Le jour d’après
Les lendemains d’arrivées de La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire peuvent être sereins ou tristes, selon les cas et surtout selon les temps écoulés entre le leader et ses poursuivants. A l’orée d’une troisième étape qui semble aussi complexe que les deux précédentes, les 40 solitaires encore en course doivent faire le bilan pour cette (courte) mi-temps…
Il faut positiver. Reprendre le fil. Souffler. Se reposer. Se remotiver. Se dire que la chance tourne. Que les échecs précèdent les succès. Qu’il y a encore deux manches pour se refaire, ou à tout le moins pour briller d’autres feux que ceux des cendres passées. Que demain est un autre jour. Bref, après la satisfaction de quelques uns et la déception voire la descente aux enfers des autres, il y a un monde…
Le soir est fait pour le bilan à chaud, la nuit pour le repos, le matin pour la réflexion. Car outre le classement cumulé qui marque une hiérarchie brute dans tous les sens du terme, ce sont les écarts en temps qui donnent l’impulsion ou la dépression…
Créer un synopsis
Pour ne pas s’enfoncer plus, il faut avant tout se projeter, se remettre en situation future en effaçant (à tout le moins en mettant de côté) les résultats précédents. S’immerger dans la troisième étape, comme si c’était le premier départ. Se donner des objectifs raisonnables sans imaginer faire jackpot sur un seul coup. Les « Troussel » (bord solitaire qui permet d’exploser la flotte avec plusieurs heures d’avance) ne sont pas des solutions, si ce n’est pour s’enfoncer encore plus.
L’heure est à la remise à plat des fondamentaux, des techniques de base pour faire avancer la machine, pour gérer son sommeil sans stress, pour réfléchir avant de s’engager sur un « coup », pour conserver la lucidité quand les paupières tombent et que les mains crient « basta ». Des erreurs, faisons table rase. Des boulettes, créons une démarche. C’est en structurant un synopsis pour l’étape à venir que la voie s’éclaircit. En restant critique face aux routages de départ, en oubliant les positionnements AIS qui créent le doute, en se calant sur des référents incontestés.
Revisiter les statistiques
Le marin est souvent superstitieux et parfois abonné aux probabilités improbables : même si La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire va fêter ses quarante-cinq ans la saison prochaine, le passé n’est pas le même entre les premières éditions en Half-tonner sous régulateur d’allure (années 70), en prototype carbone (années 90), en monotype (Figaro Bénéteau1, années 2000) à la stabilité modérée et en monotype (version 2, depuis 2003) avec des pilotes automatiques qui assurent jusqu’à plus de 25 nœuds sous spinnaker.
En fêtant sa dixième participation, le voilier Figaro-Bénéteau 2 a remis les compteurs à zéro : gagner deux fois de suite est donc possible et Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie espoir) peut le réaliser avec déjà 57 minutes de marge sur Frédéric Duthil (Sepalumic) et 1h44′ sur le troisième Alexis Loison (Groupe Fiva). Mais au vu des écarts considérables enregistrés sur les deux premières étapes, rien ne dit que les deux suivantes ne vont pas aussi être de redoutables couperets !
Qui peut croire que les leaders d’aujourd’hui seront ceux de demain ? Quand Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) perd 1h38′ entre Porto et Gijon sur le leader et douze places par la même occasion… Surtout qu’un minimum dépressionnaire va redistribuer les cartes pour le parcours à venir dès jeudi soir, quelques heures après le départ. Et qu’il va falloir franchir le raz de Sein, traverser le chenal du Four et longer les côtes bretonnes jusqu’à Roscoff. De quoi rater le « wagon » et ajouter des heures à son compteur.
Un fauteuil pour huit !
Et en admettant que les deux leaders d’aujourd’hui assurent leurs arrières jusqu’à l’arrivée à Dieppe (ce qui est loin d’être probable sur deux étapes aussi ouvertes !), il reste une troisième place sur le podium… Et là, la lutte s’annonce sans pitié ! Entre le troisième et le seizième, il n’y a qu’une heure de décalage ! C’est à dire rien à l’échelle de près de 1 000 milles jusqu’à la conclusion : 436 milles entre Gijon et Roscoff via l’île d’Yeu, 514 milles entre Roscoff et Dieppe via l’Occidentale de Sein, Wolfrock et l’île de Wight.
Et parmi ces prétendants aux places d’honneur, on retrouve Xavier Macaire (Skipper Hérault) plutôt percutant cette saison, Morgan Lagravière (Vendée) deuxième l’an passé, Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) double vainqueur, Yoann Richomme (DLBC) étoile montante, Jérémie Beyou (Maître Coq) double vainqueur aussi, Sam Goodchild (Shelterbox-Disaster Relief) le Britannique en progression constante, Nicolas Lunven (Generali) vainqueur en 2009, Paul Meilhat (Skipper Macif 2011) le régulier, Nick Cherry (Magma Structures) l’étonnant, Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) le joueur de coin, Michel Desjoyeaux (TBS) le brisquard aux trois victoires…
Et si derrière ces têtes de série, le temps cumulé atteint plus de trois heures sur le leader, il ne faudrait pas pour autant enterrer des solitaires qui n’ont pas eu la baraqua alors qu’ils ont animé les deux premières étapes : Thierry Chabagny (Gedimat), Gildas Morvan (Cercle Vert), Anthony Marchand (Bretagne-Crédit Mutuel Performance), Adrien Hardy (Agir recouvrement), Thomas Ruyant (Destination Dunkerque) ou Julien Villion (Seixo Habitat)…
Les « bleus » dans le rouge
Les « bizuths » sont bien présents cette année et si la bataille tourne désormais au duel entre le Britannique Jackson Bouttell (Artemis 77) et la seule femme de la flotte Claire Pruvot (Port de Caen Ouistreham), séparés de seulement cinq minutes à l’issue de deux étapes, notons que les « jeunes pousses » ont cartonné sur cette deuxième manche : ils sont quatre dans les vingt premiers !
Et si Simon Troël (Les Recycleurs bretons) n’a pour l’instant pas conclu, force est de constater qu’il a la vitesse et qu’il a souvent titillé les leaders sur cette deuxième étape. Bref, les « bleus » peuvent aussi mettre dans le rouge certaines valeurs établies et bousculer une hiérarchie qui est loin d’être acquise à la mi-temps…
A noter qu’ils ne seront plus que quarante solitaires sur l’eau puisque Louis-Maurice Tannyères (Joanna) blessé à l’épaule au large de La Corogne et évacué par le patrouilleur de la Marine Nationale PSP Le Flamant dimanche soir, a déclaré son abandon : il va rejoindre son port d’attache en équipage réduit en parallèle au départ des Figaristes jeudi à 12h.