Comme des astronautes, ils ont vécu dans leur bulle. Seuls, sur un bateau de 10 mètres de long, abrités dans un habitacle de 3m2. Une expérience qu’ils n’oublieront jamais. « Il y aura un avant et un après » soulignait ce matin à la vacation Arnaud Godart-Philippe (Régates Sénonaises), un des huit bizuths de la Transat Bretagne-Martinique. Après trois semaines d’océan, les solitaires vont vivre cette nuit leurs derniers milles en mer. Ils s’apprêtent à sentir les odeurs de la terre, apercevoir les premiers bateaux, poser le pied sur un sol statique. Ils rêvent d’un bon repas, d’une douche, de parler aux copains. Demain, ce sera le retour sur terre… Erwan Tabarly (Armor Lux – Comptoir de La Mer) devrait arriver au lever de soleil à Fort-de-France. Le marin, prudent à une poignée d’heures d’une possible victoire, n’ose y penser : « Je ne sais pas ce que ça fait, je verrais bien, ça ne m’est jamais arrivé. ». Pour lui aussi, il y aura un avant et un après…

A Fort-de-France, tout est bordé. Le village de la Transat Bretagne-Martinique vit déjà au rythme des calebasses, des tam-tam et des djembés créoles. L’accueil martiniquais promet d’être à la hauteur de l’aventure maritime qu’ont vécue nos marins. Car cette édition de la Transat Bretagne – Martinique restera probablement ancrée dans la mémoire des Figaristes, même les plus expérimentés. Départ dans la baston, arrivée dans les grains musclés : diantre, les solitaires n’auront jamais été épargnés ! « Cette nuit, à bout de force, les grains montent en puissance, impossible de mettre le pilote. Même à la barre, j’ai le droit à un départ au tas tous les 20 minutes, une petite faute d’inattention, une vague plus forte qui te prend l’arrière et hop le bateau qui part… Mes mains sont cramées. » racontait ce matin Adrien Hardy (Agir Recouvrement). Aujourd’hui, veille d’arrivée, veille de la délivrance, chacun vit encore la course à sa manière.

Derrière Erwan Tabarly, il y a toujours le duel Gildas Morvan (Cercle Vert) et Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) à 8 milles d’écart. Régate en vue jusqu’à la pointe du Bout ?
Après, les dés sont quasiment jetés. Anthony Marchand (Bretagne – Crédit Mutuel Performance), flamboyant sur la traversée de l’Atlantique, devrait logiquement se placer 4eme. Yoann Richomme (DLBC – Module Création), 5e, après avoir doublé cette nuit Adrien Hardy. Un Adrien qui vit ses dernières heures de course comme une souffrance, car privé de son safran tribord. La remontée vers Fort-de-France sera compliquée. Pour lui, c’est comme conduire sur une piste verglacée…

Quatre bizuths ferment la route : Simon Troël (Les Recycleurs Bretons), Corentin Horeau (Bretagne – Crédit Mutuel Espoir), Damien Guillou (La Solidarité Mutualiste) et Arnaud Godart-Philippe (Régates Sénonaises). Quatre jeunes marins qui ont vécu sur cette transat leur première grande expérience de course au large en solitaire. « J’ai fait plein de petites erreurs de jeunesse qu’il faut faire et que je ne ferai plus. Moi qui n’avait jamais passé une nuit tout seul en mer, c’est chose faite ! » racontait Simon Troël à la vacation. Et de finir, ému à propos de Corentin Horeau : « Je ne sais pas si j’ai gagné quelque chose sur cette Transat, mais ce qui est sûr c’est que j’ai gagné un ami, un vrai. ».

Les cinq premiers à 16 h

  1. Armor Lux – Comptoir de la Mer (Erwan Tabarly) à 184,98 milles de l’arrivée
  2. Cercle Vert (Gildas Morvan) à 36,23 milles
  3. Skipper Macif 2012 (Fabien Delahaye) à 45,27 milles
  4. Bretagne – Crédit Mutuel Performance (Anthony Marchand) à 73,21 milles
  5. DLBC – Module Création (Yoann Richomme) à 100,88 milles…

Ils ont dit :

Erwan Tabarly (Armor Lux – Comptoir de la Mer)

Je n’ai pas une l’impression d’avoir un mental différent, seule la victoire m’intéressait. Je suis parti avec l’idée de gagner et presque de me dire que si j’arrivais 2e, je serai déçu. Ca n’a pas changé, ça s’est bien goupillé jusqu’au bout. Avant ça allait jusqu’à mi parcours, mais sur la fin je ne sais pas …. je n’arrivais pas à garder ma place et je me suis fait avoir 2/3 fois. La partie alizés qui semble la plus facile est en fait la plus aléatoire avec les grains, les fichiers moins précis, ça ne me réussissait pas. Cette année, j’ai enfin réussi à bien négocier cette partie, qui sur le papier est simple, mais pour moi posait problème. Je suis confiant, je suis dans ma course et j’y crois. Si les conditions sont bonnes, l’arrivée va se faire sentir et j’espère que … j’en sais rien, je n’ai jamais connu !

Yoann Richomme (DLBC – Module Création)

Je suis heureux d’avoir fait une traversée de l’Atlantique en solitaire. Je m’étais dis que c’était déjà un challenge en soi. Ca reste compliqué. Encore 326 milles avant l’arrivée. Je suis content d’avoir été dans la bagarre. Je le suis toujours avec Adrien, mais il s’accroche le bougre. Le plus difficile fut de tenir le rythme. Les deux anciens devant ont mis la barre haute, les autres ont aussi beaucoup cravaché. Mais le rythme est intense, c’est usant. Je n’ai rien cassé. Parfois j’ai été trop « safe », ce n’est pas mon tempérament, mais jamais je n’aurais pensé faire une grand-voile seule le long du Portugal pendant toute une nuit. Je suis méfiant tout de même, j’ai pris un grain de 42 nœuds cette nuit, en sortant j’ai vu mon deuxième spi qui était en train de partir à l’eau ! J’en parlais avec Fabien l’autre jour, il me disait qu’il avait même pris un grain en baie de Fort-de-France et qu’il avait failli démâter. ETA ? 18hTU je pense à îlet Cabrits.

Adrien Hardy (Agir Recouvrement)

Cette nuit c’était plutôt bien, j’attendais que le vent diminue pour aller me reposer car ça faisait 24h que je n’avais pas dormi. J’ai même aperçu le feu de Yoann (Richomme) qui est passé sous le vent. Je continue à me bagarrer avec les autres. Le vent est fort, avec 25 nœuds et des grains. J’ai affalé le spi et je dors à l’intérieur. Je suis un ris dans la grand-voile et solent. Je vais manger et me refaire une petite sieste. Pour moi, c’est un bord vraiment difficile. Je suis fier d’arriver quasiment en même temps qu’eux. Cette nuit dans les grains, j’arrivais à faire du surf, c’était un exercice de conduite et de réglage très fin sur le brassé du spi. Il y a pleins de conditions qui faisaient que le bateau pouvait partir en vrac.

Corentin Horeau (Bretagne – Crédit Mutuel Espoir)

J’aimerais bien passer devant mon copain !! J’essaye de beaucoup barrer. Je sais qu’il n’a plus de grand spi, donc il y a un avantage psychologique. Si ca mollit ça devrait aller plus vite pour moi. Je me suis décalé mais ce n’est pas terrible ; l’angle n’est pas top. Je suis quand même revenu un peu. Il va falloir être sur la vitesse à fond. Ca pourrait être marrant qu’on finisse à vue à Fort-de-France. J’espère que je vais réussir à le manger ! Depuis une semaine, ça va mieux. Mais on ne m’avait pas dit qu’une Transat passait par la Mauritanie ; j’étais embarrassé ! Ca devrait le faire avec le gasoil, c’est tout juste, au pire je finirai les dernières 10 heures un peu à l’arrache, mais ça va le faire. Damien est derrière, sans spi je crois. Normalement, ma place est assurée et si je peux aller chercher la 7e, ce serait bien ! Je suis content d’arriver.

Damien Guillou (La Solidarité Mutualiste)

Ca ne se passe pas trop mal. Avec mes histoires de spi, j’ai fini par réparer le spi lourd hier, en fin de journée, ça a molli je l’ai donc renvoyé. Ca tenait et je l’ai gardé jusqu’à 22 nœuds. Je l’ai affalé dans la nuit quand il y a eu des grains. Je suis sous génois du coup depuis, ça marche comme ça et je ne préfère pas mettre mon spi à plus de 22 ou 23 nœuds, car après je n’ai plus rien. Je ne me rends pas trop compte de l‘arrivée qui approche car je suis concentré sur mes histoires mais c’est sûr que j’aurais hâte. Je pense à beaucoup de choses, ce n’est pas rien de faire cette traversée en solitaire. Avec la fatigue chaque événement devient plus compliqué que ça ne devrait l’être. Au niveau du matériel, c’est aussi très différent, j’ai appris beaucoup de choses. Aussi sur le matériel à embarquer, si je repartais demain je n’enverrais pas les mêmes choses !

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