Stratégies en zone de turbulence
Comme un cadeau de dernière minute – et pas du genre sympa – la météo a décidé de jouer les trouble-fêtes dans cette fin de Vendée Globe pour Jérémie Beyou (Charal) et sa petite bande. La dépression, qui les a secoués comme des cocotiers bien mûrs ces dernières heures, file désormais vers Lisbonne. Elle ne laisse donc qu’un choix très limité : rester derrière son centre et longer la côte portugaise, avec tout ce que cela implique de vent capricieux et de mer encore bien mouvementée. Et comme si cela ne suffisait pas, la route est encore parsemée de surprises avec une dorsale sournoisement postée au cap Finisterre, suivie d’une nouvelle dépression prête à leur offrir un dernier round avant la ligne d’arrivée. Ajoutez à cela des bateaux qui montrent clairement les signes d’un long combat, des pépins techniques qui s’invitent un peu trop librement à la fête, et vous obtenez un cocktail explosif où sang-froid et créativité deviennent les meilleurs alliés pour tenir jusqu’au bout. Les classements, eux, dansent comme des marionnettes au gré des ralentissements et des séances de bricolage parfois improvisées, parfois de longue haleine. Mais à ce stade, pour beaucoup, décrocher une place passe presque au second plan : l’essentiel est de terminer cette épopée. Les marins avancent, mélangeant prudence et détermination, bien décidés à franchir cette ligne d’arrivée, même si les éléments semblent déterminés à leur compliquer la tâche jusqu’au dernier mille.
Après des heures éprouvantes passées à batailler dans la dépression, les marins les plus en avant de la flotte peuvent enfin souffler un peu. Sortir de cette zone de vents puissants et de mer chaotique ressemble presque à un retour à la surface après une longue apnée. Les visages fatigués se détendent, les bateaux, eux aussi, semblent retrouver un peu de sérénité. « On a eu jusqu’à huit mètres de vagues. J’avais beaucoup réduit la voilure par prudence. C’était assez impressionnant mais heureusement, ça ne déferlait pas trop », a raconté Paul Meilhat (Biotherm), presque fasciné par le spectacle grandiose d’une mer blanche en furie. « Grandiose », oui, mais plus dans le genre tableau qu’on admire depuis le rivage, bien au chaud avec un chocolat viennois. « Ce sont effectivement des mers qu’on a plus l’habitude d’observer depuis la côte, en famille, lorsqu’on va admirer les tempêtes. Ces images m’ont rappelé l’Angleterre, où, quand je naviguais en 49er, nos semaines à Weymouth étaient souvent interrompues par le mauvais temps. Les régates annulées, on allait regarder la mer déchaînée depuis la plage. En y repensant, c’était un peu la même ambiance : ce moment où tu contemples une mer impraticable, sauf que cette fois, on était au cœur de l’action », a ajouté le solitaire. Pour lui et les concurrents qui l’entourent, la suite ne s’annonce pas beaucoup plus reposante car la route jusqu’à l’arrivée reste semée d’embûches. Après avoir traversé des vents puissants et des vagues imposantes, ils doivent maintenant se préparer à négocier une dorsale délicate à l’approche du cap Finisterre, avec le risque bien réel de se retrouver piégés dans des vents faibles. Et comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle dépression se profile déjà avant l’arrivée, rappelant que cette course ne baisse jamais la garde.
Patience et précaution
Ce moment de répit, bien qu’apprécié, ne marque pas la fin des difficultés.
On est face à une situation météo assez instable. C’est un contexte plutôt atypique, avec une dépression située assez au sud, presque stationnaire, qu’on appelle une cut-off, et qui se comble progressivement sur le Portugal. Derrière, les modèles pédalent dans la semoule et peinent à s’accorder, ce qui complique les prévisions. Il faut jongler avec le centre du système, ce qui n’est jamais simple, surtout avec une mer croisée dans tous les sens. On va essayer de rester prudents, de progresser du mieux possible et, surtout, d’arriver aux Sables-d’Olonne.
Paul Meilhat
Biotherm
Dans ce contexte, les ETA (estimations d’heures d’arrivée) deviennent un peu comme les prévisions météo pour un barbecue en Bretagne : on espère, mais on n’y croit qu’à moitié. « Je n’ai aucune idée du moment où je vais arriver », a d’ailleurs confié le solitaire avec un sourire résigné. Autant dire qu’entre une dépression qui fait du surplace et des modèles qui s’embrouillent, il faut plus que du talent pour naviguer. Une bonne dose de patience semble également être une arme indispensable. « Les ETA ne cessent de déraper et les problèmes techniques rencontrés par les uns et les autres – foil endommagé, voiles manquantes, soucis de pilote automatique, etc… – compliquent encore davantage l’établissement de routages fiables », a indiqué Christian Dumard, le consultant météo de l’épreuve qui confirme néanmoins que tous les marins, de Jérémie Beyou à Thomas Ruyant (VULNERABLE), devraient franchir la ligne d’arrivée entre jeudi soir et samedi soir.
Course contre l’imprévisible
Pendant ce temps, une grande partie de la flotte bataille encore dans les méandres du Pot-au-Noir. Si Romain Attanasio semble enfin voir le bout de cette étouffante prison climatique, d’autres concurrents se préparent à y entrer, avec l’espoir que cette fois, cette zone de convergence intertropicale redoutée de tous se montre un peu plus clémente. Positionnés les plus à l’Est, Alan Roura (Hublot) et Jean Le Cam continuent de jouer leur propre partition. Leur choix stratégique pourrait porter ses fruits : une route plus favorable semble se dessiner pour eux. Le skipper de Tout commence en Finistère – Armor-lux, fidèle à son style audacieux mais réfléchi, pourrait même faire un retour fracassant dans le match des bateaux à dérives. « Pour l’instant, je ne vais pas me plaindre : les alizés me portent bien, et je commence à réduire l’écart. Ils (Tanguy Le Turquais et Benjamin Ferré, ndlr) avaient tout de même pris une belle avance, près de 500 milles. C’est la preuve que rien n’est jamais figé et que parfois, c’est toi qui as l’avantage, parfois, c’est l’autre. Mon placement pourrait s’avérer stratégique. Tout dépendra du moment où je traverse le Pot-au-Noir. Sans mon J2, les choses risquent de se compliquer un peu ensuite mais j’ai tout de même l’impression que cette fois, les conditions pourraient jouer en ma faveur », a commenté le Roi Jean. Ainsi, cette fin de Vendée Globe reste fidèle à elle-même : imprévisible, intense et pleine de rebondissements. Entre les différents pièges, les stratégies audacieuses et les conditions météo capricieuses, chaque skipper continue de puiser dans ses ressources pour tirer le meilleur parti de la situation. Si certains espèrent encore une remontée au classement, pour d’autres, l’essentiel est de franchir cette ligne d’arrivée, ultime récompense d’une aventure hors du commun. Une chose est sûre, rien n’est joué tant que le dernier mille n’a pas été parcouru.