La Transat Québec Saint-Malo 8ème du nom, d’ores et déjà destinée à demeurer dans les annales pour son intensité et l’incertitude de ses conclusions, entre dans la phase cruciale et décisive de son dénouement. Derrière Erwan Le Roux (FenêtréA Cardinal 3) triomphateur hier en classe Open, ses deux principaux protagonistes en multicoques se livrent un furieux duel de vitesse à l’entrée de la Manche. Erik Nigon sur son vaillant « petit » trimaran de 50 pieds Vers un Monde sans Sida provoque le trimaran de 60 pieds du Malouin Gilles Lamiré Défi Saint-Malo Agglo depuis un épique passage cette nuit bord à bord au large du Fastnet. Les deux hommes sont attendus ce soir à l’heure du journal de 20 heures dans un ordre que Dame Fortune n’a pas encore décidé. Attendu lui aussi ces prochaines heures, mais plus probablement demain matin, l’Italien Andrea Mura (Vento di Sardegna), seul protagoniste à courir sur un monocoque de 50 pieds, cravache pour tenir le pari qu’il s’est fixé, entrer dans Saint-Malo avant les concurrents de la Class40. Ces derniers nous offrent un final de toute beauté. Leader depuis trois jours, le Normand Halvard Mabire (Campagne de France) et ses équipiers Miranda Merron et Christian Bouroullec, se sont impitoyablement défaits de tous leurs adversaires hier encore accrochés à leurs basques. Tous ? Sauf un peut-être. Le redoutable Allemand Jörg Riechers qui tente le tout pour le tout à l’approche de Land’s End, pointe occidentale de la Cornouaille anglaise, en se décalant sous le vent de Mabire pour se donner le meilleur angle de vent susceptible de lui permettre de déborder son adversaire avant les remparts de Saint-Malo. Verdict de ce combat des chefs de la Transat, demain vendredi à partir de 17 heures (Française).

Riechers joue son va-tout

Nous laisserons aux adversaires directs d’Halvard Mabire, les Richers, Rogues, Amedeo et consort, le soin de délivrer les qualificatifs qui siéent le mieux à la performance du Normand et de son Campagne de France sur cette Transat dont il est le tenant du titre. Les chiffres et les faits ne cessent d’étonner, car face à la fureur et la tonitruance des talents lancés à ses trousses, force est de constater que le Class40 aux couleurs des Maîtres Laitiers du Cotentin n’a cessé, au pire, de maintenir les écarts, au mieux, d’en « rajouter une couche » à chaque occasion offerte par les forts vents d’ouest qui secouent toujours la flotte. Mabire semble ce soir débarrassé des menaces personnifiées par Sébastien Rogues (Eole Generation-GDF SUEZ) et Fabrice Amedeo (Geodis) relégués à 66 et 82 milles, et qui affichent heure après heure des vitesses inférieures à celles du Pogo 40 2S vert et blanc. Jörg Richers, et son équipage « All Star » constitué de Sam Manuard, Rémi Aubrun et Ryan Breymaier semblent ce soir les seuls en capacité de revenir sur le Normand, à condition toutefois que le vent d’ouest qui prend à l’approche de la Bretagne une forte tendance à l’ouest-sud-ouest, ne vienne annihiler la jolie manœuvre réalisée cette nuit par Mare, venu sur une route très nord effectuer un dernier empannage destiné à lui offrir à la faveur d’un meilleur angle de vent, une vitesse de rapprochement supérieure. Mais la rotation du vent sur la droite de Campagne de France rétablit cet après-midi la parité entre les deux voiliers et c’est avec le plus faible des écarts, mais toujours bien en grand leader qu’Halvard Mabire pourrait demain en fin d’après-midi venir signer un historique doublé dans la grande classique océanique entre Québec et Saint-Malo.

Mano a mano entre trimarans

Après avoir navigué bien seuls sur l’Atlantique, c’est désormais un mano a mano extraordinaire qui s’engage entre Défi Saint-Malo Agglo et Vers un Monde sans Sida pour la deuxième place dans la catégorie Open. Depuis le 31 juillet dernier les routes de ces deux trimarans se sont enfin recroisées à la faveur de Gilles Lamiré (Défi Saint-Malo Agglo) qui arrive tant bien que mal à contenir les assauts d’Erik Nigon (Vers un Monde sans Sida). Les deux skippers ont franchi de concert et en plein milieu de la nuit, l’ultime marque de parcours, à savoir le rocher du Fastnet. Depuis ce petit bout d’Irlande au large de la magnifique île et le passage entre les îles Scilly et la pointe de l’Angleterre, la route semble désormais bien dégagée pour ces deux protagonistes dont la dernière ETA prévoit une arrivée à Saint-Malo aux alentours de 19h30 en ce jeudi 2 août. Avec moins de 100 milles à parcourir et un écart entre les deux trimarans de 3,4 petits milles, les jeux sont loin d’être faits et le suspens est garanti jusqu’à la fin. Cependant, Erik Nigon semble tenter un petit décalage dans l’est, certainement pour essayer de faire l’extérieur et bénéficier d’un peu plus de pression sur la fin. Après 11 jours de course, le scénario est parfait pour les terriens, mais le stress de ces marins qui après avoir affronté des conditions épouvantables aux abords du Fastnet est très certainement à son maximum.

Andrea Mura demain matin à Saint-Malo

Un stress qui doit aussi peser sur les épaules de l’équipage transalpin de Vento di Sardegna qui ne cesse de regarder dans le rétroviseur. En effet, le retour très, voir trop rapide d’Halvard Mabire sur le Class40 Campagne de France, contraint les Italiens à pousser encore plus la machine car l’objectif principal de cet équipage est bel et bien d’arriver premier monocoque à Saint-Malo. Au coude à coude depuis le départ de Québec, dimanche 22 juillet, Vento di Sardegna d’Andrea Mura n’a réussi à creuser un léger écart qu’après une semaine de course et bataille ferme pour conserver ce décalage. La réponse de ce magnifique duel, vendredi dans la journée. Que ce soit un trimaran de 60 ou 50 pieds, en monocoque de 50 ou 40 pieds, le spectacle que nous offrent ces 103 marins est digne des plus grands films hollywoodiens et les malouins pourront acclamer bien haut la prestation de ces hommes et de ces femmes qui depuis maintenant 11 jours nous font vibrer de bonheur.

Les mots du jour

L’équipage de Groupe Picoty
« Whaou !!! Quelle nuit. On s’attendait à une nuit difficile et bien nous avons été servis. Vent de 40 nœuds, très grosse mer. La garde-robe est descendue progressivement avec affallage du code 5 par 32 nœuds de vent en début de nuit. Ce fut une première difficulté avec un enroulement difficile et un affallage au forceps direct dans la cabine avant.
Remplacement par code 0, puis affallage code 0 remplacé par solent. Puis ensuite prise de 3 ris dans la grand-voile. La plus grosse difficulté fut l’empannage par 40 nœuds de vent. C’est très violent et très risqué pour le matériel
Difficile à la barre de tenir sa route tant la mer présentait des talus à franchir secouant bateau et équipage dans tous les axes. L’humidité est maxi avec un torrent de vagues se déversant dans le cockpit. J’ai pour ma part (jack) revêtu ma combinaison de survie pour barrer. C’est pas très esthétique mais plus confortable. Évidemment très peu de sommeil et ce matin nous sommes un peu dans le rouge.
Petit visite dans le mât de JC ce matin pour évacuer un morceau de notre latte de GV cassé depuis St Pierre et Miquelon qui risquait d’abîmer le mât et faire difficulté pour lâcher les ris de GV. Ce matin la mer est toujours grosse avec un vent retombant à 30 nœuds. La bagarre est toujours intense et le moindre relâchement se traduit à chaque classement par des milles perdus ou gagner.
A tous les niveaux de la course des combats intenses se livre pour une place au classement.
C’est vraiment chaud. Bises de l’équipage »

Ryan Breymaier, Mare
« Notre empannage s’est parfaitement déroulé la nuit dernière. On a ainsi trouvé beaucoup de vent, avec un bon angle au vent sur tribord, et on avance bien depuis. Chacun à bord attendait avec anxiété les classements du matin, et à présent, le calme s’est installé sur l’équipage, dont le seul objectif est d’aller aussi vite possible pour finir la course.
Nous sommes toujours le bateau le plus nord de la flotte. Et cela nous surprend. Nous pensions que Campagne de France allait lui aussi empanner comme nous. Nous avons eu le luxe de choisir l’instant de notre empannage et on l’a fait juste après le dernier classement, afin de bénéficier de 8 heures de liberté. Nous espérons que Halvard « butte un peu », et ralentit au vent arrière, ou même qu’il empanne, nous permettant de le rattraper un peu.
Ceci dit, ils (Campagne de France) réalisent une superbe course. Cette course ne sera pas terminée avant le passage de ligne… »

Pierre-Yves Lautrou, Partouche
« Oui, c’est ce qu’on se disait, voilà quelques minutes à la relève de quart : grand ciel bleu, la cavalcade sous gennak (envoyé hier soir, finalement) un peu moins intense à la faveur d’une molle temporaire, et voilà tout l’équipage réuni autour d’un plat de pâtes au soleil – ce qui nous change des lyophals avalés en ciré à la lueur de la frontale…
Un répit bienvenu : comme pour le reste de la flotte, à bord de Partouche, ça tape, ça roule, ça tangue, ça surfe, bref, ça dépote vers Saint-Malo et ça n’est pas fini. Le vent vient ainsi de remonter au-dessus de 25 nœuds. Notre problématique à nous est de préserver le dernier spi (le petit) qui nous reste pour le finish en Manche. Et de bien choisir, comme tout le monde, le timing de l’empannage final vers la maison, qui promet d’être sportif.
Pour le reste, on profite du spectacle grandiose de l’océan, le Grand Océan. Du lever au coucher du soleil, c’est un privilège rare que de venir jouer au milieu de ces éléments. Et la nuit. La nuit confine au sublime : pas besoin de frontale, vous naviguez sous la pleine lune qui joue avec les nuages et les vagues. Et je vais vous dire : les tickets pour ce show-là ne se trouvent pas au marché noir. Faut juste venir les chercher sur place…
NB : by the way, gardez-moi donc un flacon du lait normand avec lequel Halvard Mabire a été élevé, ça m’intéresse pour plus tard… »

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