Le dernier combat
C’est la dernière et la plus belle. L’ultime occasion de flamber pour les navigateurs en mal de performance ou d’enfoncer le clou pour les leaders. Et c’est un sacré gros morceau. L’étape la plus côtière de cette 43e Solitaire du Figaro – Eric Bompard Cachemire, 486 milles, sera aussi la plus longue et la plus complexe avec six grands segments de parcours recélant tous leurs difficultés. De la Vendée à la Normandie, en passant par les côtes sud anglaises, il y aura du remue-méninges sous les crânes et du remue-ménage dans les classements. C’est la course attendue de tous, car la plus prometteuse en terme de rebondissements. Rappelons que le carré d’as du classement général ne se tient qu’en 33 minutes…. Départ dimanche à 13 heures au large de Saint Gilles Croix de Vie.
« Je ne risque pas de prendre les classements sur l’eau, prévient Nicolas Lunven (Generali), ni de me dire qu’il va falloir que je reprenne 10 secondes sur Morgan (Lagravière) ou que je maintienne mes 3 minutes d’avance sur Fabien Delahaye ». « C’est la dernière et tout le monde va se lâcher » renchérit Alexis Loison (Groupe Fiva). Dans la tête des marins, on efface tout et on recommence pour ce dernier combat. Le vent, a priori, sera calé de secteur ouest-nord-ouest (entre 12 et 16 nœuds) pendant toute la durée de la course. Schématiquement, donc, il faut s’attendre à une grande remontée au près-bon plein vers la pointe bretonne, bâbord amures, avec ça et là quelques bords à tirer. Puis du louvoyage pour traverser la Manche jusqu’à Wolf Rock, un long bord de spi pour longer les côtes sud de l’Angleterre jusqu’à Fairway et enfin, un ultime tronçon au largue jusqu’au finish à Cherbourg-Octeville. Simple dans les grandes lignes. Mais beaucoup plus complexe dans les détails. Car c’est bien une route pleine de chicanes qui se dresse devant les étraves des 37 Figaro Bénéteau.
Des pics, des caps, des péninsules
Après le parcours côtier lancé à 13 heures devant Saint Gilles Croix de Vie, un premier segment de 98 milles emmène les marins jusqu’aux Glénan. Cap au nord-ouest, probablement sur un bord (bâbord), où il faudra se placer convenablement en fonction des petites bascules de vent et choisir sa voie pour doubler Belle-Ile (au vent ou sous le vent). Dans la nuit de dimanche à lundi, le parcours fait ensuite zigzaguer la flotte dans l’archipel des Glénan et ses nombreux cailloux, jusqu’à la pointe de Penmarc’h, soit une vingtaine de milles émaillés de virements. Rendez-vous lundi matin pour attaquer le segment N°3 qui se joue autour de la pointe de la Bretagne, entre la baie d’Audierne et la Grande Basse de Portsall via le raz de Sein et le Four : 55 milles particulièrement délicats selon les horaires de marées. Quatrième segment : la traversée de la Manche jusqu’à Land’s End, à la pointe sud-ouest de la Cornouaille. En dehors du choix des bords à tirer face au vent, une des difficultés sera la présence du trafic. La bonne nouvelle c’est que les spis seront hissés une fois le phare de Wolf Rock laissé à tribord, dans la journée de mardi. Place ensuite à un grand bord de 167 milles au portant, sous les côtes de l’Angleterre, avec trois grands caps à doubler : Lizard Point, Start Point et Portland Bill. Il y aura des empannages au programme et selon la force du vent d’ouest qui poussera les monotypes jusqu’à Fairway (marque d’atterrissage située au sud-ouest de l’île de Wight), certains pourraient aller chercher les courants près des pointes anglaises… Enfin, la dernière ligne droite s’étire entre Fairway et Cherbourg-Octeville (58 milles) pour une traversée de Manche retour, au largue, dans les courants traversiers. Les routages actuels donnent les premiers arrivés mercredi dans la soirée, après plus de trois jours de course.
La meilleure défense, c’est l’attaque
Quelle stratégie adopter dans ce dernier combat ? Préserver ses acquis au classement ou partir bille en tête pour tenter de gagner la manche et par la même occasion des places au général ? Tout dépend de ce que les marins ont à perdre. Mais dans tous les cas, la meilleure défense sera l’attaque. Yann Eliès (Groupe Queguiner-Le Journal des Entreprises), leader après deux étapes, peut difficilement se reposer sur ses 30 minutes d’avance. Dans son tableau arrière, les « petits jeunes » Morgan Lagravière (Vendée), Nicolas Lunven (Generali) et Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) n’auront aucun scrupule à le détrôner si l’occasion se présente. Derrière, Thierry Chabagny (Gedimat), 4e à 56 minutes, tirera probablement ses dernières cartouches pour tenter de l’emporter à Cherbourg-Octeville. Même combat pour des marins tels que Gildas Morvan (Cercle Vert), Frédéric Duthil (Sepalumic) ou Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) qui n’ont rien à perdre dans cet acte final. Pas plus qu’Anthony Marchand (Bretagne-Crédit Mutuel Performance) qui fait son retour dans ce dernier round. Toutefois, il faut quand même s’attendre à une épreuve de marquage et d’observation au sein d’une flotte groupée. L’AIS (Automatic Identification System) qui permet aux marins de voir leurs adversaires sur leur écran d’ordinateur, sera certainement d’un grand secours pendant ces 486 milles de course.
Ils ont dit…
Alexis Loison (Groupe Fiva)
« Sur le papier, l’étape a l’air très intéressante. Ce ne sera pas des bords tout droit et une course de vitesse. Il y aura des moyens de se démarquer dans nos placements par rapport aux événements météo, mais aussi par rapport aux autres concurrents. On va un peu faire travailler les neurones. En plus, c’est une étape qui arrive à la maison alors c’est sympa. Cette étape, je l’attends depuis le départ de Paimpol, c’est ma préférée. Je pense que ça va faire un beau finish. C’est la dernière et tout le monde va tout lâcher, il y a des concurrents qui ne sont pas contents de leur place au classement, d’autres qui veulent la garder. Ca va être un beau combat je pense. Pour ma part, je suis assez content de mon classement, mais sur ce type d’étape je peux tout gagner ou tout perdre, alors si je reste au même niveau ça me satisfait. Je vais essayer de jouer dans mon paquet de coureurs et on verra bien à l’arrivée qui s’en est le mieux sorti. C’est certain que si il y a des coups à jouer et aller titiller devant, je le ferai. Si à la fin, en revanche, on manque un peu tous de lucidité, le fait d’être chez moi pourrait m’aider mais il y en a très peu qui ne sont jamais venus à Cherbourg. Ce sont tous d’excellents marins qui connaissent la Manche. Il va falloir se battre et le fait d’être à la maison ne va pas me garantir la victoire de cette étape. »
Nicolas Lunven (Generali)
« Je pense que ça va être une étape très sympa. J’ai hâte d’y être. C’est vraiment ce que j’aime faire dans le Figaro, beaucoup de sections côtières, deux traversées de la Manche, des cailloux, des côtes, des effets de sites et des effets thermiques, si on a du soleil. La météo devrait être bonne donc oui une belle étape. Il va y avoir pas mal de coups à jouer. Entre le raz de Sein, la Mer d’Iroise, l’Archipel des Glénan et même avant avec Belle-Ile sur la route si des concurrents passent entre l’île et le continent, il peut déjà y avoir une scission dans la flotte. On a ensuite Wolfrock, la côte anglaise avec de nouveau du courant. C’est ma sixième Solitaire et ce parcours entre le raz et la côte anglaise reste toujours mon meilleur souvenir. Les considérations de classement m’importent peu sur l’étape. On verra à Cherbourg. Pour le moment je n’ai pas envie d’y penser. Je suis déjà super content de ma Solitaire. Sur la première étape je fais quatrième, sur la deuxième je suis deuxième ; j’espère que je ferai aussi bien sur cette nouvelle étape.
Anthony Marchand (Bretagne Crédit Mutuel Performance) :
« Mon intention sur cette troisième étape est de me faire plaisir donc de repartir sur l’eau en essayant de boucler la boucle. J’ai pris la décision de partir, mais c’est surtout demain matin en hissant la grand-voile et en faisant les premières manœuvres tout seul que je vais vraiment voir ma capacité à réaliser cette étape en toute sécurité. Il n’y a pas trop de manœuvre sur cette étape alors par rapport à ma blessure, c’est certain que c’est plus confortable. J’y vais vraiment pour me faire plaisir, il n’y a aucun enjeu pour moi. »
Thomas Normand (Financière de l’Echiquier) :
« Je vais partir sur cette dernière étape le cœur léger en gardant en mémoire, les petites erreurs que j’ai faites sur les courses d’avant saison et sur les deux premières étapes pour éviter de les répéter. Ces petites erreurs peuvent me coûter quelques secondes ou quelques minutes qui peuvent à la fin faire la différence. Il faut naviguer détendu et penser aux petites phrases que j’ai lues dans le manuel des Glénan et j’espère que tout ira bien. Forcément je vais avoir un œil sur Julien et sur Corentin parce que les choix tactiques seront pondérés en fonction de leur place et de leur position sur la flotte. Il y a peu de chance sur cette étape que les options soient à l’opposée, ça risque d’être une course en flotte. J’ai une petite idée de ma stratégie, mais il n’y aura pas de grandes disparités dans les choix. »