La tortue, la demoiselle et leurs prétendants
C’est samedi matin qu’Arnaud Gentien a mené son Zébulon devant la digue du port d’Horta, soit plus de 60 heures derrière Justine Mettraux (TeamWork). Trois concurrents n’en ont pas encore terminé alors que les solitaires commencent à entrer en phase de préparation de l’étape retour. Derniers travaux d’entretien, avitaillement et premiers routages sont à l’ordre du jour.
Emmanuel Renaud (Koati), Geoff Duniam (Mad Spaniel) et Tolga Pamir (Kaya), ce sont les trois derniers de cette étape qui traîne en longueur avec le retour de l’anticyclone des Açores. Pour tous ceux qui ont franchi la ligne, c’est une excellente nouvelle : la présence du soleil se révèle particulièrement efficace pour recharger les accus mentaux après une première étape usante. Mais pour les solitaires encore en mer, c’est le retour de la pétole et des temps de course qui deviennent indécents.
A terre, tous les concurrents refont les routes des uns et des autres et mesurent les décalages entre la perception qu’ils ont pu avoir de la course à un instant « t » et la réalité. Vu de terre, on a parfois tendance à imaginer de la part des leaders une volonté de protéger leur position. De même, on a vite tendance à penser que leurs poursuivants cherchent à se démarquer de manière à trouver une ouverture. C’est oublier que les solitaires ne disposent que d’informations très parcellaires, puisque seul le classement leur est fourni, sans aucune précision sur les options respectives des navigateurs. C’est d’ailleurs une des clés du succès : savoir ne pas céder à la gamberge, faire sa route sans tirer des plans sur la comète. Même les vainqueurs de la première étape ont connu des moments de doute : Justine Mettraux a cru, quand elle était engluée dans la bulle anticyclonique, que l’ensemble de la flotte allait contourner le piège dans lequel elle était enfermée. A rebours, Aymeric Chappellier (La Tortue de l’Aquarium La Rochelle) n’a su qu’il était premier, qu’à quelques milles de l’arrivée.
Cette étape, particulièrement tactique, a surtout creusé des écarts dans l’arrivée sur les Açores. L’arrivée d’un front froid qui, une vingtaine d’heures durant, a provoqué une bascule des vents au nord-ouest qui a creusé des écarts d’envergure en peu de temps. En proto, Milan Kolacek (Follow Me) et Giancarlo Pedote (Prysmian) se sont retrouvés piégés. En insistant sur une route nord, Giancarlo a limité les dégâts. A rebours, Nicolas Boidevezi (Fondation Terrevents.org) qui, deux jours auparavant, alors que le front n’était pas encore clairement annoncé, avait parié sur un maintien des vents au sud-ouest a subi toute la fin de course sans rien pouvoir faire.
C’est un peu la même mésaventure qui est arrivée aux bateaux de série. Heureusement pour les leaders, l’ensemble de la flotte avait choisi une route relativement sud et tant Justine Mettraux qu’Aymeric Belloir (Tout le Monde Chante contre le Cancer) ont pu contenir les assauts de leurs poursuivants. Mais un concurrent qui aurait joué l’option nord aurait pu bouleverser une bonne partie de la hiérarchie ; La preuve en est avec la belle septième place de Simon Koster (Go 4 It) qui, malgré une collision avec un cétacé, des heures de réparation et une navigation sur un seul safran termine à moins d’une journée de la tête de course.
Le bal des éclopés
Derrière les leaders, le peloton a révélé les distorsions de perception des différents concurrents ; Il y a ceux qui espéraient mieux tel Jean-Marie Oger (Acebi) en série ou bien Etienne Bertrand (Chasseur de Primes). Le premier reconnaissait avoir manqué d’entraînement. Confronté aux conditions inconfortables de cette première étape, il a baissé un temps d’intensité de rythme. Le décalage s’est transformé en un véritable trou à l’approche des Açores qui ont amplifié les écarts. Etienne Bertrand, s’il est bien revenu dans la course, paie une erreur stratégique dans le golfe de Gascogne qui lui a coûté très cher : près de vingt-quatre heures d’arrêt buffet sur une route sud, quand le reste de la flotte cavalait dans le nord. Et puis, il ya le peloton des éclopés. Pannes de pilote pour Arnaud Gentien (Zébulon) et d’autres, problèmes de gréement pour Clément Bouyssou (Groupe Accueil Négoce) et Yoann Tricault (C-possible) sont les avaries les plus fréquentes. Romain Mouchel (Adrenaline) a cumulé les avanies : en panne de pilote trois jours après le départ, il a eu des soucis de voile d’avant avant qu’un volatile suicidaire ne décide de traverser sa grand-voile de part en part. Malgré le choc, l’oiseau a réussi à continuer sa route, un peu sonné, tandis que Romain ne pouvait que contempler les dégâts. On a toujours tendance à considérer que les dangers viennent des obstacles sous l’eau. Il va maintenant falloir guetter en l’air.