ça. Il faudra que je sois vigilante. La pétole, ce n’est vraiment pas ce que je préfère. Même quand on était en match race, je n’aimais pas trop ça. Il faut arriver à aller vite, sans s’endormir, parce qu’il n’y a pas de rythme en fait. »
Michel Desjoyeaux, TBS :
« Quatre modèles météo nous donnent quatre trajectoires pas radicalement différentes, mais relativement écartées, puisqu’on se retrouve avec plus de 70 milles en latéral aux deux tiers de la remontée vers l’île d’Yeu. Donc forcément, ça peut faire de gros dégâts. Ensuite, on a toute la remontée le long de la Vendée puis de la Bretagne avec pas mal d’ouverture, enfin l’obligation de passer dans le raz de Sein. Si on arrive dans des vents faibles, une renverse de marée peut scinder la course ou la comprimer…Et sur la fin de parcours, on devrait encore avoir du petit temps en Manche. Donc, on n’est pas rendu ! Les places sont chères car il y a un très bon niveau et pas d’hégémonie. Il faut être bien inspiré. Jusque là, je ne l’ai pas été mais on va faire en sorte que ça change. »