C’était prévu, mais pas tout à fait comme ça ! Après une nuit particulièrement agitée mais propulsive, c’est le calme plat au large du cap Finisterre et les deux leaders de ce mardi après-midi, Alexis Loison (Groupe Fiva) et Michel Desjoyeaux (TBS) n’ont désormais plus beaucoup de marge devant leurs (nombreux) poursuivants. Surtout avec des vitesses qui ont chuté à un ou deux noeuds, le danger pourrait bien venir d’un groupe et d’un isolé : certains retardataires de la nuit ont coupé plus court le virage et le « bleu » Joan Ahrweiller (Région Basse Normandie) peut créer la surprise avec sa route à raser les falaises ibériques…

Le coup d’accélérateur de la nuit, suite au renforcement de la brise à plus de trente nœuds (jusqu’à 38 nœuds !) au large du cap Ortega, a été passager mais redoutable : certains comme Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) sans tangon et avec un spi à réparer, tels les Britanniques Jackson Bouttell (Artemis 77) et Henry Bomby (Rockfish) sans grand spi, ou Jean-Paul Mouren (SNEF) qui n’a plus de voile ballon à envoyer, ou encore Nicolas Lunven (Generali) qui a dû subir quelques déboires pour pointer à la 33ème place et Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) qui a enroulé sa voile autour de l’étai pendant quelque temps… ont subi de plein fouet cet assaut brutal avec quelques avaries. Mais c’est le Basque Amaiur Alfaro (Région Aquitaine –Ateliers de France) qui est certainement le plus handicapé avec son pilote automatique en vrac et son spi en lambeaux.

Brusque retournement

Certains ont pu passer sans dégât en jouant finement les bascules de vent et surtout les couloirs de brise qui semblaient plutôt s’installer au large : Xavier Macaire (Skipper Hérault) a ainsi réalisé un retour spectaculaire par l’extérieur du virage quand Michel Desjoyeaux et Alexis Loison se recadraient intelligemment plusieurs fois vers l’Ouest pour s’extirper du peloton. Et au passage du cap Finisterre, arrondi à plus de quinze milles par les leaders vers 14h ce mardi, la sanction tombait soudainement lorsque la brise de secteur Nord-Est d’une quinzaine de nœuds s’envolait pour laisser place à un tout petit souffle portatif !

En quelques dizaines de minutes, les deux à cinq milles que les deux leaders d’alors avaient cumulé à l’issue de la nuit se réduisaient à peau de chagrin avec pas moins de vingt solitaires en moins de deux milles… Et surtout, cet arrêt buffet au large était concomitant à l’arrivée d’un petit souffle plus à l’intérieur du « virage espagnol » pour des poursuivants qui pensaient être décrochés ! Ainsi en est-il pour Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) qui a pourtant déchiré son grand spinnaker dès la sortie de l’estuaire de la Gironde et qui est bien placé pour prendre le leadership ce mardi soir. Tout simplement en obliquant vers Porto plus tôt que tout le reste de la flotte, avec cinq milles seulement d’écart latéral sur le gros du peloton…

Et le Breton entraîne dans son sillage Frédéric Rivet (DFDS-Seaways), Nicolas Jossier (In Extenso-Experts comptables) et le Britannique Edmund Hill (Artemis 37). Mais la surprise vient surtout du « bleu » Joan Ahrweiller qui s’est totalement démarqué de la flotte dès le lever du jour pour continuer son bonhomme de chemin à raser les côtes espagnoles. Au point d’avoir à empanner plusieurs fois pour ne pas finir au pied des falaises. Or si son option solitaire ne porte pour l’instant pas ses fruits (il était pointé à la 16ème place à 15h), il était l’un des plus rapides en bénéficiant d’une brise thermique qui ne se développe pas au large…

Arrivée improbable

Dans ces conditions avec une météo assez incertaine pour les heures à venir, impossible de prédire quand les leaders vont pointer leur étrave sur la ligne d’arrivée à Porto ! Il ne reste pourtant qu’une centaine de milles à parcourir mais la bulle sans vent qui s’est installée au large des côtes espagnoles peut fort bien prendre racine… Et côté rives, l’effet thermique de jour doit s’étioler au coucher du soleil pour laisser place à une mer d’huile et des calmes prolongés.

Il est donc probable que cette fin de première étape de La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire traîne en longueur et des arrivées après trois jours et trois nuits en mer sont envisageables. Mais en pleine nuit dans le cul-de-sac de la baie de Porto, il n’y a la plupart du temps, pas un souffle d’air… Après le sérieux shaker de la nuit dernière et la pétole (calme prolongé) annoncée pour finir, les 41 solitaires vont arriver rincés au Portugal et il y aura du travail à terre pour réparer tous les bobos des vracs sous spinnaker. Quant à savoir qui va griller la politesse dans ce marasme météorologique, même Madame Soleil ne pourrait l’annoncer !

Ils ont dit

Adrien Hardy (Agir recouvrement), en vacation avec Le Flamant :

On est dans une phase de transition. Il va se passer des choses dans les heures à venir, c’est sûr. Avec le DST (zone de trafic maritime, interdite aux solitaires), on est tous aligné. Il y a en quelque sorte un vrai classement. On n’est plus éparpillé comme hier. Je suis bien positionné, pas loin derrière les deux premiers.
Je suis assez content de la nuit qui s’est passée. J’avais fait le choix de dormir un peu, de bien me préparer et surtout de ne pas prendre de risque en cassant éventuellement un spi. J’ai réussi à bien doser cela, à affaler le grand spi assez tôt. Et quand le vent est rentré, j’étais bien réglé. Le bateau avançait très vite. J’étais content d’être remonté comme ça en vitesse et en positionnement. C’est sûr que je suis fatigué : je n’ai pas dormi de la nuit, mais c’est le cas pour tout le monde. Mais pour gagner des places, il faut se faire mal !
Avec le peu de vent qu’on a, c’est maintenant qu’on peut se déplacer sur le plan d’eau. Dans quelques heures, quand il n’y aura plus de vent du tout, ce sera plus compliqué. Mais on n’a pas trop le choix avec le DST qui nous bloque d’un côté.

Xavier Macaire (Skipper Hérault) :

L’option bien dans l’Ouest a payé la nuit dernière en passant par le large. J’ai eu du vent fort pendant longtemps, c’était un peu de la survie d’ailleurs. On a tous eu du vent fort et en passant par le large et j’en ai eu encore plus. J’avais entre 32 et 38 nœuds de vent et c’est surtout l’état de la mer qui était vraiment défoncée à cet endroit là.
Cela m’était déjà arrivé sur la Transat 6.50 de me faire peur et là encore, je me suis fait peur. Ce sont des conditions exceptionnelles qu’on a rencontrées. Il a fallu réduire et évidemment, j’ai commencé par prendre un ris dans la grand-voile. Je voulais essayer de passer avec le grand spi et un ris mais j’ai du me rendre à l’évidence, ça ne passait pas. J’ai donc mis le petit spi. Il y a eu quelques départs au tas mais pas de soucis. Je m’en sors vraiment bien. On a un vent qui mollit tranquillement mais il y a encore un peu de brise. On a 15 nœuds, on navigue sous spi, je suis un peu lofé : c’est agréable, la mer est redevenue maniable. Ce que je crains, c’est que la météo annonce des vents très mous voire inexistants dans les heures à venir. On profite encore un peu des conditions du moment.

Joan Ahrweiller (Région Basse Normandie) :

J’ai misé plutôt sur l’option thermique. Pour l’instant ce n’est pas encore tout à fait ça mais ça devrait s’établir. J’ai gardé mon grand spi tout le long de la nuit et ce matin, j’ai fait l’erreur de l’affaler pour jouer la prudence. Cela ne s’est pas avéré payant du tout parce que pour envoyer le petit spi, je n’ai pas fait les choses dans l’ordre et ça ne s’est pas bien passé. Je regrette un peu ça parce qu’on avait bien cravaché toute la nuit. J’ai perdu un peu tout ce que j’avais gagné dans la nuit. Le point positif c’est que j’ai toujours toutes mes voiles en bon état. J’ai encore toutes les cartes pour le final qui s’avère plus que délicat.
Ca ne me dérange pas plus que ça d’être seul. Entre pas beaucoup de vent et un thermique modéré j’ai choisi le thermique. Là j’ai un vent de Nord pour un petit 8 nœuds et une mer très plate : ca glisse doucement.

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