Le long d’un golfe clair
A l’issue d’un prologue modifié en raison de la crue de la Garonne, les quarante-et-un solitaires sont amarrés ce samedi soir à Pauillac en attendant le départ de la première étape vers le Portugal, dimanche à 13h00. C’est la plus longue des quatre manches (536 milles) avec un plan d’eau de départ et d’arrivée inconnu des solitaires : de quoi laisser très ouvert le résultat à Porto mercredi prochain car si le golfe de Gascogne s’annonce tranquille, il n’en sera pas de même au cap Finisterre et l’atterrissage sur le Portugal devrait être très fastidieux…
Pour certains coureurs superstitieux, une victoire lors du prologue de La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire est un signe défavorable puisqu’il se dit qu’aucun vainqueur des 43précédentes éditions n’a jamais remporté ce prélude qui ne compte pas pour le classement final ! Mais pour autant, un coureur reste un compétiteur et briller devant le public, ses partenaires et aussi face aux 40 autres solitaires est toujours un plaisir et un argument psychologique…
Malheureusement, la crue de la Garonne (d’un débit de 3 000 m3/s au lieu de 650 m3/s habituellement) charriait d’énormes troncs d’arbre et autres débris conséquents qui ne permettaient pas d’envoyer un départ groupé sur un tel terrain de jeu. La Direction de Course en accord avec les skippers s’est donc tournée vers un format original : des départs décalés par groupe de quatre bateaux. Tous les coureurs ont donc pu profiter de ce spectacle unique de dizaines de milliers de personnes amassées le long des quais du fleuve, sous un soleil généreux et une jolie brise de Nord.
D’un fleuve à l’autre…
Cette première étape de la 44ème édition de La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire (départ dimanche à 13h00 devant Pauillac) se démarque des sentiers battus : pour la première fois, Bordeaux et la Gironde accueillaient la course avec toutes les contraintes et les spécificités d’une navigation fluviale pour commencer… Et l’arrivée à Porto est aussi une première : jamais les Figaro-Bénéteau ne sont descendus aussi Sud pour cette épreuve !
Or si les schémas météorologiques sont bien connus des compétiteurs au Nord de l’Espagne, contourner le cap Finisterre et longer les côtes ibériques sont une nouveauté stratégique. Particulièrement cette année puisque l’anticyclone des Açores qui a tant tardé à s’installer sur l’Europe de l’Ouest, est enfin au rendez-vous…
La conséquence en est une situation météorologique très cadrée : les 41 solitaires vont glisser de la bordure Est des hautes pressions (générant des vents de Nord) vers la face méridionale de l’anticyclone (provoquant des vents d’Est) jusqu’au cap Finisterre. Là, par effet de compression, la brise qui dans le golfe de Gascogne devrait rester modérée (10-12 nœuds dans la Gironde, 15 nœuds dans le golfe), va prendre du coffre dès le large de La Corogne pour atteindre voire dépasser les 25 nœuds.
Et comme la péninsule ibérique crée une barrière, cet effet de goulet sera éphémère : après une cinquantaine de milles musclés, la brise n’arrivera pas à contourner l’obstacle et le vent va très rapidement tomber, voire devenir inexistant. D’après les routages, le passage du cap Finisterre est programmé pour mardi en milieu d’après-midi, mais les quelques 150 milles qui resteront à parcourir jusqu’à Porto vont être extrêmement fastidieux !
Un léger flux de secteur Nord va se maintenir à une vingtaine de milles des côtes espagnoles tandis que la brise thermique d’Ouest va souffler dans la journée sous l’influence du réchauffement solaire, mais cette bande ne sera réellement active que sur les dix milles près des côtes ibériques.
Gestion du repos1>
De fait, c’est probablement dans la nuit de mardi à mercredi que la stratégie sera la plus compliquée à mettre en œuvre. Car entre les deux grandes options que sont une route directe le long des côtes avec le danger de collision avec les pêcheurs, d’accrocher les filets et autres casiers, de naviguer dans des brises volages et instables, ou une voie du large à une vingtaine de milles voire plus, près du trafic des cargos en bordure d’une bande de vent très oscillante au fil des heures, plein d’autres choix seront dictés par le vent… et les concurrents directs du moment !
Il faut donc s’attendre à tout devant Porto qui en sus, déverse le fleuve Douro qui, si le vent est très mou, rendra l’accès à la ligne d’arrivée mouillée au pied des digues d’entrée, encore plus délicate… La problématique des solitaires est donc claire : comment négocier la grande ligne droite entre le phare de Cordouan à la sortie de la Gironde et la Tour d’Hercule devant La Corogne ?
D’un côté se positionner en tête de flotte permet de bénéficier d’un flux se renforçant de plus en plus en arrivant sur le cap Finisterre, ce qui permet de créer de l’écart mais en demandant beaucoup d’efforts physiques et de concentration pendant une journée et demie… De l’autre rester patient en ne puisant pas sur ses réserves pour arriver très frais à l’abord de la phase la plus stratégique, la sortie du virage espagnol, permet de cumuler du sommeil au vent arrière dans une brise modérée où le pilote est très efficace et de veiller pour le final portugais. Mais il ne faut tout de même pas se faire décrocher à plus de deux milles des leaders en arrivant sur le cap Finisterre ! La vérité est probablement un compromis intermédiaire…
Ils ont dit
Michel Desjoyeaux, TBS
« Le début devant Pauillac est très axé Nord-Sud donc on aura des bords à tirer sur cette descente de la Gironde. Une fois en Atlantique, on aura des conditions plutôt sympas, de vent portant forcissant avec une stratégie qui ne sera pas très compliquée jusqu’à la pointe d’Espagne. C’est là que ça va se corser : on aura le choix, soit de couper le virage au risque de passer du temps dans les calmes, soit de faire le grand tour avec du vent mais plus de chemin à parcourir. Voilà la problématique du jour ! »
Fabien Delahaye, Skipper Macif 2012
« Ce n’est pas qu’une ligne droite ! Il y a déjà quelques virages dans l’estuaire… En fait, il y a plusieurs segments sur cette première étape : la sortie de la Gironde, la traversée du golfe, le passage du cap Finisterre et la descente le long des côtes espagnoles et portugaises. L’idéal est de rentrer avec le pack de tête dans le golfe et de se maintenir jusqu’au virage espagnol sans se fatiguer et en gérant bien les empannages. La bulle sans vent de la fin de parcours va être assez délicate à anticiper. »
David Kenefick, Full Irish
« La partie la plus difficile sera de sortir du fleuve, avec tous ces arbres qui flottent en ce moment. Il faudra faire attention à ne pas heurter une de ces billes de bois pour ne pas abîmer le bateau. Et puis ce sera la première nuit. Je déteste les premières nuits, c’est là où je me sens le plus seul. »
Jean Paul Mouren, Groupe SNEF
« Je vois une étape rapide. On va dégolfer rapidement puis, il y a une incertitude avec une petite bulle sur l’Espagne, une petite dépression due à la chaleur. Je pense que l’arrivée sera totalement imprévisible, avec un gros suspense. En attendant, la sortie dimanche risque d’être sympathique, les winches vont chauffer. »
Paul Meilhat, Skipper Macif 2011
« C’est une course de vitesse jusqu’au cap Finisterre et il y a des empannages à placer : cela peut créer des deltas importants. Le final s’annonce compliqué puisque les fichiers météo du départ ne seront pas actualisés : il faudra être en forme dans la nuit de mardi à mercredi, mais peut-être aussi pour la suivante ! »
Sam Goodchild, Shelterbox-Disaster Relief
« La première étape sera sans doute intéressante. Je ne vois pas de possibilité de faire de coups dans la première moitié mais après, le long des côtes portugaises, la météo et la stratégie pourront sans doute redistribuer les cartes. Mon objectif, c’est de rester dans les vingt premiers et j’espère être constant. »
Corentin Horeau (Bretagne-Crédit Mutuel Espoir)
« C’est une étape en quatre parties : la sortie de la Gironde qui ne se présente pas si compliquée que prévu, au près essentiellement tribord amure ; la traversée du golfe de Gascogne de largue au vent arrière dans du vent médium avec juste une courbure anticyclonique à aller chercher avec un empannage au milieu ; un cap Finisterre venté mardi après-midi mais c’est assez temporaire avec des manœuvres à caler ; une fin de course dans du vent mou sur 150 milles environ… »