Petites manœuvres entre amis
Sous spi depuis hier soir, les 41 Figaro Bénéteau se sont éparpillés du nord au sud dans le golfe de Gascogne pour aborder dès ce soir le grand virage à gauche à la pointe occidentale de l’Espagne. Les premiers empannages déclenchés ce matin ont encore enfoncé le clou : une partie de la flotte ayant l’intention de faire l’intérieur de la piste. C’est le cas de Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir), Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) et Julien Villion (Seixo Habitat), les trois hommes les plus méridionaux, pointés en tête cet après-midi. Toujours poussés par un flux d’est-nord-est de 15/20 noeuds, les marins s’attendent à un renforcement du vent dans la soirée et la nuit avec des rafales à 35 noeuds du côté du cap Finisterre.
Les premiers positionnements se sont opérés après la sortie de l’estuaire de la Gironde, quand il a fallu choisir entre conserver le spinnaker au largue serré, ou rester sur la route directe avec le génois. Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) a opté pour la première solution ce qui l’a décalé le plus au Sud de la flotte quand Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) se voyait contraint de rester Nord après avoir déchiré son grand spinnaker. Et l’air de rien, c’est au coucher du soleil que la flotte a commencé à partir en éventail : pas grand-chose au début avec seulement quatre milles de décalage latéral, mais au fil des heures l’entonnoir s’est élargi pour atteindre dix-sept milles de différentiel Nord-Sud sous les douze coups de midi.
Avantage aux sudistes
En fait, les « Sudistes » emmenés par Yann Eliès avec Julien Villion (Seixo Habitat), Armel Le Cléac’h (Banque Populaire), Yoann Richomme (DLBC) ainsi que les Britanniques Henry Bomby (Rockfish) et Sam Goodchild (Shelterbox – Disaster Relief) ont bénéficié d’un tout petit peu plus de pression : un bonus de quelques centièmes de nœud mais surtout la possibilité de glisser un peu plus au vent arrière, augmentant ainsi le décalage latéral.
Au Nord, Jean-Pierre Nicol sous petit spinnaker n’a pas d’autre choix que de lofer plus que ses concurrents et il se retrouve de plus en plus seul sur cette trajectoire septentrionale. Du côté du peloton emmené par Michel Desjoyeaux (TBS) et Paul Meilhat (Skipper Macif 2011), il y a en fait plusieurs groupes puisque Frédéric Duthil (Sepalumic) se positionne sur une voie intermédiaire avec Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) et Gildas Morvan (Cercle Vert) dans son sillage.
Armel Le Cléac’h, premier à empanner
Mais juste avant le classement de 11h00 diffusé à toute la flotte, Armel Le Cléac’h décidait de partir tout seul vers le Sud-Ouest : un empannage qui lui permettait de se rapprocher de la route directe, bientôt imité par une partie de ses camarades. Tout en calculant leur couloir pour contourner la pointe ouest de la péninsule ibérique, les solitaires, entre deux siestes réparatrices, ont joué toute la journée les bascules de vent.
Vers une nuit musclée
En tout cas, tout le monde se prépare à une nuit agitée : au large du cap Ortega, la brise devrait atteindre les trente nœuds voire plus et si l’effet devrait être temporaire, les marins vont devoir choisir entre garder le grand spinnaker au risque de le déchirer ou envoyer le petit au risque de se faire décrocher par leurs concurrents directs. Certes l’accélération ne devrait durer qu’entre cinq et huit heures, mais une fois dedans, impossible de lâcher la barre et délicat d’enclencher un empannage. La préparation à cette deuxième nuit en mer était donc au programme ce lundi après-midi car il faut tout ranger à bord en déplaçant le matériel sur l’arrière, sortir bouteilles d’eau et barres énergétiques pour tenir jusqu’après le lever du jour car il n’y aura plus de pause avant d’en finir avec le cap Finisterre ! Les routes auront alors convergé avec probablement un à deux milles d’écart latéral et il est certain que la flotte va nettement s’étirer sur ce passage névralgique.
Ils ont dit :
Simon Troël (Les Recycleurs Bretons) :
« J’avais bien regardé la carte et j’étais à l’intérieur en train de me dire que j’étais sur un banc. C’était chaud et du coup je me suis mis dessus. J’ai essayé de tout faire, j’ai mis le spi mais rien n’y a fait. Quand la mer est descendue, je me suis retrouvé sur le banc de sable et le bateau s’est posé. J’ai dû attendre que ça remonte pour repartir hier soir vers 23h. J’ai essayé de mettre tout le matériel à l’avant et de me mettre au niveau de la quille. Mais ça n’a pas trop bougé, ça a l’air d’aller : le safran n’a pas souffert. Je n’aurai jamais dû aller là. J’allais virer et je me suis retrouvé sur le banc comme un idiot ! Ca peut arriver à tout le monde, mais quand c’est sur la première étape du Figaro, ça fait mal. J’ai du vent ce midi, du coup ça va me permettre de faire la stratégie que j’avais décidée. J’espère qu’ils vont bien rester collés au cap Finisterre et que je vais pouvoir faire l’extérieur. J’essaie de ne pas lâcher. Comme pendant la Transat je suis à bloc, j’ai bien dormi, bien mangé cette nuit : ça va aller ! »
Julien Villion (Seixo Promotion) :
« C’est bien, ça va ! Je suis un peu plus Sud que le paquet avec qui j’étais quand je suis sorti de la Gironde. L’idée est de faire l’intérieur du virage au moment de l’empannage. On verra cet après midi. Pour l’instant, ça glisse tout seul. Mis à part la mer qui est encore un peu désordonnée, c’est grand soleil. La mer est bien bleue : c’est top. On est vent arrière et on fait avancer le bateau rapidement. On essaie de se reposer pour aborder la difficulté de la nuit prochaine, car il va falloir rester collé à la barre en arrivant sur le cap Finisterre… »
Vincent Biarnes (Prati’Bûches) :
« On est sous spinnaker en plein milieu du golfe de Gascogne et les conditions sont excellentes : du vent pour 19 nœuds, du grand soleil et des dauphins qui jouent à côté du bateau. La mer est assez calme et on va en profiter pour mettre le pilote et se reposer. Avec le courant pour sortir de l’estuaire de la Gironde, la mer était un peu formée. J’ai vu certains changer de spi pour réparer. C’est la tuile quand le grand spinnaker se déchire en début d’étape. J’ai fait attention et j’ai surtout évité de talonner dans l’estuaire parce que j’ai vu la mésaventure de Simon Troël et j’étais bien désolé pour lui. L’empannage ne va pas tarder, j’ai vu qu’il y avait déjà un bateau qui s’était positionné dans le Sud. A mon avis vers 14h-15h, les premiers empannages vont avoir lieu. Il peut y avoir pas mal de différence pour le choix de l’empannage parce que le bord est très long et chacun a sa théorie pour la négociation du cap Finisterre : est-ce qu’il faut arriver par le large ou par le cap Ortega ? C’est à voir. On va avoir une phase de vent fort jusqu’à 35 nœuds et plus : on se pose des questions pour savoir comment gérer cette phase, quel spi choisir. Je m’y prépare déjà. Je vais déplacer les poids dans le bateau, régler les voiles en fonction de ce temps là. Ce qui fait le plus peur, c’est une avarie sur le spi. On verra l’état de la mer aussi parce qu’avec ce vent fort, ça peut lever une mer assez importante. »
Michel Desjoyeaux (TBS) :
« Je n’ai jamais vu des dauphins rester aussi longtemps à côté d’un bateau ! Ils sont restés deux heures ce matin, puis ils m’ont laissé un peu de répit avant de revenir pendant deux heures. C’est une journée ensoleillée, avec pas beaucoup de nuages. On va cramer aujourd’hui. C’est sympa : j’ai Paul (Meilhat) à côté, Jérémie (Beyou) juste derrière. Tout est sous contrôle. On attend une rotation du vent, du coup on hésite entre aller vite vers l’Ouest et faire la route directe. La flotte est scindée en deux et nous trois, on est un peu dans une position centrale. On n’est pas dans les extrêmes mais bien en pointe. Je pense qu’on aura empanné avant l’heure du thé. Quand on va s’approcher de la pointe Nord-Ouest de l’Espagne, le vent devrait beaucoup forcir et il faudra à être vigilant. On va couper le fromage à ras de l’Espagne pour descendre vers Porto et il faudra s’attendre à des calmes sous les reliefs… Il y a une espèce de mer résiduelle qui nous a pas mal ralentis dimanche soir sur les hauts fonds de la Gironde et qui persiste. Du coup le bateau est pas mal balancé. Il faut rester à la barre. On peut dormir quelques petites secondes à la barre mais c’est à peu près tout. Je n’ai pas beaucoup dormi. Peut-être qu’une fois qu’on aura empanné cet après-midi, on sera un peu plus dans le bon sens avec les vagues et le bateau sera plus appuyé. On pourra en profiter pour dormir. »