C’est au coeur de la nuit Caribéenne, dans la douceur et l’obscurité totale de Columbus Island, l’île de l’archipel des Bahamas qu’aborda lui aussi de nuit un certain Christophe Colomb en 1492, qu’est venu atterrir le grand trimaran rouge IDEC, au terme d’une folle escapade transatlantique sanctionnée par un nouveau temps référence en multicoque et en solitaire. Francis Joyon vient de nouveau apporter à l’expression solitaire une dimension primitive bien dans sa conception unique et singulière de la navigation hauturière.

Parti de la Trinité-sur-Mer le 4 février dernier, Francis avait à peine pris le temps de débarquer son compagnon de convoyage en baie de Cadix, pour s’élancer dès le mercredi 6 février en tout début d’après-midi sur la Route de la Découverte. Point de stand-by, ni routeur à terre… Joyon 2013 s’attaquait sans filet ni garde fou au Joyon de 2008. A la clé, un nouvel exploit avec un gain époustouflant d’une journée et plus de 4 heures sur son précédent chrono ! Ni couronne, ni laurier, ni champagne à San Salvador ; passées les formalités d’enregistrement de son temps de course auprès du commissaire délégué sur place par le World Speed Sailing Record Council, et Francis renvoyait de la toile, bordait son gennaker, et repartait, bonhomme et solitaire, vers les Antilles Françaises et un éventuel mouillage.

18,66 nœuds de moyenne !

Avec un temps de course de 8 jours, 16 heures, 07 minutes, 05 secondes, Francis Joyon améliore donc de plus de 1 jour et 04 heures son propre chrono de 2008 (9 j 20 h 35 min). Sur les 3 884 milles de l’orthodromie, la route théorique entre Cadix et San Salvador, via Gran Canaria, il élève ainsi la moyenne à 18,66 nœuds, ayant réellement parcouru 4 379,5 milles à la moyenne de 21,04 noeuds. Francis Joyon avait quitté Cadix (Espagne) à 12 heures, 50 minutes 25 secondes TU le mercredi 6 février, son schéma de route bien tracé dans son esprit, et une conviction déjà bien affirmée quant à sa capacité à faire tomber ce record. « J’observais cette fenêtre météo avec intérêt depuis La Trinité-sur-Mer » explique t’il, « sachant qu e Thomas (Coville), allait s’y glisser en premier. Depuis cet automne, je surveille l’évolution de la météo en Atlantique, et cette fenêtre était indéniablement la plus belle qui nous ait été proposée depuis des mois. » Nulle improvisation donc dans cette nouvelle aventure de l’extraordinaire Monsieur Joyon, mais un sens aigu de l’anticipation et une force physique et mentale hors du commun.

Une transat sans routeur…

L’absence à ses côtés du complice de tous ses exploits Jean-Yves Bernot, parti naviguer sous d’australs horizons, n’entamaient en effet en rien les certitudes du skipper d’IDEC qui abordait sans aide extérieure la très délicate descente vers les Canaries ; « C’est assurément durant cette première phase que Jean-Yves m’aurait été précieux. » Une mer très formée conjuguée à un vent de nord est par trop orienté dans l’axe du bateau, nuisaient à la performance et c’est avec 170 milles de retard qu’IDEC s’échappait finalement des dévents de Gran Canaria. « Je n’ai pas douté à cet instant », précise Francis, « car je savais pouvoir bénéficier d’un alizé bien orienté par la suite. » La suite, ce fut quatre somptueuses journées à plus de 500 milles. Quatre journées d’un bonheur que le modeste et discret Joyon ne pouvaient s’empêcher de louer, en racontant son plaisir de tirer la quintessence de son trimaran géant, malgré une houle souvent formée et mal orientée. « Ce que j’aime, ce sont les moments où le bateau glisse vite et sans effort, dans la belle lumière, et j’ai connu de très nombreux instants comme ceux là. »

Une route météorologiquement complexe

Francis signe donc un formidable chrono sur une route, on le soulignera jamais assez, rendue complexe par le nombre de systèmes météo qu’on y rencontre. « Un record sur la distance New-York / Cap Lizard, se joue en bordure d’un seul système, fort et bien orienté, que l’on essaie de suivre jusqu’en Irlande » résume Francis ; « La Route de la Découverte est très compliquée ; On ne peut compter sur un seul système. Il faut au moins changer à 3 reprises de systèmes, avec les inévitables et pénibles phases de transition. » Francis sait que son record fait déjà l’objet, et il s’en réjouit, de nombreuses ambitions ; « Je crois avoir mis la barre haut » avoue t’il pourtant, « J’esp&egr ave;re qu’il résistera un moment, et qu’il donnera à mes futurs adversaires matière à bien s’amuser… »

Rendez vous à New-York

Détenteur de trois des quatre plus significatifs records à la voile en solitaire, Tour du monde, 24 heures, et Route de la Découverte, Francis Joyon ambitionne tout naturellement de tenter à nouveau sa chance sur le temps de référence entre New-York et le cap Lizard. IDEC devrait dès le printemps rejoindre la « Big Apple » pour un stand-by cette fois plus étendu…

Il a dit :

Une grosse satisfaction
« Je ressens à chaud beaucoup de satisfaction… et une grosse fatigue. Je ne réalise pas vraiment car je navigue toujours, mais le plaisir d’être passé sous la barre des 9 jours est bien présent. Je suis parti avec l’espoir de faire un temps correct. Mon départ en 2008 avait été rapide, mais la fin plus pénible. Cette année, cela aura été l’inverse. Ma plus grande crainte est toujours d’être arrêté dans les calmes plats, mais cela n’a pas été le cas. Le bateau a marché très vite durant de longs moments. La première partie était ralentie par la mer. Puis ce fut de longs moments de glisse très agréables. J’ai pu chatouiller les 30 noeuds en pointe, mais comme on progresse face aux systèmes météo dominants, on affronte souvent une mer difficile peu pro pice à la très haute vitesse… »

Bonjour San Salvador… et au revoir !
« … Je suis arrivé de nuit, sur cette île de San Salvador qui n’est pas très habitée, donc peu de lumière. On contourne des grands caps qui ne sont pas éclairés, et on approche une barrière corallienne au GPS. J’ai appelé Monsieur Clifford Fernandez du WSSRC qui avait trouvé un petit bateau pour pointer mon passage de ligne. J’ai enroulé le gennaker et il est monté à bord. Après 5-10 mn, j’ai renvoyé de la toile pour ne pas dériver à la côte, ils sont descendus, et je suis reparti sans avoir vu un arbre… Je redescends à présent vers les Antilles françaises. »

Le maxi-trimaran IDEC
« Le bateau est toujours perfectible dans les détails, mais il est globalement abouti, bien conçu et bien construit, très éprouvé. On peut encore travailler sur les détails et les voiles… »

Inusable Francis
« Personnellement, je ne suis pas aussi perfectible que mon bateau. Les années passent, et je suis grand père depuis peu. Il faut résister à l’usure du temps, en faisant beaucoup de sport entre les sorties en mer, afin de répondre aux exigences du trimaran… ».

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