A la recherche du vent perdu!
Alors que les cinq MOD70 sont passés vers midi au large du cap Finisterre, très groupés dans un flux de secteur Nord-Est 20-22 nœuds, ils entraient ce mardi en fin d’après-midi dans une zone de transition délicate à appréhender à la latitude de Porto. Musandam-Oman Sail qui avait pris le commandement grâce à son empannage plus tardif de la nuit dernière a laissé le leadership à Spindrift racing lorsque la brise a commencé à mollir vers 18h. Mais les calmes qui barrent la route vers Cascais devraient relancer le match à une demie journée de l’arrivée ! Les écarts après 825 milles de course sont insignifiants…
Les écarts latéraux (40 milles) sont plus importants que les deltas par rapport au but (15 milles) : cela signifie que les navigateurs n’ont pas tout à fait la même vision de la suite du programme… En effet, le choix de se positionner plus ou moins à terre (à 100 milles tout de même des rives lusitaniennes) est symptomatique des divergences de route que les trimarans vont suivre ces prochaines heures. Certains misent sur un effet côtier avec un flux de Nord attendu pour la nuit, d’autres sur une légère brise d’Est au large.
Petit éventail
En fait, le reliquat du front froid irlandais laisse traîner une masse nuageuse qui vient s’intercaler entre une dépression stationnaire et peu active entre les Açores et le Portugal et un anticyclone au-dessus qui développe un tentacule vers l’Espagne. Il en résulte un faible gradient isobarique sur la face occidentale de la péninsule ibérique, et ce jusqu’au week-end prochain. Mais en attendant que cette configuration météorologique peu évolutive se mette en place, les MOD70 doivent passer une barrière de vents faibles en prolongement de ce front délité : au moins soixante milles de vents erratiques inférieurs à cinq nœuds. Et comme la tendance à venir est à un léger flux de secteur Nord, c’est une brise portante qui va poussivement balayer la flotte. Or les multicoques n’affectionnent pas particulièrement le vent arrière dans peu de pression : ballottés par la houle, tanguant et passant d’un flotteur à l’autre, les équipiers peinent à régler des voiles qui claquent à chaque coup de roulis. Et il faut en sus prendre de l’angle, c’est à dire parfois s’écarter de près de 90° de la route optimale…
C’est pour cette raison que les cinq navigateurs n’ont pas voulu se placer identiquement : une différence d’angle d’attaque de 10-20° peut engendrer un différentiel de vitesse de trois à cinq nœuds ! Race for Water qui a superbement raccroché le wagon à l’occasion de la poussée éolienne du cap Finisterre, a choisi de serrer plus le vent pour accélérer et surtout pour aller chercher les côtes portugaises si la brise nocturne s’installe. A l’opposé, le trimaran omanais et son dauphin ont volontairement glissé pour s’écarter de vingt milles plus au large : leur idée est que le vent de secteur Nord à Nord-Ouest arrivera plus tôt dans leurs voiles. Quant à Spindrift racing et FONCIA, leur placement intermédiaire peut leur permettre de changer de camp : les deux équipages ne sont qu’à trois points l’un de l’autre au classement général et il leur faut éviter d’intercaler des bateaux entre eux. Ils préfèrent s’observer jusqu’à l’approche du Tage plutôt que de se séparer au risque d’inverser la hiérarchie ou de creuser un delta important…
Arrivées dans la matinée
Au vu de cette progression ralentie de la nuit prochaine, la Direction de Course a opté pour un raccourcissement du parcours de cette deuxième étape : les MOD70 n’auront pas à descendre vers le cap Saint-Vincent et l’arrivée se jugera sur le passage devant Cascais, probablement en début de journée mercredi. 240 milles de gagner pour que les équipages aient le temps de se reposer une journée avant les City Race mais aussi parce que cet aller-retour vers Lagos pouvait changer la hiérarchie sur un « effet casino », le vent du côté de Lagos étant prévu comme nul ou presque. Cette deuxième étape du MOD70 European Tour ne fera donc que 975 milles. Et il est très probable que les cinq trimarans monotypes arrivent une nouvelle fois à quelques minutes, voire quelques secondes d’intervalle…
Classement mardi 11 septembre à 17h30
- Spindrift racing (Yann Guichard) à 150 milles de l’arrivée
- Musandam-Oman Sail (Sidney Gavignet) à 1,3 milles du leader
- FONCIA (Michel Desjoyeaux) à 1,5 milles du leader
- Groupe Edmond de Rothschild (Sébastien Josse) à 2,5 milles du leader
- Race for Water (Stève Ravussin) à 14,2 milles du leader
Ils ont dit
Jean-François Cuzon (Musandam-Oman Sail)
« Nous avons suivi la courbure de l’anticyclone qui s’est installé sur le golfe de Gascogne, ce qui nous a permis de garder un angle d’attaque du vent favorable jusqu’à ce que la brise tourne au Nord : nous avons alors empanné pour revenir vers les côtes espagnoles. D’ici deux heures (vers 17h30, heure française), nous allons entrer dans une zone de transition avec peu de pression. A terre, le vent va rentrer de secteur Nord faible alors qu’un peu plus au large, nous aurons un angle un peu plus intéressant pour descendre vers le Tage. Il va donc falloir trouver le bon compromis, le bon dosage selon ce qui va réellement se passer sur le plan d’eau. Actuellement, nous sommes encore sur la bordure méridionale de l’anticyclone et nous avons un flux de secteur Est à Nord-Est. Mais ça commence à faiblir… Notre décalage plus à l’Ouest n’est pas très important et je ne pense pas qu’il y ait séparation de la flotte en deux groupes : je crois que tout le monde va suivre approximativement la même trajectoire ! »
Michel Desjoyeaux (FONCIA)
« Pour être franc, je me réveille ! Nous avons moins de vent de secteur Est depuis une heure et demie et nous sommes passés sous une bande de nuage, mais le soleil vient de réapparaître. La mer s’organise : ce ne sont plus les trente nœuds de vitesse de cet après-midi… Et on va tomber dans pas beaucoup d’air d’ici quelques heures : comment va-t-on ressortir de ce pataquès ? On va y passer du temps, au moins jusqu’à minuit, et quand on aura redémarré, ce ne sera pas violent non plus : une dizaine de nœuds de secteur Nord. Il faut traverser cette zone de transition le plus vite possible : les décalages latéraux peuvent avoir une grosse influence sur la façon d’aborder ces calmes. Le premier qui sortira aura le bonus ! C’est un peu la roulette russe. Entre les modèles de prévisions et la réalité, il y a toujours une marge dans ce type de temps. On aura un peu de vent pour finir. Comme les conditions de mer sont moins mouvementées, on a pu prendre un peu de repos même s’il reste encore un peu de houle du large. »
Yann Guichard (Spindrift racing)
« C’est couvert ! On nous avait dit que dans le Sud, il y avait du soleil… Et le vent a bien molli : on avance doucement vers la pétole. Comme les fichiers météo proposent une grosse zone de transition de soixante milles de large, chaque navigateur a sa propre idée sur la façon de la traverser. Race for Water semble vouloir aller à terre, Musandam-Oman Sail et Groupe Edmond de Rothschild plutôt au large et nous et Foncia, on a choisi une voie intermédiaire. Ce n’est pas très clair en attendant que vers minuit, la brise rentre de secteur Nord : certains pensent que ça débutera par la côte… Les dés sont lancés et il y aura certainement des écarts à l’issue de ce passage. Il y a de la brise thermique la nuit à terre, sur une bande de dix à vingt milles près des côtes : la question est de savoir si elle va s’installer ou pas ! J’espère que la flotte va se regrouper parce que si elle implose, il sera impossible de contrôler nos concurrents. Il faudra trouver le petit trou, et ce ne sera pas facile parce que la sortie aura lieu vers minuit et avant, avec deux à trois nœuds de vent prévus, on ne fait pas ce que l’on veut… On a tiré sur les bonhommes, mais aussi sur les machines puisque depuis le lever du jour, nous étions sous grand-voile haute et génois ou gennaker à 100° du vent : ça avançait ! Et là, on va manœuvrer toute la nuit : on prend tout ce que l’on peut comme repos maintenant. »