De Cascais à Marseille : les 1 071 milles à parcourir s’annoncent très lents et très incertains pour les cinq trimarans qui se sont élancés du Tage ce jeudi à 16h (heure française). Et si Spindrift racing en a profité pour grappiller les trois points bonus du parcours préliminaire dans l’estuaire portugais, cette quatrième étape hauturière sera certainement le tournant du MOD70 European Tour. Les brises évanescentes sont programmées du départ à l’arrivée en passant par Gibraltar : la Méditerranée sera d’azur à petite allure !

C’est le grand plongeon ! Dans l’inconnu météorologique… Dans un marais barométrique sur une mer d’huile. La descente vers Gibraltar qui devrait durer une bonne journée, sera suivie d’une remontée de la Méditerranée par paliers : deux à trois jours probablement pour parer tous les caps qui parsèment les côtes espagnoles, marocaines, des Baléares et des calanques marseillaises. La Grande Bleue s’annonce en effet des plus paisibles et quand elle prendra le temps de s’animer, ce sera par bouffées, de préférence contraires. Le parcours de 1 071 milles entre Cascais et la cité phocéenne sera certainement le plus long en heures de mer de tout ce MOD70 European Tour car les meilleures prévisions tablent sur une arrivée au Roucas Blanc au mieux lundi, au pire mardi.

Des points et des pointes

Après avoir dû retarder le départ devant Cascais pour cause d’absence de vent, le Comité de Course lançait la procédure à 16h (heure française) : Spindrift racing prenait le meilleur devant Race for Water. Et à l’issue d’un parcours préliminaire dans le Tage, Yann Guichard et ses hommes s’adjugeaient les trois points bonus, Stève Ravussin et son équipage deux points et Michel Desjoyeaux et ses cinq équipiers, un point. Cela influait déjà sur le classement général puisque Spindrift racing n’avait plus que quatre points de retard sur FONCIA… Or quatre points, c’est exactement le différentiel d’une place sur une étape hauturière comme cette quatrième manche offshore entre le Portugal et Marseille.

Et si ce parcours de 1 071 milles est considéré comme une étape au large, il se déroule en fait pratiquement tout le temps le long des rives portugaises, espagnoles, marocaines, françaises. Déjà, les cinq MOD70 n’étaient pas à la fête avec la marée montante importante qui les poussait dans le Tage : pas facile alors de parer la première pointe qui marque l’embouchure du fleuve ! Dix-huit milles dans moins de cinq nœuds de vent vers le cap de Sesimbra : les équipages naviguaient même avec leurs gennakers pour se déhaler au près contre une brise thermique asthmatique… La route s’annonce longue et pavée de pièges.

Anticiper l’incertain

Car dans ces conditions très incertaines, même à un horizon de quelques heures, les navigateurs sont dans l’expectative et les skippers ne cachent pas qu’il leur sera impossible de contrôler un adversaire : trop de paramètres aléatoires, trop de doutes sur l’issue d’une option à moyen terme. C’est donc au coup par coup que les équipages vont jouer entre risées et calmes, entre rotations de vent et effets de pointe près des nombreux caps qui s’égrainent le long des côtes portugaises, puis espagnoles et marocaines. Des bulles dépressionnaires ne vont pas faciliter la tâche et le soleil de plomb qui va écraser les équipages de jour va rendre cette remontée de la Grande Bleue extrêmement pénible. Car il sera difficile de mettre en place des quarts quand les manœuvres vont se succéder sans cesse.

Au programme : une zone de calmes à négocier juste après le cap Saint-Vincent, puis un choix cornélien au passage du détroit de Gibraltar puisqu’une zone centrale est interdite à la navigation des MOD70. Faudra-t-il rester côté espagnol sur la route la plus courte ou piquer vers les rives marocaines en espérant un peu de brise à la côte ? De toutes façons, le vent devrait être inexistant en mer d’Alboran avant de souffler péniblement de secteur Est au cap de Gata. Pour autant les obstacles ne pourront pas être esquivés : le cap de Palos, le cap de la Nao ou l’île de Fomentera, le passage à l’intérieur de Majorque ou à l’extérieur de Minorque ? Bref c’est un casse-tête à pièges multiples que les navigateurs vont devoir résoudre.

Passage à la bouée « bonus » de Cascais

  1. Spindrift racing (Yann Guichard) = 3 points
  2. Race for Water (Stève Ravussin) = 2 points
  3. FONCIA (Michel Desjoyeaux) = 1 point
  4. Groupe Edmond de Rothschild (Sébastien Josse)
  5. Musandam-Oman Sail (Sidney Gavignet)

Classement du MOD70 European Tour

(Après 3 Courses offshore et 3 City Race +points bonus Cascais)
1-

  1. FONCIA (Michel Desjoyeaux) 183 points
  2. Spindrift racing (Yann Guichard) 179 points
  3. Groupe Edmond de Rothschild (Sébastien Josse) 152 points
  4. Race for Water (Stève Ravussin) 147 points
  5. Musandam-Oman Sail (Sidney Gavignet) 143 points

Ils ont dit

Charles Caudrelier (FONCIA)

« Il y a un peu de pression au classement général parce que nous avons notre leadership à défendre sur une étape très compliquée ! Il y a très peu de vent prévu, avec des phases aléatoires : il va falloir être très opportuniste car c’est difficile de définir une stratégie dans ces conditions-là. Avec très peu d’écarts entre les bateaux, il peut se passer beaucoup de choses avec de grosses différences de vent… C’est l’étape décisive ! Et c’est impossible de savoir ce qu’il va se passer. On ne pourra pas contrôler un bateau : nous allons faire notre route car la nuit, on ne se verra plus et chacun établira son option. En fait, il y a une succession de petits tronçons, de cap en pointe, avec des conditions météorologiques différentes à chaque fois. Personnellement, je ne me projette pas trop au-delà du cap Saint-Vincent avant le départ : au fur et à mesure de notre progression, nous aurons des informations plus précises et il faudra s’adapter en permanence. En arrivant à Gibraltar, on sait que les modèles météo sont incertains sauf s’il y a un flux établi : à la sortie, on verra ce qu’il y aura jusqu’à Carthagène… Après, on entre dans une autre dimension. Ce qui m’inquiètes le plus, c’est cette tranche Gibraltar-Carthagène parce qu’il y a très peu de données météo fiables et il y a du courant, des caps. Ce sera certainement un point clé de cette étape. D’ici 24h… »

Pascal Bidégorry (Spindrift racing)

« On aborde cette quatrième course comme d’habitude : il faut aller au bon endroit et vite, bien régater et se faire plaisir. Éventuellement, faire le nécessaire pour gagner cette nouvelle étape. Notre retard de six points sur Foncia, peut se faire ou se défaire ! Il y a les trois points de bonus du parcours préliminaire et quatre points de différentiel par place à l’arrivée… Les points se gagnent et se perdent très rapidement sur ce tour de l’Europe comme on a pu le voir dès Kiel. Mais il ne faut pas s’obnubiler sur ces écarts : il sera temps de faire les comptes à Marseille. Car il n’y a pas que Michel Desjoyeaux et son équipage : il y a quatre bateaux à battre et on voit que le niveau est de plus en plus proche au fil des manches. Certes, il faudra être devant Foncia, mais il peut y avoir des bateaux intercalés, probablement plus facilement que sur les deux premières étapes… Il y aura du travail à la table à cartes, et il faudra savoir s’adapter aussi très rapidement à ce qui se passe sur l’eau : il y aura des choix à faire avec les effets de reliefs et de caps. Mais le marquage d’un adversaire sur quatre jours de course, il ne faut pas y penser ! L’idée est tout de même d’être devant sur cette étape. Mais je souhaite que le classement général reste ouvert jusqu’à l’arrivée finale à Gênes… »

Franck Cammas (Race for Water)

« Il est délicat de prédire un jour, et encore plus une heure d’arrivée à Marseille : la météo en Méditerranée évolue très vite. Cela va dépendre des effets côtiers et locaux qui peuvent accélérer le rythme. L’ex-cyclone « Nadine » influence le système météo jusqu’à Gibraltar, mais au-delà, c’est un marais barométrique en Méditerranée : des dépressions pas très marquées vont se creuser, provoquant des alternances de vent de Sud-Est et de Nord-Ouest fort sur l’arrivée à Marseille. Mais actuellement à l’horizon de quatre jours, on a du mal à savoir ce qu’il se passera… Il y a une zone névralgique à négocier dans le détroit de Gibraltar : comme il y a un rectangle interdit à la navigation pour nous, le choix va être franc. Au Nord, c’est une trajectoire plus courte puisque nous repartons vers le Nord ensuite ; au Sud, il y a l’effet thermique du désert marocain. Mais dès cet après-midi à l’approche du cap Saint-Vincent, il y aura peut-être des choix si la brise bascule au Nord. Nos routes vont peut-être s’écarter sensiblement dès ce soir ! Et en milieu de nuit, il y aura une transition entre la brise de Nord-Ouest et un vent de Sud-Est à Est qui vient de Gibraltar. Il vaudra mieux sortir en premier de ces calmes parce que le flux ensuite sera favorable à l’échappé. Mais il se passera beaucoup de choses encore au niveau des Baléares ! »

Florent Chastel (Groupe Edmond de Rothschild)

« Nous sommes au deux tiers du MOD70 European Tour : cette quatrième étape, il ne faut pas la rater ! Nous ne sommes pas en mauvaise posture, mais pas à la place que nous espérions : nous n’avons plus le droit à l’erreur. On a grillé tous nos jokers et si nous voulons faire un bon résultat, c’est maintenant… On va se secouer. Ce qui ne va pas être aisé puisque nous sommes partis pour une étape de petit temps, ce qui va permettre de jouer. Il y a plusieurs pièges, plusieurs coups en vue, des options à ne pas rater et comme nous l’avons vu ces dernières étapes, à chaque fois que ça se termine dans la molle, c’est un peu aléatoire. Il sera difficile de tenir un rythme car tout va dépendre d’une risée, d’une bouffée d’air, d’un calme : ce n’est pas stressant, mais il ne faut pas s’affoler si l’un d’entre nous s’échappe tout à coup. Il va falloir tout faire pour rester au contact. Il va faire très chaud et l’intérieur des MOD70 n’est pas très bien aéré : on risque de faire des siestes dans les trampolines… »

Sidney Gavignet (Musandam-Oman Sail)

« A contrario de la réputation de ce plan d’eau, on n’attend pas beaucoup de vent devant Cascais pour ce départ qui sera retardé. Mais on a tous pu progresser dans le petit temps au Portugal ! Jusqu’au cap Saint-Vincent, peu de brise de Sud-Ouest à Ouest : ça peut aller plus ou moins vite. Mais ensuite, il y a une grosse molle devant Lagos… Et à ce niveau, il peut y avoir du vent portant à la côte jusqu’à Cadix, ou des brises contraires au large, avec rien au milieu : il peut donc déjà se passer des choses entre les bateaux. On sait qu’il n’y aura pas tempête à Gibraltar, et à la sortie du détroit, il n’y a pas un pet de vent ! C’est un passage important puisqu’il y a deux possibilités : soit à raser le Sud de l’Espagne, soit passer au plus près des côtes Nord du Maroc. Et il faut choisir tôt puisqu’il y a une zone d’exclusion au milieu. C’est une étape où il pourrait y avoir d’énormes écarts de route mais ce n’est pas clair du tout. Et ça va être long : une arrivée pas avant mardi. On a donc chargé en nourriture et en eau et nous avons changé l’un de nos équipiers omanais : ça va mettre du sang neuf à bord ! »

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