Avec une brise de Sud-Ouest qui est montée d’un cran la nuit dernière, les MOD70 ont dû commencer à lever le pied car la mer devient plus délicate à négocier. Pour Sidney Gavignet et son équipage, la rupture du foil bâbord les incite à encore plus de prudence. Yann Guichard et ses hommes ont réussi à glisser plus au Nord pour prendre la tête de la KRYS OCEAN RACE…

Le mot revient comme un leitmotiv : « humide ! ». Les trois skippers contactés ce lundi ont pu décrire cette atmosphère prégnante qui règne à bord des MOD70. Sur le pont, ce sont les embruns permanents, les vagues qui se cassent sur le bras de liaison avant, et la fine pluie qui tombe d’un ciel nuageux et bas qui rince en continu le barreur protégé par un casque intégral et le (ou les) équipiers en charge de moduler la vitesse au cas où le trimaran prendrait des tours dans une rafale. Et à l’intérieur, le scénario n’est pas très différent car les hommes en fin de quart dégoulinent d’une eau chaude quand la condensation vient apporter son suintement perpétuel… « Quand on percute une vague, il y a des paquets d’eau qui retombent sur le barreur et les équipiers qui sont dans le cockpit ! C’est bien humide au quotidien… » déclarait Michel Desjoyeaux à la vacation radio de ce midi.

Une petite pause

Car les conditions météorologiques sont toujours aussi musclées depuis que les cinq MOD70 ont perdu à l’horizon les gratte-ciels de Manhattan : du Sud-Ouest, vingt nœuds dimanche après-midi, puis trente nœuds la nuit dernière. Et comme le flux océanique du Gulf Stream accélère encore le rythme avec ses deux nœuds de courant portant à l’Est, la mer se creuse à l’abord des Grands Bancs de Terre-Neuve. Sous deux ris dans la grand-voile et solent ou foc de brise, le tempo tourne toujours autour de trente nœuds de moyenne même si depuis midi, la plupart des équipages a commencé à mollir sur l’accélérateur. Histoire de ne pas enfourner dans une vague mais pour aussi gagner dans le Nord afin de se positionner favorablement quand le vent va mollir en passant au secteur Ouest.

Car c’est bien le moment névralgique qui s’annonce probablement mardi soir ou mercredi : le déclenchement de l’empannage… Le front continuant sa route vers l’Irlande, le vent va doucement mollir à une bonne vingtaine de nœuds puis s’orienter au secteur Ouest. Il faudra alors choisir son camp ! Soit piquer vers le Sud-Est vers l’anticyclone des Açores sur une mer plus lisse mais avec un vent en cours d’affaissement, soit pointer vers le Nord-Est pour longer le front et se rapprocher de la route directe avec en conséquence, une mer plus agitée et un vent plus instable. En fait, il est fort probable que les navigateurs vont panacher les deux options…

Glissades vers les bancs

Ce lundi midi, Yann Guichard et ses hommes avaient pris la tête de la flotte grâce à un léger décalage sous le vent, mais Spindrift racing avait à peine trente milles d’avance sur Groupe Edmond de Rothschild et un tout petit peu plus sur FONCIA. Pour tout dire, les écarts par rapport aux îles Scilly sont minimes et ce n’est certainement que mercredi que la hiérarchie va commencer à s’éclaircir. De fait, les conditions de navigation vont être un peu plus « soft » ces prochaines heures car les bancs de Terre-Neuve seront dans le tableau arrière des leaders et la brise va descendre d’un cran dans l’après-midi de ce lundi.

Quant à Stève Ravussin et son équipage (Race For Water), ils progressent encore à bonne vitesse malgré le déficit d’une dérive bien endommagée mais leur positionnement par satellite n’est pas continu. Et pour Sidney Gavignet et ses cinq équipiers (Musandam-Oman Sail), le ralentissement de la brise et un état de mer moins désordonné devrait lui permettre de se maintenir bien que le handicap d’un foil brisé pèse sur sa vitesse moyenne à cette allure de portant. Au programme ces prochaines heures : un petit « break » dans une brise plus maniable mais toujours autant de tension sur le pont et quelques interrogations devant la table à cartes pour déterminer le moment opportun de l’empannage.

Michel Desjoyeaux (FONCIA)

« Côté conditions météo, ça commence à mollir doucement et on ne devrait pas tarder à renvoyer de la toile. Cette nuit, nous n’avions pas beaucoup de repères et il fallait se fier à l’électronique qui nous donne la force et la direction du vent, la vitesse du bateau et son cap. On a bien eu un bout de lune en fin de nuit, mais on ne voyait pas grand-chose parce que c’est très nuageux à l’avant du front. Côté stratégie, il n’y a pas d’initiatives à prendre dans l’immédiat et tout le monde suit à peu près la même route. Mais à la longitude des Açores, il y aura des opportunités… On ne voit plus Spindrift racing mais on le suit avec l’AIS. Tout est trempé à bord ! Parce qu’il y a quand même de belles vagues. Et il y a toujours quelqu’un à l’écoute pour gérer la situation dans une bouffée d’air. A l’intérieur, c’est un véritable shaker ! »

Sébastien Josse (Groupe Edmond de Rothschild)

« Nuit mouvementée et assez ventée : on a eu jusqu’à 30-35 nœuds avec pas mal de grains et une houle croisée qui ne facilitait pas le pilotage. La brise devrait se calmer un peu en milieu d’après-midi ou en début de nuit prochaine, mais on aura quand même 25 nœuds et une mer de 2,5 mètres… Ce midi, comme nous sommes juste au Sud des bancs de Terre-Neuve, il y a parfois des zones très chaotiques avec les méandres du Gulf Stream, puis vingt milles plus loin, ça se réorganise… On navigue sous deux ris et solent à 140-150° du vent réel, un angle assez abattu pour gérer la vitesse et glisser vers le Nord-Est progressivement. On se maintient à 28 nœuds de moyenne et c’est plus « supportable » que les 30-32 nœuds de dimanche soir : c’est important que le barreur joue avec les creux pour ne pas trop solliciter le bateau. Alors avec cette « molle » à venir, ça sera tout de même plus aisé pour négocier les vagues. »

Yann Guichard (Spindrift racing)

« C’est humide, très humide ! On a passé une bonne première partie de nuit, mais c’est difficile de tenir des vitesses élevées sans risque à cause des vagues, car la mer est assez agitée… On a pris notre rythme, mais ce n’est pas facile de dormir parce qu’il faut être tous à l’arrière du bateau et il n’y a pas de bannettes derrière : ça secoue beaucoup. On prend quelques petits grains qu’on anticipe bien au radar : en ce moment, on a 32 nœuds de vent réel mais il n’y a pas trop de méchantes rafales et c’est moins stressant. Nous sommes quatre barreurs à nous relayer toutes les quarante minutes parce que c’est assez éprouvant. On a pu manger correctement jusqu’à hier soir où nous avons fait notre premier lyophilisé : c’était assez rock & roll ! Il faut garder des forces et c’est vrai que le sommeil, ce n’est pas aisé… Mais la température est très agréable avec ce vent de Sud-Ouest chaud.»

Sidney Gavignet (Musandam-Oman Sail)

« En milieu de nuit, tout allait bien avec une vitesse moyenne oscillant entre 30 et 33 nœuds sous deux ris dans la grand-voile et foc solent. Le foil s’est rompu mais nous n’avons pas eu l’impression d’avoir touché quelque chose… Nous l’avons retiré de son puits et stocké dans la coque centrale. Nous devons donc naviguer désormais sous deux ris et foc de brise ORC à 70% de notre vitesse normale. Ce qui fait que nous allons perdre 200 milles par jour ! Mais nous pouvons arriver sans encombre jusqu’à Brest : il faut juste rester plus prudent car le bateau enfourne dans la mer plus brutalement. On garde le moral… Nous aurons besoin d’un nouveau foil à Brest, car une escale technique aux Açores n’est pas envisageable : il n’y a pas de vent en ce moment autour de l’archipel. »

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