Après vingt-quatre de course, la tête de flotte est déjà à la longitude de la pointe ouest de l’Irlande. La Transat Jacques Vabre a rarement connu une telle entame. Les marins tirent sur les bateaux avec en tête un même objectif : atteindre au plus vite le front qui leur permettra d’accrocher, à son arrière, les vents de nord-ouest ; et pouvoir mettre du sud dans leur route… Mais les conditions ne ménagent ni les hommes ni le matériel.

Cette fois-ci, les conditions rencontrées par les concurrents ont été conformes aux prévisions météorologiques. Les trois flottes de cette Transat Jacques Vabre ont avalé la Manche à grande vitesse. Rien n’a pu freiner les ardeurs des concurrents, ni les pièges d’une navigation toujours complexe, ni les incessantes variations de force du vent, ni les cargos aux abords des rails des Casquets et de Ouessant. Pour tous, une seule obsession : gagner au plus vite dans l’ouest. Les premiers qui pourront accrocher les vents de nord-ouest verront leur capital de milles augmenter soudainement, quand ils pourront glisser sur le grand toboggan qui les emmènera vers le sud-ouest alors que les autres peineront encore, loin de la route directe.

Class40, des favoris et des dégâts

C’est une véritable démonstration de maîtrise qu’ont offert Yannick Bestaven et Eric Drouglazet à bord d’Aquarelle.com. Les deux marins aiment bien les conditions musclées et l’ont fait savoir en prenant la poudre d’escampette dans la première nuit. Toujours en phase avec les variations du vent, ils ont poussé les feux de leur machine et avouaient ce matin, à la vacation avoir bloqué régulièrement l’aiguille du speedo entre 15 et 20 nœuds. Au classement de midi, les leaders de la Class40 naviguaient bord à bord avec le dernier des Multi50. Derrière eux, tous les favoris sont au rendez-vous. A noter aussi, l’excellent début de course des benjamins de l’épreuve, Ned Collier Wakefield et Sam Goodchild (Concise 2) : les deux jeunes navigateurs britanniques avaient eu l’occasion de démontrer au Mondial Class40 leurs talents de régatiers. Ils ont visiblement l’intention de les transférer au grand large. Mais ils ont dans leur tableau arrière deux sérieux clients : Bureau Veritas – Dunkerque Plaisance (Stéphane le Diraison – Thomas Ruyant) et Initiatives – Alex Olivier (Tanguy de Lamotte – Eric Péron). Damien Seguin et Yoann Richomme (ERDF – Des Pieds et des Mains) restent dans la course malgré le désavantage de naviguer sur un bateau de première génération.
Mais l’information du jour est sans conteste l’abandon de Lecoq Cuisine, de même que le retour au port de Comiris Pôle Santé Elior. Eric Lecoq souff re de douleurs persistantes au dos, quand Thierry Bouchard et Gilles Bérenger ont constaté avec amertume qu’une des cloison de leur voilier se délaminait. Dans un cas comme dans l’autre, cela démontre bien que cette sortie de Manche n’avait rien d’une promenade de santé et que le faible nombre d’incidents tient plus à la qualité du plateau qu’à la clémence des éléments.

Multi50, Monopticien.com abandonne

En Multi50, la course s’arrête donc prématurément pour Julien et Etienne Mabit. Les deux jeunes navigateurs ont brisé leur safran et ne peuvent plus espérer figurer raisonnablement dans la course. En tête, le jeu est très ouvert entre Actual et Crêpes Whaou !. Yves Le Blévec et Sam Manuard ont opté pour une route un peu plus sud que Franck-Yves Escoffier et Antoine Koch. Les deux multicoques jouent à cache-cache au gré des classements, suivis comme leur ombre par Lionel Lemonchois et Matthieu Souben (Prince de Bretagne). Si Maître Jacques parvient à s’accrocher au trio de tête, FenêtréA Cardinal souffre d’un déficit de puissance par rapport au q uatuor des bateaux de nouvelle génération. Erwan Le Roux et Didier Le Vourc’h ne peuvent que prendre leur mal en patience.

Les Imoca en navigation à vue

A bord des Imoca, on ne lâche rien. Lancés à près de vingt nœuds toute la nuit durant, les tandems ont tirés sur leurs monocoques pour tenter de faire la différence avant l’arrivée du front qui devrait cueillir la flotte dans la soirée. A ce petit jeu, Virbac-Paprec 3 (Jean-Pierre Dick – Jérémie Beyou) et PRB (Vincent Riou – Sébastien Destremau) se retrouvent à naviguer à vue comme si il s’agissait d’une vulgaire régate en baie. Pour avoir une idée du rythme soutenu par les Imoca il suffisait d’entendre Kito de Pavant (Groupe Bel) raconter comment ils avaient passé leur temps à doubler les cargos en sortie de Manche ou bien Jérémie Beyou avouer laconiquement que lui et Jean-Pierre Dick avaie nt dû se contenter de rations alimentaires et tenaient à peine debout dans le bateau. Le début de cette Transat Jacques Vabre n’a visiblement rien d’une sinécure.

Ils ont dit :

Jérémie Beyou, Virbac Paprec 3 : «  PRB est juste à côté de nous »

«  Ça a été sport cette nuit ! Les bateaux en travers de la route, c’est quelque chose. On a plus dormi que mangé mais on tient a peine debout dans le bateau. On a beaucoup manœuvré  On a pris le départ sous grand gennaker, puis on est passé sous trinquette, solent, un ris, 2 ris …  PRB est juste à coté de nous. C’est serré. Au petit matin, nos routes se sont croisées et on est à qui mieux-mieux. Il nous a un peu rattrapé mais on essaye de tenir. Là, il est juste derrière au vent, à 0,5 milles. Lui comme nous, on essaye de ne pas lâcher, on est sur la même trajectoire. Il y a de l’émulation. »

Yannick Bestaven,  Aquarelle.com : « Marquer le coup dès le début »

« On a eu du vent toute la nuit avec des pointes à 25-30 nœuds ! On a bien géré ça, on a navigué surtoilé et on a toujours réduit dans le bo n timing et bien réussi à faire cavaler notre bateau. Cette nuit, on naviguait entre 15 et 20 nœuds. Malgré ça, on a encore un peu de réserve, on s’est bien relayé sur le pont entre le sommeil et les manœuvres et pour l’instant, on n’est pas du tout fatigué. Ça a beaucoup plu à Eric car nos bateaux que sont les Class 40 sont très véloces dans la brise. On s’est bien entendu dans ces conditions, j’aime bien attaquer aussi et on était vraiment dans le bon tempo des changements et des variations de vent. On est serein, safe, on sait qu’on a un bateau rapide au reaching, on a fait l’effort de marquer le coup dès le début et de creuser l’écart sur nos concurrents. On a plutôt le sourire, ça motive ».

Kito de Pavant, Groupe Bel : « Le pont était submergé par les vagues »

“ On est déjà sous l’Irlande, le vent s’est un peu calmé, on a 15/20 nœuds et on est au reaching, on progresse vers le centre dépressionnaire. La première nuit a été assez tonique, mouvementée, on a fait beaucoup de changements de voiles, je n’ai jamais « dé-Manché » aussi vite ! Cette nuit, on allait entre 18 et 20 nœuds, souvent  plus vite que les cargos, on les a tous doublés les uns après les autres ! Maintenant, on est un petit groupe à se tirer la bourre, mais on a été prudent, car il y a pas mal de mer. Entre 3h et 6h on a eu beaucoup de grains violents. Le pont était submergé de vagues. Maintenant, le cie l est bleu, il y avait plein de dauphins tout à l’heure qui faisaient des bonds de 4 à 5 mètres. On est au reaching, ça mouille un peu moins que cette nuit, le bateau va bien. Pas de pépins techniques à déplorer. On a été prudents, même si la vitesse ne le montre pas forcément ».

Mike Golding, Gamesa :

« Nous devons élever notre jeu » « Je ne suis pas content de notre position, mais j’ignore cela pour le moment, et on continue d’appuyer sur l’accélérateur. Il est assez clair que les bateaux qui sont restés dans le circuit ces deux dernières années sont arrivés à un niveau qui nous demande d’&eacu te;lever notre jeu. Pour être juste avec nous deux, nous n’avons pas eu assez de temps de navigation sur le bateau et personnellement, j’ai été absent du circuit pendant une période.  Ça va nous prendre un peu de temps de résoudre tout ça, mais pour l’instant, notre déficit n’est pas dramatique non plus. Nous avons un système météo complexe devant nous et il y aura forcément des choses à jouer.»

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